Certains livres, pas forcément ceux attendus, vous entraînent dans des tourments intellectuels propices à l'insomnie.
C'est le cas du dernier essai vertigineux que je viens de lire, signé par les physiciens Stephen Hawking et Leonard Mlodinow, et qui porte un titre sans complexes : "Y a t-il un grand architecte dans l'Univers ?" (Odile Jacob) Et figurez-vous qu'en 220 pages, les auteurs ne se contentent pas de poser la question,... mais d'y répondre ! Avec un aplomb étonnant. Si comme tout le monde, vous vous demandez "qui suis-je, dans quel état j'erre ?....), et bien vous n'avez qu'à acheter l'ouvrage, et essayer de le comprendre.
En fermant le livre, avalé malgré son caractère tout de même abrupt (je n'ai pas tout compris loin s'en faut, je suis un parfait cancre dans le domaine scientifique et incapable du moindre effort n'ayant jamais acquis les bases du raisonnement), ma conception de la question... s'est trouvée validée... Ouf !
Depuis que je pense un peu sérieusement, j'ai toujours considéré que cette histoire de Dieu était un anthropomorphisme trop commode pour être crédible. Un anthropomorphisme, c'est un procédé qui réduit le monde à une figure humaine. L'idée de Dieu permet de régler les questions du pourquoi et du comment et de rendre accessible la réponse à n'importe quel être humain, de réduire l'univers à la taille des lunettes humaines. Pratique. Tellement pratique, et tellement consolant, a dit Freud, que ça finit par être suspect... Sans compter les usages sociaux de la parole de Dieu, qui n'ont pas fini de servir...
Le livre utilise ce terme même d'anthropomorphisme... Ce dont je n'étais pas peu fier quand je l'ai lu... Mais la suite du livre va me remettre à ma place, en me signifiant mon ignorance crasse...
Il ajoute d'abord un constat logique : Dieu ne résout rien. Car alors pourquoi Dieu ? Poser la question en terme d'acte inaugural est donc sans doute un non sens. La réalité de l'Univers ne doit pas s'harmoniser facilement à nos habitudes de perception du temps et de l'espace. Tout juste.
Mais voila, Hawking va plus loin que je ne le pensais. Et là on se met à transpirer...
(Jusqu'à lire ce livre, je me figurais l'évolution des rapports entre Dieu et la science de la manière suivante :
- d'abord, la phase antique, où philosophie, religion et science convergeaient autour de l'idée d'un ordre immanent dans l'univers. La méthode expérimentale avait déjà permis de grands progrès, comme avec Archimède. Cependant, elle trouva ses limites et certains philosophes considérèrent que la réflexion logique suffirait à appréhender le Cosmos (Aristote en particulier).
- Puis la phase médiévale, catastrophique, déniant toute légitimité à l'empirisme. Se concentrant sur l'exégèse des textes plutôt que sur l'observation du monde, ou sélectionnant rigoureusement dans le monde ce qui pourrait confirmer le dogme.
- Le choc de la Renaissance, de la révolution Copernicienne, favorisée par une redécouverte des acquis de l'Antiquité, et par l'élargissement de perspectives permis par la découverte du Nouveau Monde. Cette période culmine avec Newton. Petit à petit, malgré la répression religieuse (Galilée...), la légitimité scientifique s'impose et concurrence la vérité révélée.
- Le moment scientiste, où la science pense qu'elle va pouvoir en finir avec la Religion. Celle-ci entre en crise, et se voit obligée de se repositionner et de refluer de la scène politique (la Bible devient peu à peu un message symbolique, car il est difficile de résister aux faits).
- La victoire contrariée de la Science. Celle-ci n'a pas apporté le bonheur sur terre. Ceux qui s'en sont réclamé pour changer le monde ont produit des catastrophes. La science ne coïncide plus facilement avec l'idée de progrès.
- Un statu quo s'instaure, qui ressemble à une division du travail : aux scientifiques l'explication des processus, à la philosophie et à la Religion la question du sens. Dans le même temps, la science n'ayant pas tenu sa promesse de bonheur et de réponse à l'angoisse humaine, la religion résiste mieux que prévu. Et tente parfois habilement de retourner la science contre elle-même : par exemple la théorie du "dessein intelligent" pour lutter contre la théorie de l'évolution).
