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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 08:53

FLEURY~1Cynthia Fleury, philosophe engagée, est avant tout une philosophe de l'éthique. Ce n'est pas un paradoxe à ses yeux, car elle ne dissocie pas un instant la recherche d'une éthique de notre temps et celle d'une issue politique collective. Car la République a besoin d'un peuple, et le peuple de citoyens.

 

Elle s'efforce ainsi, comme dans "La fin du courage", essai de philosophie écrit d'une prose où la philosophie retrouve des accents poétisants témoignant de ses racines antiques, de définir une éthique pour notre temps. Une éthique débarassée de la transcendance divine, des tables surnaturelles de la loi. Une éthique immanente. Tâche difficile mais louable. Car nous avons besoin d'éthique pour vivre ensemble, mais nous n'avons pas besoin d'êtres dominés par des fétiches. Nous avons besoin, sans doute, de métaphysique mais libérée du dogme.

 

Nous vivons selon l'auteur une époque de seuil mélancolique, et le courage nous fuit. C'est son présupposé de départ, et difficile de le contester. Il s'agit de retrouver ce courage, dans ses dimensions morale et politique. Telle est ce que nous souhaite la philosophe, méditant les oeuvres de Vladimir Jankelevitch, de Victor Hugo, de Nietzsche, de Sénèque.

 

Le courageux qu'elle nous appelle à être n'est pas celui qui ignore la peur. Il est celui qui la surmonte. Cet individu est conscient de ce que l'on risque à la fin du courage, qui nous conduit à des catastrophes : "Là il faut chaque jour copiner avec l'irrespectable, s'éroder au contact des petits pervers, endurer les abus de pouvoir que l'on n'a pas su déconstruire collectivement. Et voila soudain le retour de bâton du manque de courage collectif". Le courageux est celui qui refuse les "stratégies d'adaptation" qui pullulent dans notre fonctionnement social. C'est un chemin difficile, mais on peut au moins s'efforcer de " refuser la danse morbide des simulacres", de ne pas jouer le jeu. Au moins.

 

C'est d'abord dans le monde du travail que se joue aujourd'hui la fin du courage qui contamine tout le champ social. Le travailleur y est acculé à suivre des préceptes qu'en son for intérieur il refuse. Il souffre, il vacille. Il peine même à conserver la conscience de sa propre personnalité. Il vit dans la falsification et la parodie. Le premier courage aujourd'hui, ce serait de refuser, de dénoncer ces parodies.

 

Pour refuser ces pentes de la complicité avec le pire, il faut bien commencer quelque part... La lâcheté consiste si souvent à dire "on ne peut pas tout seul", "on doit être avec les autres pour exister", etc.... Or, le courage, c'est commencer, c'est l'"art de commencer" même. Nietzsche parlait de la volonté comme d'un rapport politique à soi-même, et c'est bien cela qui se joue dans le courage. Aurai je la volonté de commencer ? Attendrai je que quelqu'un lève le doigt à ma place, quitte la salle avant moi, démissionne en premier, prenne sa plume pour contester ou déclenche la grève ? 

 

Jankelevitch dit pour sa part que le courage c'est ne pas déléguer à d'autres ce soin de commencer. Le courageux est celui qui dit "me voici" plutôt que "moi", qui saisit l'instant. A l'opposé du courageux il y a le rusé, l'"homme ulyséen", qui diffère, qui s'arrange sans cesse, finasse, filoute, travaille dans les zones obscures, qui est spécialiste des alibis divers pour ne pas commencer.

 

Le courageux est donc un individu qui s'assume. Un irréductible avant tout. C'est une erreur de séparer un certain individu radical du collectif car en réalité la cité ne peut être sauvée que par des individus irrémédiablement libres : "chacun pour sauver la cité, doit être son propre chef". Le courageux n'imite personne, il ne veut pas être un exemple à suivre. Il est une volonté entière dans elle-même et ne se soucie pas du reste. Il ne se soucie pas particulièrement de la victoire même s'il la poursuit.

 

Si la victoire n'est pas l'essentiel, l'éthique du courage est selon Mme Fleury une éthique de la joie, car il n'y a pas d'éthique possible du désespoir. Le désespoir, la mélancolie, ne peuvent pas fonder une éthique. Le courage a partie liée avec l'optimisme, et l'auteur songe à Churchill qui ne renonça jamais à croire au génie français, au courage de ce peuple, malgré ce que juin 40 et Montoire avaient dénoté.

 

Dans le champ politique, le courage est aujourd'hui omniprésent dans les discours, à la proportion de sa disparition.... Le mot "rupture" a tant masqué les capitulations.... Ce prétendu courageux qui veut rompre est bien souvent un histrion, un singe du courage. L'hypercommunication met en scène un faux courage et aboutit à des comportements pronoïaques (le contraire de paranoïaque) ou se met en scène la satisfaction de soi, devant le citoyen réduit au spectateur de cette auto congratulation.  C'est une impasse politique, mais il y en a une autre : le renoncement pseudo lucide, tout symbolisé par l'admiration de Tocqueville, le contempteur des passions politiques. A ce culte de la modération doit s'opposer aussi une éthique du courage.

 

Nous avons besoin des courageux pour que la démocratie vive. La démocratie, ce n'est pas que le vote, qui réduit le peuple à une dimension statistique. La démocratie, comme la justice, ont besoin de pluralité et de multiplicités de points de vue (Amartya Sen fonde sa philosophie politique sur la nécessité de ne jamais figer l'idée de justice, toujours à délibérer). Elle est nécessairement le résultat de légitimités qui se heurtent. Une société pleinement intégrée ne peut pas être démocratique. Il y faut du "pas d'accord", de la contestation, mais aussi des perspectives différentes. Par exemple on considèrera (c'est moi qui suscite l'exemple) que le service public a besoin du monde associatif à côté de lui, pas assujetti, que tout ne peut pas être univoque. Que l'on a besoin de contradiction permanente pour inventer l'inédit. On a donc besoin de citoyens, de collectifs, en réalité irréductibles.

 

La démocratie n'est pas une belle construction rationnelle et lisse, elle est "constructiviste" nécessairement.

 

Allez... Du courage,

encore du courage,

toujours du courage !

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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