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28 octobre 2012 7 28 /10 /octobre /2012 08:07

9782715232921.jpg En refermant le tout petit roman (plus un récit à mon sens mais bon...) d'Emmanuelle Guattari, "La petite Borde", j'ai pensé à ce film un peu loufoque de Laurence Ferreira Barbossa dont le titre est "les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel", avec Valérie Bruni Tedeschi. Je l'ai vu il y a très longtemps, mais il m'avait marqué par sa pertinence à brouiller la frontière entre la folie et la normalité.

 

Mais cette pensée de ma part est périphérique. "La petite Borde" ne parle pas de la folie ni de la psychiatrie expérimentale d'un point de vue interne. C'est un peu ce que j'étais venu y chercher je pense, et à vrai dire je ne l'ai pas trouvé. Mais ce n'est pas grave car en chemin j'y ai trouvé d'autres attraits. L'éditeur s'est-il servi du nom de Guattari comme un produit d'appel ? Oui (et ça a fonctionné sur moi). Et le roman aurait-il été édité avec un autre nom d'auteur et sans référence à ce lieu symbole de l'histoire de la psychiatrie française ? Ca nous ne le saurons jamais. Il y a un côté très people chez les intellos. Et l'auteur y cède quand elle raconte que Lacan, pote avec son papa, lui a fait la causette quand elle était petite et lui a prêté des crayons de couleur. Intéressant... Bon.... 

 

Emmanuelle est la fille de Félix Guattari, psychanalyste et philosophe, complice de Gilles Deleuze avec qui ils ont écrit un livre que je n'ai pas lu mais qui a fait date : l'anti oedipe. C'est un fait, et les éditions du Mercure de France n'ont pas été insensibles, en découvrant le manuscrit, au nom et à la référence du lieu évoqué. Le récit a du être lu avec d'autant plus de curiosité que l'auteur ne s'appelait pas Jacqueline Chotard, ou Evelyne Gubluk, filles respectives du psychologue Chotard du Mans ou du psychiatre Gubluk de Villefranche de Rouergue.

 

Guattari fut un déconstructeur actif de la psychatrie asilaire de son temps. La figure de ce qu'on appela l'anti psychiatrie, une critique de l'asile comme système oppressif, dont le symbole resta la pratique des électrochocs et de la lobotomie (et aussi des piqures à l'eau dans les fesses dit-on, même si je ne vois pas à quoi ça sert. Il faudra que je cherche). Il a essayé dans cette clinique de la Borde, dans les années 60, de pratiquer un soin plus ouvert, démocratique, de sortir les aliénés de leur aliénation. Au grand air de la région de Blois. Dans un château. On revint bien entendu des aspects les plus excessifs de l'anti psychiatrie, car justement la folie trouve sa limite dans la liberté en société, par nature, mais elle ne fut pas utopique en vain. La psychiatrie d'aujourd'hui en est aussi l'héritière.

 

Sa fille a vécu là avec d'autres enfants, assez libre au milieu des fous, qui la conduisaient à l'école avec la 2 cv de la clinique. Juste avec l'idée qu'il ne fallait pas trop s'approcher de certains, mais sans trop de précaution. Elle en tire un récit, non pas sur les fous, non pas sur son père célèbre (enfin, tout est relatif, c'est Félix Guattari... pas Jay Z non plus....), mais simplement sur l'enfance. Une enfance dans la vieille France finissante, avant le virage de l'après-mai 68.

 

Une belle série de petits chapitres sur l'enfance, grapillés dans la malle à souvenirs. Un récit de sensation plus que de raison. Evidemment, pour un enfant, ce n'est pas banal de vivre dans cet environnement à la fois très proche de la nature, dans cette France où le rural était encore très prégnant, alors que ses parents sont des intellectuels, et au milieu d'une communauté très spécifique, avec ses fonctionnements singuliers. Mais les enfants ont pour eux la force de l'évidence du monde. Ils s'en emparent et ne se posent pas trop de questions dans un premier temps. Avant d'être une maison de fous, la Borde est une collectivité dans le rural. On y retrouve des souvenirs de colos, de grandes conserves de confitures de marrons et de bêtises à commettre en pagaille. Emmanuelle Guattari y a vécu une existence un peu étrange, auprès de parents avant gardistes mais encore ancrés dans la vieille France très présente. Et sans une conscience réelle de la singularité de cette vie au milieu des malades. Félix Guattari est un père assez original, ramenant un singe d'un voyage par exemple. Et manifestement très détendu dans son rôle paternel.