Donc je me disais : en gros, tout le monde ou presque (sauf les intégristes et autres illuminés) est désormais d'accord. Les "quoi et comment" reviennent au scientifique. Par contre, reste la question : "pourquoi y a t-il quelque chose plutôt que rien ?". Et là, chacun son pari.
Mais Hawking, assez simplement, dynamite ce consensus. Pour lui, la science est aujourd'hui capable d'expliquer ce qu'est l'Univers, comment il est né, et pourquoi. Et il est catégorique : aucun grand architecte n'y est pour quelque chose.
Et c'est ce qu'il s'efforce de démontrer dans cet essai fort pédagogique (mais pas encore assez pour moi...), écrit avec plein d'humour, usant de métaphores habiles utiles à la compréhension, rédigé dans une langue quasi profane... Un livre d'astrophysique qui commet la prouesse de ne point comporter la moindre équation !
Pour parvenir à leurs fins, les auteurs doivent expliquer la théorie des relativités restreinte et générale d'Enstein, ainsi que la physique quantique. Ils doivent aussi recourir à un modèle mathématique fascinant, intitulé "le Jeu de la vie". Pour finir par démontrer que ces outils permettent déjà de comprendre pourquoi nous sommes ici-bas, en train d'écrire des blogs en lorgnant sur les oeufs en chocolat théoriquement réservés aux enfants...
Je n'essaierai pas de résumer ces explications, dont j'ai tout de même, je pense, saisi les grandes lignes. Je serais bien incapable de maîtriser assez le raisonnement pour en produire une synthèse autre que délirante.
Mais en gros, ce que je comprends, c'est que l'Univers n'a pas "commencé" au sens où notre entendement le conçoit. L'Univers est doté de plusieurs dimensions, et le temps que nous connaissons n'est qu'une d'entre elles.
Il existe une myriade de Galaxies, mais aussi une multitude d'Univers, avec leurs propres Lois. Le nôtre n'est qu'une variante. C'est ce que nous apprend l'étude des particules (je crois enfin avoir compris à quoi servent ces fameux "canons" à électrons, neutrons et autres curiosités).
Donc, s'il est vrai que les coïncidences qui ont conduit la vie à apparaître sont frappantes, on ne doit pas en conclure qu'elles désignent un "dessein" particulier. On doit inverser le raisonnement : c'est la vie qui rend nécessaire ces conditions tout à fait particulières, qui tiennent à énormément de paramètres réunis (l'éloignement de la Terre du Soleil, leurs tailles respectives, la courbe orbitale de la Terre, la production du Carbone par l'explosion d'une Super-Nova, etc...).
Et l'explication finale, qui rend possible le "Big Bang", est succulente. Elle ne provient pas des dernières découvertes, mais de la bonne vieille Loi de la gravitation d'Isaac Newton. C'est la force gravitationnelle qui permet la libération d'énergie nécessaire.
Mais plus que tout cela (qui valide mon intuition de toujours, à savoir que l'Univers est trop complexe pour être compris aisément par l'Homme, d'où l'idée facile de Dieu), une phrase de l'introduction, définitive et laconique, m'a frappé. "La philosophie est morte" peut-on lire. Ouah ! Et pourquoi donc ? Parce qu'elle n'a pas su suivre le rythme effréné de la science au vingtième siècle. Elle est donc dépassée et la science a du seule continuer d'avancer.
Il fut un temps où philosophes et scientifiques n'étaient d'ailleurs point distingués. D'Aristote jusqu'à Condorcet me semble t-il. En passant par Descartes ou Leibniz.
Et il est vrai, me suis-je dit, que la Métaphysique, depuis Nietzsche n'est plus au goût des philosophes. Les grands philosophes de notre temps s'engagent dans la philosophie de l'Histoire ou politique. La phénoménologie, me semble t-il, est le contraire d'une Métaphysique. Mais bon je ne m'engagerai pas sur ce terrain où je suis fragile...
