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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 08:34

 julien-l-apostat.jpg Je me promenais, à l'aguet comme un chien de chasse- à l'excellent rayon greco-romain de la librairie "Ombres blanches" dans ma bonne ville de Toulouse, quand  je suis tombé sur un petit opuscule titré "Défense du paganisme - contre les galiléens" et attribué à Julien (dit) l'Apostat. Publié aux excellentes éditions des "mille et une nuits" (que Zeus et nos porte-monnaies les préservent).

 

J'aime les pamphlets. Alors un pamphlet écrit au quatrième siècle de notre ère, ça promettait.

 

L'Empereur romain Julien fut le neveu de Constantin, celui qui a décidé du grand basculement par lequel le christianisme est devenu religion privilégiée, puis officielle, puis écrasante, de l'Empire et par la suite de l'Europe médiévale.

 

Julien a été éduqué en chrétien, mais s'est laissé convaincre par les influences déclinantes du paganisme (le culte de cybèle en particulier). Quand il prend le pouvoir,  il ouvre la porte des Temples, et s'apprête à lancer une contre-offensive contre l'hégémonie naissante des disciples de Jesus. Mais il ne règne que deux ans et meurt. Les chrétiens y ont vu un signe.

 

Qui sait ce qu'un long règne de Julien aurait suscité ? Pas grand chose si l'on suit la pensée de Paul Veyne, dans son très agréable et instructif essai : "Comment notre monde est devenu chrétien ?" paru il y a quelques années. Où il explique entre autres que Constantin a choisi le christianisme par intelligence politique, cette religion lui permettant - par sa dimension universaliste - de consolider le projet impérialiste romain en péril. Le christianisme avait de toute manière les atouts pour s'imposer, et ce ne fut que lucidité de politicien de le placer sous la coupe de l'Empereur et de l'intégrer au coeur du système politique.

 

Mais sait-on jamais... La survie de Julien aurait peut-être eu des conséquences incommensurables, et notre Président de la République et sa cohorte de caméras moutonnières auraient pu s'épargner la tournée des cathédrales et du vatican pour saluer le fameux "héritage" afin de se réconcilier avec son électorat.

 

Il y aurait une fantastique uchronie à écrire, en filant cette hypothèse. Il nous faudrait un Asimov pour cela.

 

Première impression de lecture : ceux qui pensent que les "païens" étaient des brutes chevelues à l'haleine lourde de cervoise en seront détrompés : l'on pouvait penser, et penser subtilement, en païen. On est très loin de Néron et des calomnies délirantes déversées sur les chrétiens pour fabriquer des coupables.

 

Julien s'attache surtout à analyser les textes : l'Ancien Testament, les Evangiles, ; et à en débusquer les incohérences. Il le fait en rationnaliste. On peut d'ailleurs être étonné de la modernité de son approche. Lorsqu'il évoque l'épisode de la tour de Babel, il la met dans un même sac que certains récits d'Homère et nous dit : "je pense qu'on ne doit pas ajouter plus de foi aux uns qu'aux autres ; je crois même que ces fables ne doivent pas être proposées comme des vérités à des hommes ignorants". Et très simplement il constate qu'il faudrait autant de matière que la planète en contient pour réaliser une tour qui atteigne le ciel..."d'ailleurs quelle étendue les fondements et les étages d'un semblable édifice ne demanderaient-ils pas ?".

 

Cette manière de démystifier, un peu ironique, est très moderne . Quand on pense que le Vatican n'a admis que très récemment, et encore avec des trémolos dans la voix et sans trop insister, que certains passages des écritures avaient valeur de métaphores, qu'il ne fallait pas les prendre au pied de la lettre...

 

Ce côté un peu caustique et hautain du propos -presque comique- n'est pas le moins intéressant du texte : "Mais qu'a fait votre Jésus qui (...) est connu seulement depuis trois cent ans ? Pendant le cours de sa vie, il n'a rien exécuté dont la mémoire soit digne de passer à la postérité, à moins de mettre au nombre des grandes actions qui ont fait le bonheur de l'univers la  guérison  de quelques boîteux et de quelques démoniaques".

 

Julien s'évertue à appuyer sur la faiblesse du jeune christianisme : l'ambiguité de sa relation aux Hébreux. Selon les paroles de Moïse, il ne peut y avoir qu'un seul Dieu. et qu'une seule Loi. Qui est donc ce Jésus et quel est la statut de cette parole nouvelle ? 

 

Julien souligne au passage des accointances entre Hébraïsme et paganisme, qui ne diffèreraient que sur l'idée du Dieu unique. Les païens croient à des "Dieux nationaux". Chacun ses Dieux en somme, et tout le monde est content. L'Empereur n'a évidemment aucune hostilité envers une religion non prosélyte, qui ne menace pas le monopole universel de l'Empereur. La menace pour Rome, c'est bien l'ambition chrétienne, d'où l'emploi de ce mot de "galiléen" qui essaie de confiner cette religion à une vocation régionale. 

 

Approche rationnelle qui déroule son fil : s'il y a multitude de croyances dans le monde, c'est donc qu'il ne peut pas y avoir de Dieu unique. On reconnaît la prescience d'arguments qui seront ceux de l'athéïsme : " pendant des myriades d'années (...) il (le Dieu des juifs et des chrétiens) a laissé les peuples dans la plus grande ignorance  adorer les "idoles"(c'est ainsi que vous les appelez) de l'Orient à l'Occident, du Nord au Sud, excepté un petit peuple habitant depuis moins de deux mille ans une partie de la Palestine. Car s'il est bien notre Dieu à tous et le créateur de toutes choses, pourquoi nous a t-il négligés ?".

 

Et plus encore : dans la critique que Julien nous livre de la Génèse, on dénote des bribes d'humanisme (ce qui prouve que l'humanisme doit autant à l'héritage antique qu'à sa couveuse chrétienne) : "n'est-ce pas la plus grande des absurdités de dire que Dieu interdit la connaissance du bien et du mal aux personnes qu'il a lui-même façonnées ? Y a t-il en effet d'être plus stupide que celui qui ne sait pas distinguer le bien du mal ? Car il va de soi dans ce cas qu'il n'évitera pas le second, je veux dire le mal, ni ne poursuivra le premier, je veux dire le bien. Bref Dieu a interdit à l'homme de goûter à la sagesse (...) le serpent fut de ce fait un bienfaiteur plutôt qu'un corrupteur du genre humain".

 

Ce petit texte donne raison à ceux qui pensent que la Renaissance fut bel et bien une Renaissance, allant chercher dans le passé antique (par l'intermédiaire des érudits arabes) les germes de sa vitalité. Le déclin de l'Empire Romain, couplé à l'enfouissement de la pensée classique, subsumée par l'omnipotence chrétienne, a sans doute ouvert une période plus sombre pour l'humanité, dont elle mit longtemps à émerger.

 

"Héritage chrétien" alors ? Oui sans doute. Mais au sein d'un héritage multiple, riche des différentes civilisations méditerranéennes, des philosophes, des juifs et des païens,  des hérétiques et plus tard des agnostiques, de l'humanisme traqué par l'Eglise, des Lumières... Une sacrée macédoine. Ce "multiculturalisme" n'a pas échoué, il a pétri ce que nous sommes.

 


 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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