Nous avons déjà arpenté le fascinant et difficile chemin
des origines... de Tout. Avec Stephen Hawking ( A la fin du livre, vous saurez pourquoi et
comment l'Univers est apparu (sans blague...) ).
Nous y revenons ici avec un petit essai plus aisé, plus humble aussi, et plus tourné vers la philosophie, d'Etienne Klein (membre du Commissariat à l'Energie Atomique), intitulé "Discours sur l'origine de l'Univers", paru en 2010 et donc tirant parti des recherches les plus récentes.
Etienne Klein diffère d'Hawking sur un point essentiel : la science selon lui, ne saurait réfuter Dieu. Car pour le réfuter il faut le désigner. Or, s'il n'existe pas, il sera toujours fuyant... La Raison ne l'emportera jamais vraiment contre la Mystique... Assez imparable. Nous risquons ainsi de nous coltiner encore longtemps des clergés, des fanatiques et autres névroses collectives.
Klein est bien moins optimiste qu'Hawking sur la possibilité de régler ces affaires une fois pour toutes en élaborant une Théorie du Tout. On ne bouclera pas la boucle sans doute, d'où le recours à la philosophie (Hawking au contraire la snobe), et même à ses expressions aux rives de la poésie. A travers Ludwig Wittgenstein en particulier. Ce matheux philosophe dont l'oeuvre a consisté à souligner les impasses de la pensée humaine. On y est en plein quand on parle de l'origine supposée de l'univers...
C'est un essai plaisant, car très pédagogique, encore plus que celui d'Hawking, plus précis. Mais attention dans le domaine de la physique quantique le pédago a tout de même ses limites... et il y a des moments où le lecteur ignare en ces matières comme moi est largué quand même. Klein écrit très clairement et a choisi de jalonner son propos d'anagrammes particulièrement saisissants.
La grande difficulté que l'astrophysicien rencontre comme n'importe quel quidam est d'affronter l'idée du Néant. Si on se frotte au "commencement" du monde, on doit par contraste penser le Néant. Or qui pense un objet lui donne une substance. Le serpent se mord la queue. "Penser le rien n'est pas penser à rien".
En même temps l'idée que l'univers est un objet d'étude en tant que tel est très récente et date d'il y a un siècle, avec la théorie de la relativité restreinte d'Einstein. Celle-ci affirme, tenez-vous bien, que la gravitation n'est pas une force classique mais une déformation de l'espace-temps par la matière. CQFD : l'univers est un objet physique et on en vient à s'interroger sur son apparition. Le 20eme siècle voit une autre découverte majeure : Hubble (le type, pas le télescope) établit que l'univers est en expansion. Et on en vient à l'idée qu'il a sans doute été de taille minuscule voire nulle.
De fil en aiguille on arrive à ce moment, baptisé "big bang", qui s'est déroulé il y a 13, 7 milliards d'année et où il s'est passé quelque chose d'énorme, de très chaud, avec une considérable débauche d'énergie. A côté, le Space Mountain c'est de la rigolade. Mais une métaphore à l'américaine ne règle pas la question. Qu'est ce qui explique ce moment déterminant dans l'histoire de l'univers ? Que se passe t-il avant ? Ce moment est il précédé du Néant ? Et si on peut sortir du Néant c'est que des conditions se mettent en place, que des facteurs agissent... C'est donc que le Néant n'est pas tout à fait le Néant... A s'arracher les cheveux.
Donc on s'est dirigé vers l'infiniment petit pour comprendre ce qui a pu se passer. Avec l'ambition de recréer artificiellement les conditions extrêmes de ce moment clé, il y a 13, 7 millions d'années. Le monde des astophysiciens est désormais riche du LHC, cet accélérateur de particules situé à la frontière franco suisse et qui joue à être Dieu en totchoquant des particules avec une violence insensée. Mais pas encore assez violemment pour recréer l'ambiance recherchée.
Comme Hawking, Etienne Klein est positivement impressionné par la théorie des supercordes et ses perspectives. Les particules ne seraient pas des objets mais des sortes de cordes vibrant sur plusieurs dimensions. Ces supercordes permettent ainsi de penser (à travers un raisonnement un peu ardu...) que le Big Bang n'a pas vraiment été un début. L'univers est appréhendé comme un rebond.
Ainsi l'idée a tracé son chemin dans le monde scientifique : le vide n'est pas le vide. Il contient de l'énergie. Il n'a pas besoin d'extériorité pour évoluer et grandir. C'est sa propre expansion qui lui apporte son énergie. Il est ainsi sa propre cause. Etienne Klein a recours à l'histoire de la philosophie pour souligner que la notion d'immanence n'est pas nouvelle. L'humanité a eu plusieurs fois cette intuition.
Ce qui conduit à penser, sous une certaine variante que l'univers est en réalité une possibilité parmi une foultitude d'univers (le multivers). L'univers est en inflation éternelle : on parle d'univers-bulles. Philippe K Dick, dont on a récemment parlé, et qui voyaient des doubles fonds partout dans l'uinvers, aurait ainsi tout compris et tout expliqué dans ses publications pour vieux ados.
Le Néant serait ainsi un non sens. Etienne Klein a alors recours au jeu du langage. Il note habilement que la question d'Hamlet : "Etre ou ne pas être, voila la question" est l'anagramme de "oui et la poser n'est que vanité orale". Sans doute n'y a t-il que de l'étant. Ceci est inconfortable pour notre manière de penser, qui a besoin de définir des objets. Pour Klein, la pensée chinoise,encline au devenir, est plus à l'aise pour renoncer à l'idée du début.
On a donc progressé note l'auteur. Mais nous sommes loin du compte, d'autant plus que certaines découvertes compliquent la tâche : la certitude qu'il existe une masse noire, majoritaire, dans l'univers, et dont on ne sait rien. Mais aussi l'observation des supernovae qui laissent supposer que l'expansion de l'univers est en phase d'accélération. Diantre.
La meilleure attitude, pour ne pas trop céder au vertige, et de s'avouer que certaines catégories nous sont tout simplement impensables, ou en tout cas n'entrent pas encore dans les filets du langage. Catégories comme celle de l'infini, celle du néant. Nous cherchons inéluctablement des frontières. Mais le réel échappe sans doute à notre prisme.
Une solution, qui sait peut-être provisoire, est d'accepter cette limite. L'auteur cite une merveilleuse phrase de Ludwig Wittgenstein, qui peut nous y aider : "pourquoi faudrait-il que le fait que le monde ait commencé à être soit un plus grand miracle que le fait d'avoir continué à être". Or nous nous habituons bien à l'Etre, chaque jour.