Bret Easton Ellis est très tendance. Il passe au "Grand Journal" de Canal + où la crème de la
branchouille le reçoit avec vénération. Il est à la Une des INROCKS et en plus il vend bien ses livres.
Il y a de quoi se méfier d'un type pareil.
La plupart des gens qui en parlent semblent se le figurer comme un fêtard un peu cynique, nihiliste. Genre F. Beigbeder qui d'ailleurs crie qu'il l'admire. Et ne
lui rend pas service.
J'ai eu la chance de lire cet auteur assez tôt, à un moment où on le découvrait en France. J'avais lu quelque part une critique d'American Psycho, son oeuvre phare, unique en son genre. Plus tard, tombant par hasard sur l'édition de poche, je me remémorai cet article qui
m'avait frappé, et je découvris un écrivain que je n'allais plus lâcher. J'ai lu American Psycho au début des années 90 et je m'en souviens très précisément, ce qui pour moi est très rare. Je
l'ai offert, conseillé larga manu. En général, les filles cessent de lire vers la page 120, quand le roman adopte un tournant franchement Gore.
Puis j'ai acheté les précédents ouvrages, en poche ("Moins que zéro", "Les lois de l'attraction")
et j'ai toujours pisté ses rares publications, toutes passionnantes. "Lunar Park" publié vers 2004 me semble un joyau très
audacieux, d'une grande créativité.
Qu'est-ce qui est si saisissant chez cet auteur ? Rien de bien explicite.
Ce ne sont ni les sujets traités, ni le style, d'ailleurs évolutif, souvent minimaliste.
En me replongeant dans mes souvenirs de lecture, il me semble qu'Ellis creuse le même filon : celui du profond malaise, pour l'être humain, à se retrouver
au milieu des autres.
Le personnage principal d'American Psycho est un sociopathe sadique.
Dans "Moins que zéro" et "Les lois de l'attraction" on s'ennuie ensemble et avec la drogue on le supporte mieux.
Dans "Zombies" autrui incarne la mort. A travers le Vampire, partout présent.
Dans "Glamorama", la vie mondaine est si intenable qu'elle décompense en explosions et actes terroristes. Dans "Lunar Park", la famille est la maison de l'horreur, malgré l'amour. Et dans le récent "Suites impériales", le mal se cache sournoisement derrière toute rencontre.
Chacun est sans substance. L'autre est l'angoisse. Radicalement.
On pourrait affirmer qu'Ellis réhabilite le roman existentialiste.
L'altérité, Ellis en souffre. On le comprend. Et il le dit magnifiquement à travers des paraboles romancées.