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15 octobre 2011 6 15 /10 /octobre /2011 16:30

gauche Les éditions "Lignes" ont republié un texte écrit par Dionys Mascolo, philosophe proche des "Temps Modernes"  de Sartre et longtemps compagnon de Duras, fugacement communiste. Ce texte écrit après mai 68 est intitulé "Sur le sens et l'usage du mot "Gauche". Cet écrit a aujourd'hui une certaine dimension anachronique bien entendu, mais il permet cependant de saisir de manière frappante certaines questions invariantes.

 

Les Primaires françaises auraient pu être l'occasion inespérée de s'interroger sur ce mot. Car il s'agissait de donner un pouvoir de choix à un corps politique inédit : "les gens de gauche".  Le moment était idéal pour s'interroger à fond sur son sens. Mais ce processus de désignation, s'il a démontré l'intérêt des citoyens pour l'avenir de la gauche, n'a pas permis d'avancer dans la résolution des interrogations profondes et des non dits immenses qui enlisent le camp progressiste.

 

Depuis la chute du bloc soviétique, depuis la grande offensive néolibérale surfant sur la globalisation, la gauche est sur le reculoir. Elle ne parvient pas à formuler un projet de société clair et une stratégie persuasive et mobilisatrice. Ses concepts historiques sont attaqués, floutés, et elle doute elle-même de leur pertinence quand elle ne les a pas répudiés : il en est de l'"égalité" par exemple.

 

Elle n'est plus au pouvoir nulle part en Europe, et quand elle gouverne encore c'est pour assumer toute honte bue le programme des marchés financiers, comme en Grèce. La social-démocratie, empêtrée dans le cadre national, piégée par une mondialisation qu'elle a favorisée lorsqu'elle était au pouvoir, bureaucratisée par son institutionnalisation , échoue dans ses tentatives d'humaniser le système capitaliste ou de le remplacer graduellement. Et ne sait plus à quels objectifs se vouer, s'en remettant à l'habillage sémantique de son désarroi. Aux Etats-Unis, la "gauche" démocrate ne s'en sort pas mieux. Seule la gauche latino-américaine parvient à susciter un engouement populaire, à aller de l'avant, ne suscitant d'ailleurs pas un intérêt immense  dans le monde, excepté pour y reprendre des symbôles, mais pas vraiment pour en analyser le cours et les leçons. Les gauches clairement anti libérales, les courants plus révolutionnaires, ne s'en sortent pas vraiment mieux. Et restent mutiques devant leur incapacité à tirer profit de la crise du capitalisme et des désillusions de la social démocratie. En Afrique et en Asie, la gauche est marginalisée.

 

La crise du capitalisme à son stade financiarisé, éclatant en 2008, aurait du susciter un coup de balancier à gauche, une remise en cause brutale des préceptes libéraux qui ont mené à l'impasse. Et bien non... la gauche se retrouve de plus en plus acculée à chaque étape de la crise. Les masses écoeurées se tournent vers les réponses nationalistes, écoutent les sirènes chantant la haine, la peur et le repli. Et en se focalisant sur la question des Dettes publiques, la droite a très vite imposé sa lecture libérale de la période.

 

Face à un si terrible tableau, il me paraît nécessaire, si l'on ne s'en tient pas à l'état actuel du monde, de se réinterroger sur les sources de ce mouvement historique qualifié de "gauche" (il est ironique de voir en ce mot un synonyme de "maladroit", comme le souligne Mascolo), sur les expériences passées, sur les échecs et les legs, sur les vieux textes. On remarquera, si on lit ce blog de temps en temps, que les lectures évoquées ont souvent trait à cette interrogation. Et ce n'est nullement un hasard. Promenez vous y et vous croiserez Rosa Luxembourg, Léon Blum, Robespierre, Flora Tristan, Léon Trotsky, Roosevelt, Mendès France, Gramsci, La Boétie, les républicains espagnols de 1936 et leurs descendants démocrates de 1982... Et bien d'autres. La culture, disait Goethe, c'est "la conversation avec les morts".

