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3 janvier 2014 5 03 /01 /janvier /2014 10:02

  tumblr_m1txeheo0D1qfdbuoo1_500.jpg Hannah Arendt, qu'on croise souvent dans ce blog, et Gershom Scholem, cabbaliste et grande figure intellectuelle juive, se sont connus en Allemagne avant la deuxième guerre mondiale. Ils ont cheminé ensemble, divergé, et ont correspondu longtemps.  

 

Leur correspondance débordante de passion pour le monde, le savoir, l'Histoire, qui s'étire de 1939 à 1963 ( Arendt vit aux Etats Unis depuis sa fuite d'Europe en 1940 et voyage régulièrement, Scholem est parti en palestine dès 1923, troquant le prénom Gerhardt pour Gershom), aura survécu à une grande crise, celle de leur litige autour de la création de l'Etat d'Israël.

 

Mais après s'être consolidée autour d'objectifs communs, elle n'aura pas su surmonter un second conflit, très dur, autour du livre d'Arendt sur le procès Eichmann, où la "meilleure élève de Heidegger" met fortement en cause la responsabilité des conseils juifs dans l'accompagnement de l'extermination, et développe son concept polémique de "banalité du mal". Disons le de suite, il ne signifie pas que le mal est banal, mais que le mal s'épanouit en se répandant au moyen de vecteurs médiocres, de bureaucrates et Misters Nothing comme ce petit homme gris qu'était Eichman.

 

 

Cette correspondance splendidement digne, de très haute volée, assez peu personnelle et intime, ou plutôt sans étalage affectif, sauf en de brefs éclairs et de petites mentions pudiques, nous en apprend beaucoup sur ces deux personnages qui ont aussi leurs petitesses, leur mesquinerie humaine, leurs réflexes médisants (ça dit souvent des méchancetés sur un tel ou un autre, comme tout le monde. Brecht, Adorno, Horkheimer, Koestler ont eu les oreilles qui sifflaient). Le génie d'Arendt ne s'y épanouit pas, mais surgit ici ou là, de manière décisive. Elle est ausssi très instructive sur "la question juive" appréhendée depuis des points de vue revendiqués comme juifs, très divers et complexes, contrairement à ce qu'on voudrait laisser croire du "sionisme" parfois caricaturé comme une pensée impériale simpliste.

 

Mon engouement va vers Arendt, j'ai envie de dire évidemment, puisque je la lis et que je l'admire, et Scholem m'est moyennement sympathique à vrai dire. Je le trouve assez hautain, doté d'une conscience aigue de sa valeur d'intellectuel, trop sûr de lui, très demandeur. Et sur le fond, je partage les positions de sa correspondante, et je trouve qu'il s'en désolidarise facilement.

 

 

C'est aussi un beau parcours interrogeant l'amitié, ses ressorts et ses maillons faibles par lesquels elle casse. Ce ne sont pas les opinions proprement dites qui brisent une amitié véritable, quand il s'agit d'âmes élevées en tout cas. Mais c'est l'atteinte ressentie à des principes fondateurs d'une personnalité, que l'on ne peut plus discuter plus avant. Lorsque cette limite, celle de l'indiscutable, du principe inamovible, est franchie par l'interlocuteur, lorsque le sentiment d'une intégrité affectée est là, alors le silence prend la place presque naturellement. Le feu est éteint. Il n'y a pas de rupture verbalisée entre Arendt et Scholem, mais Arendt cesse un jour d'écrire, un point c'est tout. Scholem relance une fois, et puis l'histoire se termine. La discussion était close, en somme. Une frontière irréversible avait été franchie dans l'expression, qui avait sapé l'envie du dialogue, et son besoin aussi, et d'une certaine manière tout était dit : pas au sens de l'épuisement d'un contenu ; mais plutôt au sens où, des choses définitives ayant été prononcées, la discussion banale n'était plus possible.