Et c'est vrai que l'Humanité a du mal à s'emparer des acquis scientifiques les plus récents. Car ils demandent de penser en dehors de catégories qui s'imposent à l'entendement. A dépasser la notion de simple causalité, d'espace et de temps tels que nous les appréhendons classiquement. En essayant de comprendre ce livre, je m'en suis aperçu, car les mots que j'utilisais pour réfléchir m'empêchaient justement d'entrer plus avant dans la compréhension du texte.
On lit ça et là des nouvelles frappantes : "reconstitution du Big Bang en laboratoire", "découverte sur les trous noirs", "découverte d'une exoplanète". Mais nous n'en faisons rien socialement ou culturellement, cela ne révolutionne pas les conceptions du monde. L'absence des grands physiciens dans le débat public, le fait qu'ils soient d'ailleurs totalement méconnus, sont des éléments incontestables.
Peut-être certes la perte de l'influence des Eglises, le fait que la pratique s'étiole, que le rite devienne une coutume, que l'on vive sa religion de plus en plus "à la carte"... peut-être tout cela reflète t-il sourdement que les humains ont compris que Dieu était effectivement mort, sans besoin d'entrer dans les détails des théories d'Einstein ? Quand l'homme est capable de déployer l'énergie atomique, on se demande bien à quoi servirait un Dieu.
Il reste que nos sociétés sont sans doute en grand retard sur les avancées de nos chercheurs fondamentaux. Comme l'était l'Europe au moment où Copernic, Galilée, Kepler, avaient acquis des certitudes nouvelles.
Ce livre est aussi passionnant quand il aborde la question centrale, obsédante, du "libre arbitre" et du déterminisme chez l'être humain. La science peut aujourd'hui démontrer que le libre-arbitre n'existe pas. Le déterminisme a été validé par des expérimentation sur des cerveaux.
Pourtant nous continuons à fonctionner socialement avec cette idée du libre arbitre. En droit français, l'on ne peut juger et condamner à de la Prison que celui qui dispose de son libre-arbitre. Or, si l'on en croît la science, aucun de nous ne possède cette faculté...
Hawking explique très clairement une chose que je ne parvenais pas à formuler très clairement en moi : le libre arbitre est une fiction utile, car il est impossible de reconstituer la chaîne des innombrables influences qui conduisent un être à agir. On ne pourrait pas y parvenir mathématiquement. Donc on recourt au libre-arbitre pour combler ce vide. Mais nous ne devons pas être dupes de notre langage.
En lisant Hawking - et il le souligne lui-même - on est très proche de la Science-Fiction. On y retrouve des notions très utilisées dans ces oeuvres aussi bien au cinéma que dans la littérature. Par exemple le concept de "champ de forces". Et tout au long du livre, je n'ai cessé de me souvenir du film "Contact" avec Jodie Foster, qui repose sur cette idée d'Univers Multiples, ou de dimensions innombrables. Cela s'explique, non pas par le fait que les auteurs de SF seraient des prophètes... Mais parce qu'ils prennent le soin de lire les productions scientifiques.
Enfin, Hawking utilise une comparaison qui m'a paru formidable, pour parvenir à expliquer pourquoi nous butons sur cette idée du "début" de l'Univers, ou de ses limites physiques. Il nous compare avec les hommes d'autrefois qui pensaient que la Terre était plate, et que si on parvenait au bord du monde, on tombait... En fait, si vous allez au pôle Sud, vous ne tombez pas. Et pourtant vous êtes bien à l'extrémité Sud de la Planète. Mais vous n'êtes pas au bord du monde, il n'y a pas de bord du monde. Tout dépend du modèle que l'on utilise. Il faut accepter d'en changer pour commencer à comprendre.
Bonne nouvelle : l'Univers expliqué par la physique quantique est tout de même plus passionnant que celui, figé, des Religions. Il est sans limites.
Et le plus incroyable dans tout ça, et Hawking le souligne, c'est que l'être humain, en aussi peu de temps sur terre, et malgré des périodes de stagnation, est déjà parvenu aussi loin dans la compréhension de l'Univers.