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22 juin 2012 5 22 /06 /juin /2012 08:33

le-bloc-gf.jpg Avec "Le Bloc", Jérôme Leroy nous livre un roman noir politique de bonne facture. Je viens de le lire pendant cet entre deux tours de législatives. Quinzaine sinistre qui aura vu la digue dressée par De Gaulle entre la droite dite républicaine et les héritiers de Vichy céder comme celle du lac Ponchartrain. C'est tout le propos du roman que de creuser cette hypothèse jusqu'à son terme, celui d'un possible gouvernement d'union des droites.

 

Les noms ont été changés pour éviter des procès inutiles. Mais on reconnaît tous les protagonistes, depuis Jean-Pierre Stirbois jusqu'à Bruno Mégret féminisé. Marine Le Pen, c'est Agnès Dorgelles. Et, alors qu'approche l'élection présidentielle ressemblant à celle de 2012 et que la France est en proie à une résurgence cette fois-ci meurtrière des émeutes de 2005, la fille du chef historique du "Bloc" est à la Lanterne, en train de négocier l'entrée au gouvernement de son parti pour remettre de l'ordre à balles réelles.

 

Au cours de cette nuit, on va suivre alternativement deux personnages du "Bloc". Deux visages complémentaires et très différents de l'extrême droite française, jusqu'ici très liés, mais violemment séparés par l'enjeu de la négociation nocturne.

 

Il y a Antoine, le mari d'Agnès Dorgelles. Une sorte de Max Auer français (le héros des "bienveillantes"). Intellectuel border line, romancier, fasciné par la violence. Fasciste par esthétisme et par amour fou pour la nouvelle chef du "bloc".

 

Il y a "Stanko", responsable de la sécurité et donc des très basses oeuvres du "bloc". Issu de la classe ouvrière laminée par la disparition de la sidérurgie. Ancien skin head ultra violent, passé par le métier des armes, ayant à son actif nombre de meurtres et diverses saloperies inimaginables. Totalement dévoué au "bloc" et surtout au Chef historique, et à Agnès et Antoine, ce dernier l'ayant pris sous son aile. Stanko est homosexuel. Une figure obligée des romans portant sur la peste brune. Ca doit les énerver forcément...

 

Ces deux mondes, celui effrayant (je l'ai croisé à sciences po) des intellectuels à tête rasée-dégradée, fêrus de préparation militaire, qui sont brillants et savent exactement ce qu'ils veulent ;  et l'autre : plus plébéïen, parfois carrément lumpen. Les Lacombe Lucien d'aujourd'hui.

Ils se rencontrent dans l'armée et ont beaucoup à partager. Le diable avec des muscles.

 

Une des conditions que la droite "classique" met à l'alliance avec le "Bloc', en cette nuit, c'est l'élimination de "Stanko", pour des raisons qu'on apprendra. Les troupes clandestines qu'il a lui-même créées et entraînées se lancent à sa poursuite, mais c'est une bête de guerre et donc ça va saigner.

 

En cette nuit clé, les deux personnages très liés se remémorent tout leur parcours. La trajectoire de cette extrême droite qui pourrit notre vie politique  depuis trente ans. L'occasion, à travers l'efficacité du roman, de se souvenir des vraies racines idéologiques et culturelles de ces gens, aujourd'hui honteusement banalisés. Eux, c'est pas un vieux poster original de Bob Marley qu'ils recherchent sur E Bay... Mais si possible des premières éditions de Brasillach et des affiches de la Légion française contre le bolchévisme qui intégra l'armée allemande...

 

C'est un roman d'une belle lucidité sur les raisons, les chemins de traverse, qui conduisent les gens à devenir militants. L'idéologie au départ n'y est pas pour grand chose. Antoine n'est pas raciste pour un sou, il sait juste que ça fait partie de la panoplie. Quant à Stanko c'est la haine due au suicide de son père qui lui sert de référence. Et le militantisme est toujours une forme de socialisation. Les fidélités, les liens, en sont le premier ciment.

 

L'engagement extrêmiste n'est pas dissociable d'un certain trouble mental. C'est ce qu'expose Jonathan Littell dans son étude sur Léon Degrelle ('"le sec et l'humide") et Jérôme Leroy le restitue très bien dans ces portraits.

 

Pourtant Jérôme Leroy à mon sens manque l'essentiel. Ce qui aurait pu transformer son polar politique plaisant (bien que sinistre) en grand roman :  ce qui se joue dans cette fameuse négociation entre droite et extrême droite à la Lanterne. Ce moment n'est qu'un élément de contexte dans le livre. Or, là se joue beaucoup. On peut y comprendre la véritable nature du fascisme. Sa fonction réelle est d'être l'arme lourde du conservatisme social. La droite, qui ouvre ses bras, est la grand absente du livre. Or ce qui est en cause dans cette tentation grandissante de la fusion des droites est d'une gigantesque portée. C'est toute une transformation du monde qui l'explique. Le FN surgit en même temps que le néo libéralisme et la fin du "compromis" social et chrétien démocrate. Tout cela, Leroy l'avait à portée de plume, et il passe à côté. Dommage. Mais l'intuition est là.

 

La nuit de la Lanterne, nous n'en sommes pas passés si loin entre les deux tours de la présidentielle. Que se serait-il passé en cas de crise intérieure ?

 

Au fond, qu'est ce qui a empêché le Président sortant, pourtant disposé à beaucoup pour garder le pouvoir, de franchir le rubicon ?

Tout simplement le fait que la question suivante n'est pas encore tranchée au sein d'une bourgeoisie française largement mondialisée : la réponse nationaliste est-elle une issue ou un suicide pour elle ?

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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