 

 

Pourtant, les deux correspondants s'efforcent tout le long de séparer leur amitié et leurs désaccords, notamment en signifiant que les idées ne résument pas les gens. Il y a cette merveilleuse phrase d'Arendt :

 

 

"un être humain vaut plus que ses opinions, pour la simple raison que les hommes sont de facto plus que ce qu'ils pensent ou font"

 

 

Mais l'amitié et le respect, passent aussi par la sincérité, et là est le précipice. Ils ne turent pas leurs désaccords, ce qui signifie de peser les mots. Ne pas blesser certes, si possible -mais est-ce possible ?- et dire son fait. L'amitié c'est prendre au sérieux, c'est donc lire l'autre, le méditer à fond, et ne rien lui passer, être impitoyable même. La vie et la mort de l'amitié se trimballent autour de cette ligne dangereuse et si attirante.  

 

Des liens importants les rassemblent. Ce sont deux intellectuels juifs allemands, très attachés à la liberté et très méfiants à l'égard des grands discours idéologiques, conscients de la faillite communiste très tôt sans avoir donné dans la réaction droitière (Scholem se dit même politiquement anarchiste à un moment). Ils ont gravité dans les milieux progressistes sans en être. Ils se sont interrogés sur le devenir des juifs européens. Ils ont surtout partagé une passion pour un même personnage : Walter Benjamin, qui hante tout le livre. Ils partagent tous deux la conscience d'avoir fréquenté et perdu absurdément, par suicide, un génie. Le sentiment de cette perte immense, dont Arendt confesse ne pas se remettre sept ans plus tard (et donc rechigne à écrire à son sujet), les unit profondément, et les associe dans l'action. C'est Arendt qui apprend par lettre le suicide de "Benji" à Scholem. Ils ne cesseront ensemble, d'essayer de faire publier Benjamin, et sans doute ont ils semé une part de son succès actuel. Il est émouvant de les voir se démener pour convaincre des éditeurs, s'occuper de détails d'introduction, de parution dans des revues, alors qu'ils sont à des milliers de kilomètres de distance.

 

 

Il essaient, tous deux, de se remettre du naufrage européen. De l'extermination de millions des leurs, de la disparition de cette vie juive européenne où ils vécurent leurs jeunesse. Le lien les soutient, ils s'épaulent, comme deux stoïciens qui connaissent aussi leurs moments de faiblesse ; qui souffrent, en particulier, lors de leurs visites en Allemagne, où l'ambiance est irrespirable après guerre :

 

"Allons Gerhard, rafistolez vous donc le cœur. Faites comme Ulysse , à lui aussi, les dieux ne purent donner qu'un cœur impossible à toucher parce que, empli de ruses, il ne cessait de se régénérer. Vous savez bien que ce n'est pas encore la fin, les choses peuvent tout de même toujours être encore plus graves. Et même la fin, on devrait être en mesure de la surmonter (c'est à dire pas forcément d'y survivre)".    

 

Ou plus tard, encore Arendt, au sujet des difficultés à s'entendre avec les institutions allemandes, au sujet des restitutions de livres :

 

"Il est une méfiance qui peut être tout aussi aveugle que la confiance. En d'autres termes, on peut opter pour le point de vue selon lequel tout le monde ment, tout le monde dissimule, personne n'est de bonne volonté - mais alors on touche vite au terme de la discussion, et de toute action possible".

 

 

J'ai été empli d'admiration devant ces deux êtres, qui se retrouvent sur l'océan incertain du monde, devant affronter la découverte des camps ou moururent tant de gens connus d'eux, pour le simple fait qu'ils existaient, comme eux. Et qui ne se plaignent que peu, si peu. Qui essaient tout de suite d'agir dans leur domaine, celui de la culture, pour rebâtir. Des philosophes.

 

 

Car leur grande affaire commune, hormis Benjamin, c'est le combat pour la reconstruction de la mémoire du peuple juif, la survie de son patrimoine culturel et historique. Ils s'y lancent à fond durant plusieurs années, et Arendt en fait son travail. Membres de la Jewish Cultural Reconstruction, une fondation américaine, ils se consacrent à la recherche des archives, bibliothèques, manuscrits, documents, volés aux communautés européennes et dispersées dans toute l'Europe. Une aventure dantesque, opiniâtre, car évidemment la reconstruction a d'autres priorités en Europe, tout cela a un coût, la honte est là, et en Allemagne certains bureaucrates ne sont pas passés au tamis de la dénazification. C'est une partie importante de la correspondance, à la fois fascinante et rébarbative de par la somme des détails, incompréhensible et admirable. Si Arendt n'est pas sioniste, elle adhère plus que les sionistes à l'idée du sauvetage du patrimoine culturel, et à sa récupération en des milieux qui en auront l'usage, au premier chef l'université israelienne.

