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25 février 2013 1 25 /02 /février /2013 22:34

small 519513 L'essai philosophique brillant et accessible d'Olivier Pourriol méritait mieux qu'un titre un peu gadget comme "cinéphilo". L'agrégé et cinéphile-critique se sert du cinéma comme outil de pédagogie philosophique, et dans le même temps esquisse une philosophie du cinéma en tant qu'art tout particulier, dans la lignée de ce que tenta en son temps un Walter Benjamin ( Et l'art ne fut plus jamais le même... (Walter Benjamin)) . L'essai est donc tout aussi philociné que cinéphilo....

 

Cette lecture confirme qu'il n'y a pas d'objet proprement philosophique, il n'y a que des démarches philosophiques. Elle nous apprend aussi que les oeuvres en disent souvent plus long qu'il n'y paraît et qu'elles ne le prétendent elles mêmes, et que le mépris culturel est une erreur et un appauvrissement. Elle nous dit aussi que le cinéma est un art immense de richesse, et pas du tout un pis aller culturel. Si nous nous laissons parfois porter par un film, nous ne devons jamais oublier la puissance et l'importance de l'imaginaire.

 

A partir d'un certain nombre de films, la plupart des block busters (dont on mesure la portée universaliste, participant de leur redoutable efficacité), l'auteur présente les grandes pensées antagonistes de la modernité rationaliste : les concepts élaborés par Descartes et son contradicteur Spinoza.

 

Descartes annonce d'ailleurs lui-même le cinéma, non seulement par ses brillants travaux optiques, mais surtout par cette idée : les humains peuvent devenir "maîtres et possesseurs de la nature". Ils le réalisent mieux que partout ailleurs au cinéma, et devant les films nous avons non seulement l'impression de vivre, mais nous vivons bel et bien... Pour ma part, je suis certain que tant de personnages de fiction, et même certains dessinés, comptent plus dans ma vie que bien des êtres réels. Dire cela, ce n'est pas mépriser ses semblables, c'est savoir qu'on peut encore mieux les approcher avec l'imaginaire.

 

Descartes souligne deux facultés humaines : l'entendement (la compréhension du monde), limité. Et la volonté, illimitée. Ce hiatus est constitutif.

 

Comment affronter ce hiatus ? On peut se replier et atrophier son entendement et sa volonté, comme dans "le village", film de N Shyamalan où des villageois protègent leur jeunesse du monde en peuplant artificiellement la forêt de monstres terrifiants... Pourtant, la volonté d'une jeune femme, qui veut sauver son amoureux en allant chercher un remède à la ville, a raison du repli...

 

La volonté est plus forte, donc. Et un mauvais choix, non éclairé, peut toujours se rattraper par le force de l'entêtement.... C'est ainsi que l'on dit : tous les chemins mènent à Rome.

 

Le personnage qui montre la force de la volonté, c'est Forrest Gump. Il veut courir et puis c'est tout, et en cela il rassemble et donne un sens à sa vie. Ne négligeons pas cependant la force de l'entendement, comme celle d'Ali face à Foreman, décidant d'une stratégie inédite (prendre des coups jusqu'à épuiser l'adversaire, en virevoltant et en l'attirant dans les cordes), ayant raison de tous les pronostics (combat mythique relaté dans "when we were kings").

 

Le deuxième pilier de la pensée cartésienne, c'est la "méthode". D'abord ne jamais considérer comme vrai ce que je ne connais pas comme tel, ensuite diviser les difficultés pour les résoudre, puis les réordonner par la pensée, et enfin énumérer pour vérifier. Ce que Tom Cruise, le tueur organisé de "Collatéral" de Michael Mann met en pratique. Mais c'est tout le cinéma qui est cartésien à travers la recherche de la clarté de l'image (chasser le flou), le cadrage (qui divise, sélectionne), le montage, la narration.