 

Dionys Mascolo note un point encore fondamental aujourd'hui : "il est dans la nature de la gauche d'être déchirée. Cela n'est nullement vrai de la droite". Cette division est une tare congénitale de la gauche, partout dans le monde. Dans une chanson militante pour se moquer des trotskystes, il est dit : "A deux c'est une tendance, à trois c'est la scission"... On n'en sort pas. La droite est moins regardante à faire synthèse. D'où vient cette maladie chronique ?

 

La réponse de Mascolo me paraît convaincante et limpide. Je la cite intégralement, car elle mérite d'intégrer le panthéon de ces phrases soulignées dans un livre, qui touchent au but, formulant et ciblant enfin, une réalité confuse que vous subudoriez sans parvenir à la caler dans l'objectif...

 

" C'est que la droite est faite d'acceptation, et que l'acceptation est toujours l'acceptation de ce qui est, l'état des choses, tandis que la gauche est faite de refus, et que tout refus, par définition, manque de cette assise irremplaçable et merveilleuse : (...) l'évidence et la fermeté de ce qui est".

 

Les conservateurs savent ce qu'ils défendent, les progressistes doivent inventer un monde nouveau, dont les plans ne sont pas distribués en grande surface... Mais de plus, ils sont en désaccord sur ce qui est insupportable dans le monde, sur l'analyse de ces choses qui nous agressent et nous menacent... Pour certains c'est par exemple l'insuffisance création de richesses, pour les autres c'est qu'on en crée trop et qu'on doit "décroître".

 

La droite est pareille à ces derniers cathares, deux cents tout au plus, parvenant à défendre la forteresse perchée de Montségur (Ariège) pendant de longs mois face à une armée de dix mille hommes. "Qui tient les hauts tient les bas" est-il écrit dans "l'Art de la Guerre" de Sun Zu. La droite tient les hauts...

 

De ce fait, la gauche est instable, menacée d'éclater, soumise à des forces centrifuges. Quand elle gouverne, c'est encore pire... Car à sa difficulté d'être de gauche s'ajoutent les contradictions entre la gestion et la transformation.

 

C'est un élément important : la gauche n'est pas divisée par "malveillance, malchance ou maladresse", mais par "nature". Chacun à gauche, doit donc considérer que cette division est insurmontable en une certaine mesure, et qu'il faudra avancer avec elle.

 

La gauche, c'est donc, dans sa diversité, le refus de quelque chose qui est "établi". Et donc le désir de "franchir une limite", de la remettre en cause. La gauche, c'est le dégoût des limites. C'est pourquoi selon Mascolo, l'artiste est attiré par la gauche, car il s'attaque "à la forteresse insupportable et prétentieuse des apparences".

 

On retrouve donc, à partir de ce concept d'établi, " de la gauche" partout, car "les choses sont réactionnaires". On peut exprimer sa révolte dans tous les secteurs du réel. On peut être "de gauche" contre l'académisme, le colonialisme, la révolution elle-même.

 

Une comportement globalement conservateur est donc incompatible, si l'on suit Mascolo, avec une appartenance à "la gauche". Bon moyen de repérer les faussaires... Cherchez bien...

 

Dyonis Mascolo développe une autre idée très importante, permettant de comprendre pourquoi la gauche ne parvient pas à entraîner facilement tous ceux qu'elle dit défendre : "celui à qui tout est déjà refusé naturellement ne songera pas à se dire de gauche"... Celui-là, c'est le révolutionnaire-né. Le prolétaire.  Mais pour se sentir de gauche cela ne suffit pas, il faut "refuser" on l'a vu. Et on ne songe pas à refuser quand tout nous est déjà refusé..."Le refus de gauche est encore un luxe".

 

La droite a pour elle la "force des choses", leur évidence, leur inertie, leur permanence. La réalité se présente comme unie, cohérente car reliée. La droite part donc avec de l'avance, et parvient à se réconcilier sans cesse avec elle-même.

 

Si l'on prend l'exemple de notre actualité, la droite regarde les primaires socialistes comme une danse bien étrange. Et si la gauche n'ose pas contester le principe de candidatures multiples aux présidentielles, l'idée même de plusieurs candidats de droite laisse ce camp scandalisé...

