Avec "Le Bloc", Jérôme Leroy nous livre un
roman noir politique de bonne facture. Je viens de le lire pendant cet entre deux tours de législatives. Quinzaine sinistre qui aura vu la digue dressée par De Gaulle entre la
droite dite républicaine et les héritiers de Vichy céder comme celle du lac Ponchartrain. C'est tout le propos du roman que de creuser cette hypothèse jusqu'à son terme, celui d'un possible
gouvernement d'union des droites.
Les noms ont été changés pour éviter des procès inutiles. Mais on reconnaît tous les protagonistes, depuis Jean-Pierre Stirbois jusqu'à Bruno Mégret féminisé. Marine Le Pen, c'est Agnès Dorgelles. Et, alors qu'approche l'élection présidentielle ressemblant à celle de 2012 et que la France est en proie à une résurgence cette fois-ci meurtrière des émeutes de 2005, la fille du chef historique du "Bloc" est à la Lanterne, en train de négocier l'entrée au gouvernement de son parti pour remettre de l'ordre à balles réelles.
Au cours de cette nuit, on va suivre alternativement deux personnages du "Bloc". Deux visages complémentaires et très différents de l'extrême droite française, jusqu'ici très liés, mais violemment séparés par l'enjeu de la négociation nocturne.
Il y a Antoine, le mari d'Agnès Dorgelles. Une sorte de Max Auer français (le héros des "bienveillantes"). Intellectuel border line, romancier, fasciné par la violence. Fasciste par esthétisme et par amour fou pour la nouvelle chef du "bloc".
Il y a "Stanko", responsable de la sécurité et donc des très basses oeuvres du "bloc". Issu de la classe ouvrière laminée par la disparition de la sidérurgie. Ancien skin head ultra violent, passé par le métier des armes, ayant à son actif nombre de meurtres et diverses saloperies inimaginables. Totalement dévoué au "bloc" et surtout au Chef historique, et à Agnès et Antoine, ce dernier l'ayant pris sous son aile. Stanko est homosexuel. Une figure obligée des romans portant sur la peste brune. Ca doit les énerver forcément...
Ces deux mondes, celui effrayant (je l'ai croisé à sciences po) des intellectuels à tête rasée-dégradée, fêrus de préparation militaire, qui sont brillants et savent exactement ce qu'ils veulent ; et l'autre : plus plébéïen, parfois carrément lumpen. Les Lacombe Lucien d'aujourd'hui.
Ils se rencontrent dans l'armée et ont beaucoup à partager. Le diable avec des muscles.
Une des conditions que la droite "classique" met à l'alliance avec le "Bloc', en cette nuit, c'est l'élimination de "Stanko", pour des raisons qu'on apprendra. Les troupes clandestines qu'il a lui-même créées et entraînées se lancent à sa poursuite, mais c'est une bête de guerre et donc ça va saigner.
En cette nuit clé, les deux personnages très liés se remémorent tout leur parcours. La trajectoire de cette extrême droite qui pourrit notre vie politique depuis trente ans. L'occasion, à travers l'efficacité du roman, de se souvenir des vraies racines idéologiques et culturelles de ces gens, aujourd'hui honteusement banalisés. Eux, c'est pas un vieux poster original de Bob Marley qu'ils recherchent sur E Bay... Mais si possible des premières éditions de Brasillach et des affiches de la Légion française contre le bolchévisme qui intégra l'armée allemande...
C'est un roman d'une belle lucidité sur les raisons, les chemins de traverse, qui conduisent les gens à devenir militants. L'idéologie au départ n'y est pas pour grand chose. Antoine n'est pas raciste pour un sou, il sait juste que ça fait partie de la panoplie. Quant à Stanko c'est la haine due au suicide de son père qui lui sert de référence. Et le militantisme est toujours une forme de socialisation. Les fidélités, les liens, en sont le premier ciment.
L'engagement extrêmiste n'est pas dissociable d'un certain trouble mental. C'est ce qu'expose Jonathan Littell dans son étude sur Léon Degrelle ('"le sec et l'humide") et Jérôme Leroy le restitue très bien dans ces portraits.
Pourtant Jérôme Leroy à mon sens manque l'essentiel. Ce qui aurait pu transformer son polar politique plaisant (bien que sinistre) en grand roman : ce qui se joue dans cette fameuse négociation entre droite et extrême droite à la Lanterne. Ce moment n'est qu'un élément de contexte dans le livre. Or, là se joue beaucoup. On peut y comprendre la véritable nature du fascisme. Sa fonction réelle est d'être l'arme lourde du conservatisme social. La droite, qui ouvre ses bras, est la grand absente du livre. Or ce qui est en cause dans cette tentation grandissante de la fusion des droites est d'une gigantesque portée. C'est toute une transformation du monde qui l'explique. Le FN surgit en même temps que le néo libéralisme et la fin du "compromis" social et chrétien démocrate. Tout cela, Leroy l'avait à portée de plume, et il passe à côté. Dommage. Mais l'intuition est là.
La nuit de la Lanterne, nous n'en sommes pas passés si loin entre les deux tours de la présidentielle. Que se serait-il passé en cas de crise intérieure ?
Au fond, qu'est ce qui a empêché le Président sortant, pourtant disposé à beaucoup pour garder le pouvoir, de franchir le rubicon ?
Tout simplement le fait que la question suivante n'est pas encore tranchée au sein d'une bourgeoisie française largement mondialisée : la réponse nationaliste est-elle une issue ou un suicide pour elle ?