 

Le premier mouvement de la pensée, ce doit être le doute radical selon René. C'est en ce sens que "Matrix", auquel le livre consacre de longs développements, est un film imprégné de Descartes. Dans Matrix, la pensée est la seule action possible. Je pense donc je suis. On y retrouve cette idée centrale, révélée par Descartes, du lien entre géométrie et arithmétique (le repère cartésien, souvenez vous des abscisse et ordonnée....). Notre époque numérique en découle, les effets spéciaux de Matrix en proviennent, et la matrice, c'est à dire la fausse réalité imposée par les machines dans ce film, est une série de codes définissant des espaces.

 

Le cogito de Descartes est une idée. Il repose sur la séparation du corps et de l'esprit. Sur le pouvoir de l'esprit sur le corps. Dans Matrix, cette idée au coeur de la pensée occidentale prend la forme du fameux "bullet time" : ces moments où la pensée a raison de la vitesse des balles.

 

La question de la liberté et du choix est omniprésente dans Matrix. Morpheus propose à Neo un choix initial : celui de la vérité, laide et douloureuse, ou de l'illusion bienheureuse. Neo choisit la pilule de la vérité et bascule. Neo incarne l'Homme libre, qui affronte le "mérovingien" (lambert wilson, incarnation de la pensée matérialiste, qui pense que tout procède d'une causalité) et rencontre l'architecte de la matrice pour qui la liberté est au mieux une erreur de programmation (il est Leibnizien de son côté, car il s'efforce d'expliquer que tout est pour le mieux). L'Oracle, qui doit confirmer qui est le fameux Elu qui libèrera les hommes des machines ne dit jamais à Neo autre chose : tu as les clés, tu es libre.

 

Mais ne mésestimons pas le rôle et la puissance des passions dit Descartes. Et "American Beauty" nous le rappelle, en montrant le personnage de Lester (Kevin Spacey) sortir de sa léthargie à la vision passionnée d'une jeune lolita.... Alain disait que "sans les passions il n'y aurait point de sages".... Un autre film, "the Game", avec Michael Douglas, nous montre un homme reprenant goût à la vie en la risquant et donc en éprouvant sa valeur. Les passions ne sont point inutiles mais nous mettent en activité, permettant à notre volonté infinie de s'exprimer, et par là notre générosité. Une passion peut combattre une autre passion.

 

Le film Spinoziste par excellence, ce serait plutôt "X men", illustratif de sa fameuse phrase géniale : "On ignore ce que peut le corps". Spinoza souligne les "affections du corps" par lesquelles notre "puissance d"agir" augmente ou diminue et produisent les "idées de ces affections". Pour Spinoza, philosophe de rupture dans la pensée occidentale, tout ce qui s'exprime dans le corps s'exprime dans l'esprit et réciproquement. Ils sont une seule et même chose, observée de deux points de vue. Deux modalités du même.

 

La question pour l'homme n'est pas la liberté, mais de devenir "cause adéquate". De trouver sa propre voie. Le chemin de sa nécessité intérieure. L'être humain n'est pas libre au sens cartésien, mais il n'est pas bêtement déterminé comme le dit Lambert Wilson dans Matrix. Il est auto déterminé. Quand on n'est pas cause adéquate, on souffre.

 

Spinoza ne nous conseille pas de chercher ce qui est bien ou mal, mais ce qui est bon ou mauvais. Bon ou mauvais pour chaque formule unique qu'est un être. La question n'est pas ce qui est bien ou mal. Un cyclone, par exemple, n'est pas mal en soi. Il est mauvais parce que sa puissance d'agir détruit votre maison.  Spinoza n'est pas moral, il est éthique.

 

Comme au sein des X men, chacun a sa formule propre qu'il doit découvrir pour être heureux. Chacun est une puissance d'affecter et d'être affecté à la rencontre d'autrui et des évènements. Ainsi une jeune élève du professeur Xavier absorbe t-elle violemment l'énergie des gens qu'elle touche, à son grand dépit. Mais l'issue pour elle est de s'accepter. Les "passions tristes" nous séparent de la compréhension de notre perfection propre. De notre caractère de corps unique.