 

 

Qu'est ce qui les sépare ?

 

 

Arendt n'est pas pour la création d'Israël, elle aurait été favorable à une nationalité juive inter européenne, et s'il faut aller au moyen orient parce que les pays européens son hypocrites et honteux et que les juifs veulent tourner la page, elle est pour une vie fédérative unissant la région, et pour la séparation de la religion et de l'Etat. L'avenir lui donnera raison. La grande crainte d'Arendt, c'est le nationalisme, car elle saisit justement que l'Etat Nation va s'étioler, et donc que l'idéologie nationaliste risque à l'avenir de perdre son caractère émancipateur, pour trouver refuge dans le racisme et l'exclusion, comme manière de combler ses bases disparues. Elle a les plus grandes craintes pour les juifs israeliens et s'inquiète de l'ignorance du sort des palestiniens.  

 

 

Scholem est sioniste. Hannah l'a été, au début de la guerre, ou elle travaillait à envoyer des colons en Israël, mais c'était alors prendre parti pour son peuple traqué (elle regrettera aussi ne pas s'être affirmée de gauche, par solidarité avec les victimes du mac carthysme, et elle en voudra aux anciens communistes convertis qui utilisèrent des clichés libéraux pour régler son sort au socialisme. Le parti pris des opprimés, c'est son inclination). S'il partage les constats de son amie, Scholem habite en Israël, et se veut réaliste : on ne veut pas des juifs là bas de toute manière. La politique n'y fera rien.   

 

 

Mais la polémique autour d'Israël, très âpre (Scholem qualifie l'essai d'Arendt sur le sionisme de "folie politique") sera dépassée, car les faits sont là, et Israël devient une réalité avec laquelle il faut compter, Arendt est trop intelligente pour continuer la polémique. Et 1967 est encore loin.

 

 

C'est autour du procès Eichmann que les désaccords vont s'enflammer, de manière irréversible au final.

 

 

 Scholem est d'une dureté terrible avec Arendt, dont il analyse le texte froidement, avec quelques accès de rage ("quelle perversité !"). Il l'accuse non seulement de fausser la réalité, mais surtout de sécheresse humaine. Arendt, dure au combat des idées, comprend qu'il se retient, mais qu'il est tout prêt de lui asséner que son moteur est la haine de soi. Ne pas suffisamment aimer le peuple juif, en usant d'acrimonie envers les erreurs de ses dirigeants dans les ghettos, c'est pour Scholem une insuffisance impardonnable. Scholem n'a pas mesuré, sans doute, la peine que ses propres mots ajoutaient à une campagne massive contre elle.  

 

 

 

Arendt, il est vrai, porte le fer, en pointant nettement la responsabilité des dirigeants juifs. Ce qui peux s'avérer d'une explosivité émotionnelle inimaginable: "il n'existait pas de possibilité de résister, mais il y avait une possibilité de ne rien faire. Et pour ne rien faire, il n'était pas nécessaire d'être un saint (...) Cette possibilité de non-participation est manifestement décisive pour juger des individus, pas du système. Or, c'est à un individu que nous avons eu affaire au cours du procès Eichmann". Aussi convaincante que soit Arendt (et d'ailleurs le procès a soulevé cela), cette manière concise de pratiquer une équivalence entre conseils juifs et Eichmann l'exposait à de rudes réactions.

 

 

Il faut mesurer ce qui est en jeu, symboliquement, politiquement. On discute autour de la responsabilité de l'extermination des juifs européens, rien de moins. Scholem a conscience du poids de ces échanges et demande à Arendt leur publication, qu'elle accepte.

