J'ai reçu quelques mails et des commentaires me reprochant, certes poliment, de m'en prendre au charismatique
Michel Onfray.
Je vais donc développer ma pensée à ce sujet. Une deuxième couche en quelque sorte. Il faut bien polémiquer un peu.
En préalable, je suggère à tout lecteur du piteux"Traité d'Athéologie" de lire "L'avenir d'une illusion" de Sigmund Freud, immense livre sur le fondement de la religion (que "le Monde" vient de republier à vil prix dans sa collection sur les livres qui ont changé le monde).
-D'un côté, chez Onfray, un fatras verbeux de poncifs et de considérations mélangées sur les textes dits saints, sur l'histoire et la pratique des Eglises, sur les monothéïsmes pris comme un bloc, sur des évènements historiques datés liés à des sociétés théocratiques, sur le terrorisme islamique, sur la psychologie supposée hystérique des mystiques ou de Saint Paul... Tout cela comme une macédoine indigeste nageant en pleine confusion entre atheïsme, laïcité, intolérances ciblées. En outre écrit à toute vitesse, ce qui se voit (Onfray a écrit... une soixantaine de livres ! Et il est encore bien jeune).
Ce Traité, ce sont des propos de bouffeurs de curés au digestif. Avec une ignorance volontaire des contradictions et fractures qui caractérisent les religions et les églises :
Jesus, c'est la fraternité et le glaive.
Moïse, c'est "tu ne tueras point" et les plaies de l'Egypte.
Le christianisme, c'est l'égalité et la dignité humaine, et en même temps l'Ordre Moral et le ciment des despotismes.
L'Eglise catholique, c'est le Concile de Trente, les réseaux d'exliltration des nazis, mais aussi la Théologie de la Libération et la solidarité en France avec les sans-papiers et les Roms.
Le Protestantisme en tant que pensée, c'est la libération des moeurs mais aussi la justification du "struggle for life".
L'Islam et la politique, c'est l'Andalousie en avant garde des Lumières, et c'est aussi Khomeïny.
La culture dite Islamique, c'est la beauté érotisante des "Mille et une nuits" et le port de la Burka.
La pratique de l'Islam, c'est le Soufisme et le jeune qui fait un peu le Ramadan par tradition...
Tirer des citations du Coran ou des deux Testaments pour en conclure que les monothéïsmes sont "bellicistes", c'est un peut court. Ces textes disent tout et son contraire, et bien encore. On y trouve la loi du talion et l'exaltation de l'amour. Comme le disait le groupe IAM dans un vieux morceau, "chaque livre saint se comprend entre les lignes". C'est l'interprétation qui est déterminante, comme le montrent les litanies de schismes et d'hérésies qui jalonnent l'Histoire. Ce qu'un jeune groupe de Rap marseillais comprend, notre philosophe hertzien ne le saisirait pas ? Fichtre !
De plus, la grande erreur d'Onfray est d'ignorer la dimension historique des textes, leur contexte tout simplement. Ces textes ont été écrits à un moment où la violence n'avait pas le même sens qu'aujourd'hui. On doit rapporter n'importe quel texte à la civilisation dans laquelle l'auteur évolue et se forme. Ignorer la différence entre l'Antiquité, le Moyen Âge et le contemporain, c'est tomber dans la même impasse que les intégristes de tous poils.
Onfray semble concevoir l'histoire comme une ligne horizontale, où tout se vaut, et où l'on peut distribuer des bons et des mauvais points. Avec une telle vision, tous les citoyens romains étaient des psychopathes parce qu'ils allaient aux jeux du cirque. C'est absurde.
- De l'autre côté, chez Freud, dans "l'avenir d'une illusion" c'est une réflexion froide et rigoureuse quant à l'objet qu'elle étudie. Une pensée radicale mais humble et laissant sa place au doute, sans volonté de recourir à la caricature et à l'amalgame. Elle ne laisse pourtant aucune chance au phénomène religieux quand vous refermez l'ouvrage... Freud se permet même le luxe de ne pas prôner l'athéïsme, mais le lecteur s'y voit logiquement conduit. La religion apparaît comme une réaction névrotique collective, fort compréhensible, face à l'angoisse d'un monde démesuré et où la mort est la ligne d'horizon omniprésente.
Comparer ces deux oeuvres suffit à mesurer l'outrecuidance de Michel Onfray, quand il s'en prend à Freud, non pas en critiquant sa pensée (ce qui est légitime), mais en attaquant violemment sa personne comme un procureur. Selon la fameuse méthode Nietzschéenne pour laquelle l'homme c'est l'oeuvre... Quelle sornette ! La beauté et la magie d'une oeuvre, quelle qu'elle soit, c'est justement le dépassement. La création.
Je le répète, je n'ai rien contre Onfray intellectuel engagé (il vient de publier une tribune dans le Monde sur la notion de populisme, tout à fait intéressante). Mais je maintiens que ce "philosophe" est un produit cousu sur mesure pour un public plus ou moins "rebelle" qui demande à être conforté dans ses certitudes, sans trop d'efforts (on peut même l'écouter en CD !).
Ce qui caractérise Onfray, c'est la posture adolescente, de celui qui est par principe "Contre". Par exemple lorsqu'il se lance (quelle modestie !) dans une "Contre histoire de la philosophie", ou dans un "Anti-manuel de philosophie". Que signifient ces notions ? Que l'histoire de la philosophie est un vaste complot écrit par des curetons et des aigris ? Ce n'est pas sérieux. Aller débusquer des philosophes méconnus permet à Onfray de dénoncer une prétendue conjuration qui aurait sciemment fait taire des milliers de Galilée. Heureusement, ils reprennent vie dans les cours de L'université Populaire de Caen. On est en plein Da Vinci Code avec Platon en Chef du complot.
Pourtant, en Hypokhâgne il y a vingt ans déjà, j'en ai avalé du Nietzsche...Je n'ai pas eu l'impression que l'on ne parlait que de Kant. Et encore faut-il le lire, Kant, pour se permettre de le tancer. Les philosophes du "Soupçon"... depuis Marx jusqu'à Derrida en passant par Foucault n'ont pas attendu Michel Onfray pour entrer dans les cours de philosophie. On ne parle plus que d'eux dans certaines Universités américaines.
Onfray flatte un peu le paresseux qui sommeillait pendant les cours de philo en Terminale et qui s'en repent, tout en se cherchant des circonstances atténuantes ("les profs sont soporifiques, la Philo au Lycée ça parle que des vieilles badernes...").
L'adolescence, c'est aussi "l'hédonisme" porté au firmament. Et là, Onfray n'est que le serviteur d'un monde qu'il dit détester par ses engagements.
Car quelle est la valeur centrale du capitalisme consumériste, sinon justement l'hédonisme dégoulînant de nos écrans ? Soyez hédonistes ou souffrez. Soyez hédonistes ou perdez. Soyez hédonistes ou frustrés. L'hédonisme, c'est la carotte du capitalisme, et c'est la source de bien des violences chez ceux qui ne peuvent y accéder.
Allez, promis, dans de prochains articles, je m'en prendrai à des réacs !