 

Le petit livre de Mascolo n'a pas été réédité au hasard. Il résonne très fortement dans notre époque. Comment peut-on comprendre le maintien au pouvoir d'un Berlusconi ? Comment saisir la réelection de Georges Bush pour un deuxième mandat ? Comment comprendre que malgré les effets catastrophiques, et repérés désormais comme tels par tous, des politiques libérales, la droite a le vent en poupe en Europe ?

 

Tout cela ne serait pas possible sans que la droite ne s'appuie sur les courants qui balaient le monde : sur le consumérisme qui développe l'égoïsme et ruine le sens du collectif et de l'intérêt général, et conduit les citoyens à s'identifier à des gens comme Berlusconi, à trouver normal les liens entre la droite politique et les plus riches, ou l'évasion fiscale de célébrités ( "si j'étais à leur place, je ferais comme eux" entend t-on parfois). La droite prépare elle-même le terrain de ses succès : en flexibilisant le travail, elle atomise les individus et les rend perméables à ses valeurs. En supprimant des postes de fonctionnaires elle oblige les gens à faire sans le service public et à se raccrocher à l'individualisme pour s'en sortir.

 

C'est grâce à la force d'un réel où l'individu est roi, perd de vue la possibilité d'agir ensemble, voit l'autre comme un concurrent sur un marché et non comme un frère de classe ou même un concitoyen, qu'un slogan comme "travailler plus pour gagner plus" a connu un éclatant succès.

 

Enfin la vie est difficile, la condition humaine est ce qu'elle est ; il convient pour chacun de s'adapter au réel, de se le coltiner, d'y adhérer, de faire ce qu'il faut pour s'en sortir. Après tous ces efforts, on nous demanderait de remettre tout cela en question ? Non, c'est vraiment une tâche trop dure. L'élève qui a du obéir, adopter les comportements adéquats, acquérir le "savoir être" nécessaire, peut difficilement enclencher la marche arrière et regarder ce monde si exigeant avec les yeux de la critique qui veut tout renverser.

 

C'est pourquoi la gauche ne pourra pas changer le monde si elle ne trouve pas les moyens de s'attaquer à tous les dispositifs culturels qui enchâinent les êtres à l'ordre établi : la publicité, le fonctionnement des médias, l'atomisation du travail et sa précarisation, la mise en concurrence des travailleurs, la pression de l'entreprise sur la conformité des "personnalités" des salariés.

 

Elle ne réalisera rien non plus, si elle ne parvient pas à trouver les formules pour "marcher séparément mais frapper ensemble".  Car son éclatement est un invariant, et c'est à partir de lui qu'il faut imaginer une stratégie.

 

Vaste programme... Plus ambitieux que de se demander s'il faut réduire le déficit sur un ou trois ans...

 


 



 


 


 



 

 

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commentaires

B
<br /> Une très belle analyse... rien à ajouter. Une objection au sujet du consumérisme: tout négatif et porteur d'individualisme qu'il est, il peut conduire inconsciemment des gens ordinaires à contester<br /> les mécanismes du capitalisme le plus brutal. Par exemple, lorsque des citoyens se battent contre des factures trop élevées d'eau ou d'ordures ménagères, ils en viennent à envisager des solutions<br /> qui vont à l'encontre de la logique de l'ordre établi comme l'établissement de régies locales contrôlées par les collectivités. Le refus basique - très individualiste - de payer très cher des<br /> services, conduit parfois à un retour inattendu d'un besoin d'intérêt général... "La révolution éclatera au momement où l'on s'y attendra le moins" disait Rosa, et je rajouterai, pour des raisons<br /> très concrètes et vitales qui déchireront la pesanteur de l'ordre des choses.<br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> Szlut mon Gilou !!!  Merci. Après, je ne crois pas que l'eau et les déchets soient visés par la critique du consumérisme. Ce sont des droits fondamentaux de<br /> l'homme  pour lesquels l'intérêt général doit être défendu... Contrairement à la rolex, l'I Phone ou les collections de chaussures....Le capitalisme se défend en poussant les êtres humains<br /> vers le mirage des besoins de plus en plus artificiels et qui toujours repoussés deviennent d'autant plus aliénants... Enfin il me paraît.<br /> <br /> <br /> <br />

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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