 

 

 Il y a alors ce passage, d'une intelligence à mon sens éclatante, où Arendt démontre toute sa grandeur, sa capacité à tracer sa propre voie dans le siècle, à échapper aux catégories établies, bref à incarner une créatrice authentique de pensée et de vie :  

 

    "je n'ai jamais de toute ma vie "aimé" quelque peuple ou collectif que ce soit, ni l'allemand, ni le français, ni l'américain, ni par exemple la classe ouvrière ou quoi que ce soit de cette gamme de prix. Je n'aime en fait que mes amis, et suis tout à fait inapte à tout autre amour. Mais, deuxièmement, cet amour pour les juifs me serait suspect étant juive moi-même. Je ne m'aime pas moi-même, pas plus que je n'aime ce qui compose ma substance (...) Pour vous faire comprendre ce que veux dire, j'aimerais vous raconter une discussion avec Golda Meir (...) Nous parlions de l'absence, selon moi funeste, de séparation entre la religion et l'Etat en Israël, une situation qu'elle défendait. Elle me dit en substance (...) "Vous comprendrez qu'en tant que socialiste je ne croie pas en Dieu, je crois au peuple juif." J'estime qu'il s'agit d'une phrase épouvantable (...) j'aurais pu rétorquer ; la grandeur de ce peuple a jadis été de croire en Dieu (...) Et voila que ce peuple ne croit plus qu'en lui-même ? Que voulez-vous que cela donne ?- Bref dans ce sens, je n'"aime" pas les juifs et je ne "crois" pas en eux, j'appartiens seulement de manière naturelle et factuelle à ce peuple (...) Ce qui vous trouble ici c'est le fait que mes arguments et mon mode de pensée ne sont pas anticipables. Ou, en d'autres termes, que je suis indépendante. Et en disant cela, j'affirme d'une part que je n'appartiens à aucune organisation et ne parle jamais qu'en mon nom propre, et d'autre part que seul le fait de penser par vous mêmes peut nous apporter quelque chose".  

 

Dans la polémique entre Arendt et Scholem s'expriment des considérations encore majeures pour notre temps. Cette idée d'Arendt selon laquelle le mal n'est pas "démoniaque" mais que c'est un champignon empoisonné qui se répand à la surface banale du monde. Scholem avait sans doute une difficulté à admettre cela, car ce n'est pas compatible avec l'idée de Shoah, avec la continuité d'une pensée théologique juive peut-être. La catastrophe doit pouvoir être insérée dans la croyance, or l'analyse ultra politique d'Arendt rompt avec cette logique. Mais Scholem ne répond pas en ces termes, il indique juste qu'il pense que les bourreaux prenaient du plaisir.

 

 

Et Arendt pose la question d'une possible critique juive de la politique d'Israël (en l'occurence de la manière dont l'accusation a conduit le procès, sous la direction à peine déguisée du gouvernement). Celui qui critique Israël (qui critique le sionisme aussi pour Arendt), est il antisémite ? C'est un sujet qui a été soulevé de nombreuses fois ces dernières années. Et des juifs ont été qualifiés d'antisémites. Arendt soulève déjà le problème en 1963 :

 

 

" Un antisémite est un antisémite, et non un juif auquel il arrive aussi, parfois, de s'exprimer en termes critiques sur des choses juives, et qu'il ait raison ou tort ne fait aucune différence. Il est tout aussi naturel qu'un peuple frappé par les persécutions ait tendance à classer parmi les ennemis et les persécuteurs quiconque ose émettre la moindre remarque"...

 

... Et elle ajoute pour Scholem : "ce qui ne l'est pas c'est que vous suiviez le mouvement".

 

 

Cette amitié était ancrée dans le passé. Autour de la figure de Walter Benjamin, autour de la passion pour l'Histoire, pour celle du peuple juif. Arendt admirait et défendait l'oeuvre d'historien religieux de Scholem. Les deux amis se sont rabibochés une fois autour de cette lutte pratique, experte, pour sauver les traces d'une humanité assassinée. Leur nostalgie commune était évidente, Arendt étant très partagée sur les Etats Unis (un pays imperméable à la philosophie selon elle), et Scholem n'ayant pas d'illusions si grandiloquentes sur le présent de son peuple et sur l'expérience nationale qu'il contribuait à fonder.

 

Le passé n'a pas suffi à ce que l'amitié soit éternelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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R
Je profite de la nouvelle année pour vous féliciter pour la qualité — et la quantité — de votre travail sur ce blog. Je sais que c'est une passion, mais le résultat est assez impressionnant,<br /> bravo.<br /> <br /> Un autre blogueur littéraire toulousain — espèce en voie de disparition.
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J
<br /> <br /> merci collègue !<br /> <br /> <br /> <br />

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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