 

Spinoza, l'air de rien, est un penseur politique. Il est pour la puissance et contre le pouvoir. Il nous dit : débarrassez-vous de l'émulation, de l'imitation, devenez-vous mêmes, ne soyez plus l'esclave de causes inadéquates (les désirs des autres, les intérêts des autres, la manière de voir des autres).

 

Si les mutants X Men dérangent, la pensée spinoziste aussi... Car en résorbant la fracture entre le corps et l'esprit, elle nous rappelle notre animalité et plus largement encore notre situation de corps dans l'univers : toutes choses. Dieu chez le panthéïste Spinoza.

 

Le cinéma nous permet d'éprouver des sentiments liés à des situations et des corps qui ne sont pas les nôtres : la vie de super héros, à qui nous nous identifions comme à ces "semblables" avec qui nous souffrons selon Spinoza. En cela le cinéma est inoui.

 

La pensée matérialiste de Spinoza est un sacré retournement de la pensée : "nous ne désirons pas les choses parce qu'elles sont bonnes, elles sont bonnes parce que nous les désirons". C'est ce que ne comprend pas Edward Norton au début de "Fight club", quand il pense que sa personnalité dépend des objets qu'il choisit. 

 

Highlander est un film spinoziste.... Qui nous permet d'approcher l'idée d'Eternité. Le Prix gagné par le dernier Highlander, immortel victorieux, c'est précisément... la mortalité. La contrepartie logique de la vie. La vie n'a de sens que par la puissance d'exister. L'Etre, c'est la persistance d'être. C'est "le conatus" spinoziste, la puissance d'Etre, qui lorsqu'elle s'exprime au mieux suscite la fameuse Joie dont parle le philosophe. L'éternité, ça ne peut pas être cette tentative, dans le film (étrange, que j'aime bien) "Strange days" de K Bigelow, où il s'agit d'utiliser un appareil permettant de sans cesse revivre les mêmes moments de bonheur... Et donc de revivre sans cesse leur disparition. L'Eternité, ça ne peut être que celle de l'infinie jouissance du présent. Celle du poème de Rimbaud portant ce titre. Celle, mentionnée par O. Pourriol, magnifiquement saisie dans "le nouveau monde" ou "la ligne rouge" de Terence Mallick. Cette idée de l'éternité qu'on retrouvera dans Nietzsche et son "éternel retour", consistant à vivre chaque moment comme s'il devait être éternel.

 

"Blade Runner" de Ridley Scott nous permet aussi de comprendre Spinoza, les fameux répliquants, ces hommes artificiels et programmés pour durer quatre ans devenant humains, car le corps actif réclame évidemment l'esprit. Les répliquants ne peuvent pas admettre de mourir, car ils vivent et la vie est persistance d'être. Conatus. Ils se rebellent donc. "Notre être est un effort" dit Spinoza, et là survient le clash avec Descartes : la volonté ne saurait être indépendante du corps et donc de la causalité, elle est l'expression de la persévérance de chaque être. On ne peut pas vouloir contre son corps. Le suicide est toujours le résultat d'une affectation.

 

Descartes affirme qu'il pense, donc il est.

Spinoza lui rétorque à distance que le mouvement de la vie précède la conscience.

Ils ferraillent et ça continuera dans l'Histoire des idées. Dans les films qu'on regarde.

Entre Baruch et René il nous faut choisir. Ils partagent cependant cette idée selon laquelle la raison nous appartient à tous, qu'elle est partage toujours. Qu'elle est profusion sans limite. Qu'elle est Amour entre les humains.

 

La philosophie, c'est donc de la fraternité humaine, et le cinéma aussi. Pourriol parle de la communauté de la salle de ciné, et je me dis qu'en effet à la fin d'un beau film, nous applaudissons. Pourquoi ? Pour manifester ce sentiment d'avoir du commun. D'avoir vibré ensemble, de nous être identifiés, d'avoir pleuré ou ri pour les mêmes raisons.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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