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26 janvier 2011 3 26 /01 /janvier /2011 08:19

   

gomorra.jpg

 

"Il y a ceux qui commandent aux mots et ceux qui commandent aux faits : tu dois comprendre qui commande aux faits et faire mine de croire ceux qui commandent aux mots. Mais au fond de toi, tu dois toujours savoir ce qui est vrai : ceux qui commandent vraiment sont ceux qui commandent aux faits".

 

Conseil du père de Roberto Saviano à son fils, lorsque Robert était enfant.

 

A l'instar de millions d'habitants de notre monde, je me suis décidé à lire "Gomorra" de Roberto Saviano, sachant que ce ne serait pas une lecture euphorisante. Cette rafale de mots  contre la Camorra, l'organisation maffieuse de la région de Naples. est comme un cri. Quand on en suit la structure, on dirait que Saviano l'a écrit tout d'un trait, pour hurler sa révolte de fils de la ville, purger un tant soit peu sa colère de voir l'univers de son enfance  pourri par la gangrène camorriste. Venger des générations de napolitains, d'immigrés, obligés de plier l'échine. Comme cette jeunesse, celle des anciens copains de Saviano, et celle d'aujourd'hui encore, contraints à jouer le jeu des clans ou à partir.

 

Un cri de colère. Mais un cri, il faut l'avouer, désespérant.

 

On connaît surtout Cosa Nostra. Mais la Camorra est moins présente dans notre imaginaire Pourtant, c'est bien une pieuvre surpuissante, qui tire sa force de la violence, de l'activité illégale, pour aller contaminer des pans entiers de la croissance européenne, dont elle est d'ailleurs un socle. Franchissant et brouillant les frontières entre le licite et le criminel.

 

Ce qui est frappant, c'est que tout est là à disposition de tous. "J'ai les preuves" psalmodie Saviano. Il s'est  contenté d'être napolitain, de reprendre les coupures de presse,  de répéter ce que tout le monde voit et sait, de lire des rapports officiels et des procès-verbaux, de discuter avec des fonctionnaires, de rapprocher des éléments tout à fait publics, de traîner dans les rues et les cafés, de discuter avec les gens. De travailler sur un chantier ou pour débarquer des bateaux. De se promener en Vespa.

 

"Gomorra" n'est pas vraiment un livre d'investigateur, de journaliste qui se serait infiltré dans le milieu. Qui aurait révélé des informations enfouies. Si Saviano est condammé à mort par la Camorra, ce n'est pas parce qu'il a révélé la vérité. C'est simplement parce qu'il l'a raconte. Mais là-bas, tout le monde la connaît, y est confronté d'une manière ou d'une autre. Et la réaction de la maffia à ce livre est comme un hommage à la puissance des mots.

 

Ce seul constat d'une vérité à la portée de tous est terrifiant. D'autant plus terrifiant qu'il n'est

pas vrai que l'Etat italien reste immobile. Beaucoup d'organismes luttent contre la maffia. Et y créent des hécatombes. De nombreuses Mairies, contrôlées par les clans, sont même placées sous tutelle. Mais le réseau des clans est comme une sangsue. On ne peut pas l'arracher d'un corps économique et social où il est greffé. Dans la région de Naples, la camorra est partout. Dans les seringues des drogués, certes. Mais aussi dans le ciment sur lequel on marche. Dans le bois des escaliers de votre immeuble. Dans le sol pollué par les déchets illégaux où l'on construit sa maison. Dans le prix du café que l'on boit à la terrasse. Dans le capital d'un nombre effarant d'entreprises, de clubs de foot. Dans leurs bilans financiers trafiqués pour cacher le rackett à grande échelle (et Berlusconi a dépénalisé la falsification des bilans...). Dans les habits qu'on vend avenue de Montaigne à Paris. Sur un tailleur - l'auteur en prend l'exemple réel - que porta Angelina Jolie dans une cérémonie.

 

Ce que je retiens aussi, c'est que la maffia est la pointe avancée du turbo capitalisme. Elle ne s'embarrasse de rien. Et n'est-ce pas la marque du capitalisme chimiquement pur, rêvé par les théoriciens du néo-libéralisme ? D'ailleurs, quelles sont les qualités des "parrains" ? Des talents de pur entrepreneur. Qui n'ont pas peur du risque. Qui n'ont pas peur d'investir.  Qui sont psychologues (il y a même un parrain psychanalyste). Qui n'ont de fin que dans l'accumulation du capital. La vertu première du camorriste d'aujourd'hui, ce n'est plus le courage au feu, l'intrépidité dans la rue. En attestent les nombreuses femmes qui deviennent "parrains", aussi impitoyables que les hommes. Et aussi géniales en affaires.

 

La camorra est dans l'Europe libérale comme un poisson dans l'eau. Et la Camorra permet au système d'accomplir ce que la lutte politique ne permet pas toujours aux forces de l'argent : écraser les acquis sociaux, ignorer les règles environnementales, baisser les coûts aussi bas que possible et même plus, maximiser les profits. Comme si sans la camorra, le capitalisme européen serait déjà submergé par la concurrence mondiale. La maffia est sa variable d'ajustement clandestine.

 

Et la Camorra mène le libéralisme économique dans son impasse habituelle, dans sa contradiction flagrante : le marché n'est qu'un leurre quand il est absolument libre. Il est une arène où les fauves s'affrontent impitoyablement et où le monopole privé finit par écraser les autres. Par vider de sens les marchés publics, par créer des rentes, par racketter la collectivité et le contribuable, comme le petit commerçant transformé en salarié de la pieuvre. 

 

Le livre de Saviano, et il ne le cache pas, est un livre de gauche. Qui voit dans le camorriste le bandit utile du capitalisme débridé.

 

Si je croisais Saviano et son visage marqué par l'indignation, je lui dirais tout mon respect, certes. Je lui dirais aussi que tout est possible, même et peut-être surtout ce que l'on n'espérait plus. Comme juste un peu plus au Sud. En Tunisie.

 


 


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commentaires

D
<br /> Bonsoir, Jérôme<br /> Pour répondre à ta question, j'adore Charles Bukowski entre autres.<br /> Amitié<br /> Ps: je suis désolé, je n'ai aucun don pour l'analyse, ni la critique littéraire, tu le fais si bien.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Bukowski, pas mal. Tu dois aimer Henri Miller.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Jérôme bonjour,<br /> je viens de mettre en ligne ton article : Petite Croisière Mythologique En Méditerranée, Avec JP Vernant En Guide De Luxe.<br /> Sur le blog : http://lire56.over-blog.com<br /> Cordialement<br /> F.M<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Et toi qu'est ce que tu lis ?<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Bonsoir, Jérôme<br /> <br /> Je viens de te lire, c'est vraiment bien!<br /> J'ai des soucis d'informatique, mais je reviens te lire le plus vite possible. Je voudrais mette sur le blog : http://lire56.over-blog.com/ tes critiques de bouquins, si tu est OK, bien sur. Amitié<br /> F.M<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Merci.<br /> <br /> <br /> Je découvre ton blog dès que possible !<br /> <br /> <br /> <br />

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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