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28 janvier 2012 6 28 /01 /janvier /2012 22:59

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Un monument réussi de 700 pages à la mémoire de l'attachant H.G Wells : voici le dernier livre que je viens de finir, sans avoir éprouvé le moindre découragement, malgré le caractère un peu répétitif des mésaventures du personnage.

 

Je n'y ai pas retrouvé l'humour dévastateur habituel de David Lodge (l'auteur sacré de ma femme, pour lequel je n'ai pas la même passion, mais que j'apprécie toutefois). Mais j'ai parfois souri devant les malheurs de cet anti conformiste sympathique s'emmêlant dans des interminables intrigues sexuelles, incapable qu'il est de résister à l'appel de la chair, dans cette société anglaise corsetée du début du vingtième siècle.

 

Si vous ne remettez pas immédiatement H.G Wells, sachez que vous le connaissez. C'est le grand pionnier de la science fiction et de la littérature d'anticipation. Sans lui, point d'Orwell, ni d'Huxley, ni de Barjavel, ni sans doute d'Aasimov ou de K Dick.

 

"La guerre des mondes", "l'homme invisible", "l'Ile du Docteur Moreau", "la machine à remonter le temps": quelques uns de ses titres, au sein d'une oeuvre gigantesque et foisonnante.

 

H.G Wells, aujourd'hui un peu oublié en tant qu'écrivain (excepté semble t-il dans son pays), fut une figure intellectuelle majeure dans les premières décennies du siècle dernier, et connut un succès à dimension planétaire. Certes, son talent s'érode à la fin de la première guerre mondiale, même s''il continue à écrire avec profusion, mais sans connaître le même succès ni plus produire de livres marquants. Le roman scientiste n'est plus en cour ; et pour la génération nouvelle, qui expérimente de nouvelles formes d'écriture (Joyce en est le fleuron), Mr Wells est une vieille lune au rationnalisme désuet.

 

Lodge lui consacre une véritable biographie détaillée, sous la forme d'un roman, mal titré "Un homme de tempérament" (je ne sais pas ce que ça signifie, et ça ne cadre pas avec ce que j'ai lu). Cette forme romancée semble inutile, je l'ai entendu à la radio, à certains critiques. Je ne partage pas cette impression : grâce à cette option, Lodge parvient à conférer à son oeuvre une dimension d'identification et une bonne dose d'humour, mais aussi de compassion à certains moments. Cet homme qui a eu le bonheur d'échapper à nombre de catastrophes individuelles bien que traversant les moments historiques parmi les plus difficiles de l'Histoire humaine, a tout de même souffert comme tout esprit lucide réfléchissant sur cette époque. Et en tant qu'homme épris de liberté, et la vivant contrairement à bien des plumes progressistes, il a essuyé les plâtres avec quelque difficulté.

 

H.G Wells, c'est la dernière flamme du scientisme flamboyant. C'est un des derniers représentants de l'optimisme pacifique de la raison, qui va se fracasser sur le réel avec la première guerre mondiale. Un rationnaliste de premier plan, déroutant par son don de l'anticipation (il imagina les tanks, la bombe atomique, et l'évolution de la guerre).

 

Ainsi H.G Wells adhère au socialisme, qui lui apparaît comme la manifestation de la raison dans l'Histoire. Ce socialisme anglais étrange, celui des Fabiens, ces ancêtres des "think tanks" d'aujourd'hui. Une société d'intellectuels bourgeois progressistes, à la fois réformistes et utopiques. Il y a de quoi les moquer, et Wells lui-même tenta (il échoua) de secouer ces socialistes de salon. Mais il faut leur reconnaître une certaine influence sur des bienfaits dont nous avons hérités. Beveridge, l'inventeur de la sécurité sociale, fut une de leurs jeunes recrues.

 

Ce roman est une exploration du milieu progressiste intellectuel anglais (dont le féminisme et ses tendances différentes sont un aspect parmi d'autres), où "HG" s'était hissé par son talent, lui-même venant d'un milieu populaire sans attrait pour la vie des idées, et il nous permet d'apprécier les débats littéraires de l'époque (le romancier des idées qu'était Wells s'opposait à la théorie du roman plus subjectif d'Henri James). Mais l'essentiel n'est pas là.

 

L'essentiel, c'est que ce roman apparaît à la fois comme un prélude, et un immense développement, du roman marquant dont on a déjà parlé ici : "La plage de Chesil' de Ian MC Ewan.( Sale nuit de noces) Cette petite histoire qui concentre tout le malaise que la société anglaise ressent à l'égard de "la chose".

 

Car la vie d'HG Wells, grand passionné de femmes, apôtre de la liberté sexuelle, défenseur, théoricien, et praticien émérite de l'Amour Libre, c'est un combat permanent pour être heureux et concilier sa vie d'homme public, d'écrivain apprécié et respectable, de militant socialiste, et de séducteur.

 

Un séducteur, c'est important, qui n'a rien à voir avec Don Juan. Car il respecte les femmes, leur est fidèle à maints égards, ne leur ment jamais (ou presque), leur est infiniment loyal, les considèrent comme son égal.

 

Les progressistes anglais ont beaucoup de mal à accepter qu'on tire les conclusions pratiques de leurs grandes idées. Et ils le feront payer à H.G Wells, en le traitant en corrupteur de jeunes oies naïves et vulnérables (elles n'en avaient rien bien entendu...). La vieille garde fabienne se servira de sa vie privée tonitruante pour faire échec à sa tentative de donner un cours plus populaire, et moins conservateur sur le plan des moeurs, à leur mouvement. Il fut poussé à renoncer à son engagement.

 

Le roman est donc une longue évocation des aventures amoureuses et/ou érotiques de ce dédramatiseur de "la chose". Et de ses tourments car il se heurta sans cesse à l'hostilité des familles, à la malveillance des rumeurs. Dans cette société anglaise certes coincée, mais tout de même plus complexe qu'il n'y paraît : c'est aussi le pays de la liberté ; on vous y attaque verbalement mais on ne s'en prend pas directement à vous, et ceux qui s'invectivent dans les articles et les relations épistolaires partagent souvent le thé ensemble en fin de semaine.

 

Mais les ennuis incessants d'H.G ne sont pas seulement dus au contexte social et historique qu'il participe à ébranler, par ses romans parfois audacieux et ... par l'action directe en quelque sorte. Ses ennuis sont aussi de dimension plus anthropologique. Vivre l'amour libre, ce n'est pas si facile, et ça expose à bien des tourments. H.G aura bien du mal à se retrouver sur la même longueur d'ondes que ses nombreuses compagnes successives, qu'il s'agissent de jeunes intellectuelles, de veuves chauffées à blanc... Il ne cessera de se se débattre avec les malentendus, trouvant des équilibres toujours précaires et sans cesse remis en cause, tentant de trouver une voie entre une monogamie décevante mais si vite convoquée, et la variété des amours et des expériences. Il trouvera la voie de la volupté souvent, mais jamais celle de l'apaisement ou d'un bonheur complet. Ecrire la vie d'H.G Wells n'est donc pas simplement moquer la pudibonderie post victorienne de l'angleterre et rendre hommage à un libérateur, mais en même temps poser la question de la vie affective à une échelle plus intemporelle et universelle.

 

Sous ses dehors d'un roman sur les ennuis d'un personnage sympathique, qui se débrouille comme il peut avec sa passion pour les femmes, "Un homme de tempérament" est un livre profond sur l'Angleterre, sur son identité particulière, unique. Je me risque à suggérer que tout lecteur intéressé par nos voisins d'outre-manche ne rate surtout pas la découverte de ce roman de David Lodge.

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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