le blog d'un lecteur toulousain assidu
" Noe s'est sauvé en utilisant les sciences de l'ingénieur, et non en se lamentant, se flagellant, s'enfermant dans une caverne, ni en faisant au quotidien un petit geste pour la planète. Par la même occasion, en véritable citoyen moderne soucieux de son environnement, il a sorti de la mouise l'ensemble de la biodiversité de son écosystème".
Iegor Gran y va un peu fort... Comparer "Home" de Yann Arthus Bertrand aux "oeuvres" de Leni Riefenstahl, tout de même... Pourtant dans son pamphlet provoc et assez drôlatique, "L'écologie en bas de chez moi" (P.O.L), il vise juste en s'en prenant à un certain ordre moral vert, faux-nez d'un marketing repeint aux couleurs du Développement Durable.
On peut, comme moi, penser que le mode de production dominant conduit l'humanité dans de sales draps, en externalisant toutes ses responsabilités à l'égard de l'environnement. On peut comme moi, être scandalisé de l'absence d'un Etat stratège et actif, capable d'anticiper et d'organiser l'après-pétrole. On peut comme moi être indigné de voir des bombes volantes -les camions- écumer nos routes, pourrir notre air et tuer. Alors que rien ou presque n'est accompli pour développer le ferroutage. On peut, comme moi, s'effrayer de l'appauvrissement de la biodiversité. On peut, comme moi, penser que l'eau et l'énergie sont des biens publics dont le peuple doit reprendre le contrôle, un point c'est tout. On peut, comme moi, être prêt à payer plus d'impôts pour qu'on accélère les chantiers de transport en commun. On peut comme moi, être pour la densification des villes, et porté à déchirer ces pétitions d'égoïstes qui se révoltent dès qu'on bâtit un R+ 2 à proximité de leur appartement chéri...
...On peut penser tout cela (pas sûr que ce soit le cas de Iegor Gran), et être allergique à un certain moralisme vert-hystérique qui sans cesse nous assaille, comme argument de vente cynique, mais plus fondamentalement comme l'expression d'un désir de pureté et d'expiation qui n'est pas sans évoquer l'âge théocratique.
Iegor Gran, malgré son côté réactionnaire (un peu "russe blanc" sur les bords me semble t-il) a beau jeu de comparer les injonctions à trier ses déchets, à éteindre sa douche pendant qu'on se savonne, à des achats d'Indulgence médiévaux. Il a beau jeu de comparer la flopée de journées et de salons de l'environnement à des Grandes Messes. Et les "eco quartiers" ne sont-ils pas les temples d'une nouvelle religion intolérante ? Au "bon croyant" aurait succédé le citoyen "éco-responsable" (leçon de morale que nous inflige hebdomadairement les cabas Carrefour).
Et il est frappant de voir que certains moines-soldats verts, souvent bien austères, ressemblent à s'y méprendre à des dominicains, ou à ces prêtres de salut terrestre qu'étaient les maoïstes. Avec une même perspective messiannique et apocalyptique. Avec une même foi dans la vérité révélée, le rapport du GIEC tenant lieu de nouveau-nouveau Testament ou de petit Livre Rouge.
Il est vrai qu'en matière d'intolérance, la lecture des articles environnementalistes introduits dans la
Constitution laisse rêveur. L'article 2 de la Charte dit simplement : "Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement". Et si j'ai
pas envie ? On me lapide avec des prunes Bio ? Dans la même veine, le livre cite un extrait du Pacte écologique de Nicolas Hulot : "c'est à une réinitialisation de nos processus
mentaux qu'il faut procéder"... On se croirait en pleine révolution culturelle... Mais je ne me baladerai pas dans la rue avec un écriteau indiquant que je suis un salaud qui ne porte pas
ses bouteilles au Recup Verre...
Iegor Gran, avec ses débordements, met le doigt sur un vrai sujet : la culpabilisation de chacun d'entre nous n'est-elle pas le moyen d'éviter les questions ardentes ? L'éco-responsabilité ne sert-elle pas de diversion pour ignorer les questions structurelles ?
Le pamphlet souligne aussi, avec une part de vérité, l'anti-humanisme qui guette une partie du discours
écologiste, même si je ne le suivrai pas sur le terrain boueux qui viserait à assimiler l'écologie à une haine de l'Homme (Iegor Gran rappelle ainsi avec provocation que les nazis
avaient adopté une règlementation pour que l'on prenne soin du bétail dans les transports...). Il y a, chez la grande majorité des écologistes, la conviction première et sincère que
l'épanouissement de l'être humain passe par la protection de son milieu.
Mais enfin, comment ne pas le suivre quand il rappelle que dans "Home", ou dans les films d'Hulot et d'Al Gore, la civilisation est résumée à son bilan en termes de pollution et de ravages environnementaux ? L'homme est mauvais car il salit et consomme la planète. Et le problème est que l'Humain pullule. Terrifiante phrase du commandant Cousteau : "Je voudrais que l'on réduise le nombre d'humains à 600 ou 700 millions d'un coup de baguette magique"...
N'en déplaise aux commerçants de la mauvaise conscience, le bilan de la civilisation, c'est aussi la hausse de l'espérance de vie, la baisse massive de la mortalité infantile, les trésors de la culture, de l'architecture, les prouesses de la Médecine, et je vous laisse lister tout ce qui peut l'être.
Et il n'est pas vrai que la Science soit univoque. La Science c'est Tchernobyl, mais c'est aussi le recul de la Famine. Et c'est sans doute la science qui nous permettra, comme toujours, de surmonter les menaces.
Si l'on est méfiant envers la science, si l'on en perçoit les limites et la relativité, alors on ne gouroutisera pas,
justement, les travaux des climatologues. Ceux-là même qui, dans les années 70, évoquaient un prochain âge de glace. Et qui aujourd'hui disent le contraire. Nous devons anticiper le
réchauffement prévu, mais sans verser dans une hystérie qui mettrait fin à tout débat et diaboliserait toute expression de nuance ou de scepticisme.
Iegor Gran n'y va pas avec le dos de la cuillère. Il exagère, me semble t-il avec excès de gourmandise.
Mais il a du moins le mérite de nous prémunir des psychoses sponsorisées, et nous enjoint avec raison à ne point accepter
quelque ordre moral, fut-il repeint en Vert.