 

Certains passages sont très intenses et bouleversants, notamment lorsque l'auteur évoque depuis la mort de sa mère, ou plutôt ce qu'elle a produit dans sa représentation du monde. Une absence qui restructure la texture même du monde. De quelques phrases jaillissent des effets de vérité vraiment étonnants. Révélant une âme d'écrivain évidente. Prometteur.

 

On mesure certains changements de civilisation qui personnellement m'ont aussi donné matière à réflexion dans ma vie : le rapport à l'insécurité, qui a profondément évolué. Dans les années 60-70, on n'avait pas cette obsession constante pour la précaution. L'auteur raconte une scène aujourd'hui impensable où elle visite un zoo en famille, les vitres de la voiture ouverte, une girafe glissant sa tête dans l'habitacle pour piquer un chapeau.... J'ai moi-même vécu des scènes presque similaires. On était plus décontacté, quoi... Il y aurait tant à dire sur ce sujet. Mais un motif de ce changement m'est apparu à la lecture de ce récit : la proximité de la guerre mondiale n'y est peut-être pas tout à fait pour rien. Quand on a vécu des évènements hors de toute comparaison, on doit relativiser un peu les risques du quotidien. Dans les années 60, le souvenir de la guerre est encore très fort. Il est omniprésent dans les discussions à table. Il ne commence qu'à s'estomper dans les années 70, avec la génération du baby boom qui transmet une autre expérience à ses enfants.

 

C'est un joli petit récit  mais sans ambition cependant, en dehors de celle de ces effets de vérité assez poignants et réussis. Dommage. J'aurais aimé que Mme Guattari allie à son talent d'aquarelliste un pouvoir d'évocation dans la durée, un obstination, une volonté de penser cette expérience. On lit ce petit roman mignon (quoique donnant sa petite part au sordide), sans nostalgie (ce n'est pas sur cette note que l'auteur joue), avec le plaisir de sentir resurgir nettement des clichés de sa propre enfance (les pâtes alphabétiques au fond de la soupe par exemple). Elle crée le lien avec le lecteur en partageant nos madeleines de Proust. Oui c'est joli, mais on a le sentiment de manquer un roman d'un autre ampleur. 

 

Si les gens normaux n'ont rien d'exceptionnel, ce petit roman ne l'est pas non plus. Mais on attendra la suite possible de l'oeuvre de Mme Guattari avec une légitime curiosité, de splendides dispositions émaillant ces lignes

 

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commentaires

C
Emmanuelle Guattari is one of my favorite authors. I think before becoming an author he worked as a psychoanalyst expert in a hospital in his country. He shared some story regarding that in some of his novels. I will try to read his new book In The Castle Crazy.
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F
...le tapuscrit d'Emmanuelle n'a pas dû rester longtemps sous la pile de centaines d'enveloppes kraft "en attente", et de ceux qui ne seront jamais édités mais dont la qualité littéraire est réelle<br /> (le ratio des oeuvres retenues est de 1/1000...on comprend pourquoi les auteurs sont tentés par le livre numérique...autre débat...), le responsable éditorial n'a sans doute pas trop tergiverser<br /> sur les termes du contrat d'édition. Comment est sélectionnée une oeuvre publiée ? Sur quels critères ? Par qui ? Nous voilà avec le livre de Mme Guattari avec un élément de réponse sur les<br /> critères de choix d'un responsable éditorial : faire des patronymes prestigieux de la pensée des "marques"...en plus de quelques autres stratégies du marketing littéraire comme dans certaines<br /> Graaaandes maisons d'édition ... le coup du "premier roman" dont l'auteur bénéficiera d'une promotion de diffusion telle qu'il pensera à écrire une seconde oeuvre et là Bim se retrouvera aussitôt<br /> lâché à peine le second écrit... Bah... "manque plus qu'une émission de télé-réalité genre "nouvelle star" où l'on demanderait à Emmanuelle Guattari d'écrire un scénar pour Emilie Deleuze ...."Dans<br /> le monde réellement inversé, le vrai est un moment du faux » G.D<br /> Pas grave. Ecrivons, écrivons, continuons...
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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