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5 février 2011 6 05 /02 /février /2011 08:54

MADONNA.jpg François Bégaudeau est un mec sympa et un "bogoss" pour citer Franck Ribery. J'aime bien l'écouter dans son job de critique, qui manifestement lui a permis d'échapper à l'Education Nationale. Ce type a quand même reçu la "Palme d'or" pour l'adaptation de son roman "Entre les murs" ("an amazing film" avait commenté Sean Penn). Et il a presque réussi à faire oublier cette ligne sur son CV. Il se comporte comme si ce n'était jamais arrivé. Il ne se "la pète" pas, donc. Même s'il a des avis tranchés et c'est tant mieux.

 

Né comme moi en 71 (ça il ne le sait pas), il écrit sur "nos" années ardentes. Cette décennie d'adolescence, où une année en vaut dix. Les années 80 dans notre cas. Plus particulièrement l'été 1986. Les meilleures plumes nées après 1968 arrivent à un âge où elles peuvent sans doute écrire des choses intelligentes sur leur enfance et leur adolescence.

 

Son dernier roman, au titre maladroit qui fleure le choix imposé de l'éditeur : "La blessure, la vraie" éditions Verticales), nous plonge dans la vie d'un ado, FB lui-même, qui vit ses vacances sur la côte vendéenne, avec les potes de son  village d'enfance. Et tout lecteur de ma génération y trouvera sans doute des analogies troublantes avec sa propre vie. Analogies qui titillent nos mélancolies. J'ai l'impression d'avoir bu les mêmes Tropicos et Monacos, dans des bars à baby foots identiques, en fredonnant "the final countdown".

 

On y retrouve tous les chromos de l'époque. Si  on était méchant, on dirait que Bégaudeau a essayé de transposer à la littérature ce que l'émission "les enfants de la télé" a pratiqué et les maisons de disques essayé avec les tournées des "chanteurs oubliés" : exploiter le vague à l'âme des trentenaires. Et je concède avoir redécouvert avec un plaisir proustien certains détails.

 

Les années de jeunesse, où notre personnalité se consolide comme glaise qui sèche , me semblent comme les moments chimiquement purs de nos vies. La vraie référence. La suite n'est que poursuite. Au mieux, développement. Au pire décadence. Je garde l'impression que l'on se déguise en adultes et que l'on prend des pauses, que l'on joue des rôles sociaux parce qu'on s'y résout. A vieillir pardi.  A mettre des costumes plutôt que des survêtements et des baskets Illie Nastase. Cela se ressent particulièrement chez ceux qui "sont restés bloqués en 68", mais je ressens personnellement le même sentiment à l'égard des 80's.

Je me demande néanmoins si ce roman peut intéresser un lecteur qui aurait moins de 30 ou plus de 45 ans. Sans doute non. Trop d'utilisation des souvenirs propres de ma génération (par exemple l'utilisation ad nauseam des références pop de l'époque reine du 45 tours).

 

L'idée fixe de François, à l'été 86, c'est de vivre "sa première fois". C'est le fil directeur du roman et de la vie quotidienne de cet ado. Va t-il réussir ? Je ne vous le dis pas. Est-ce un échec qui suscite la "blessure"? A vous de le lire.

 

L'autre fil directeur, c'est la politique. L'ado Bégaudeau est communiste. Du genre sans fioritures. Brut. Et ce qui est intéressant, c'est qu'il se définit avant tout comme communiste (son seul acte révolutionnaire étant d'essayer de battre un enfant de bourgeois UDF au tournoi de tennis). Mais il est déjà, dans les années 80, isolé au milieu de sa génération. Les autres, qu'il croise ou fréquente, ne se structurent pas autour de la politique. Ils n'en parlent jamais, et toutes les réflexions sur le sujet relèvent d'un monologue interne, quasi autistique. On mesure toute la différence avec des tonnes de livres d'auteurs qui nous racontent leur jeunesse dans les 70's (par exemple les romans des frères Rolin, Olivier et Jean ("l'organisation", "Tigre en papier"). Ou je pense aussi à "une adolescence dans l'après-mai" d'Olivier Assayas).

 

François Bégaudeau est donc un ado commun au milieu des siens, obsédé par l'obscur objet du désir. Mais il est aussi un marginal à l'insu de son entourage, qui rêvasse sur la société de demain ; et regarde le monde, les adultes, les filles, à travers la grille manichéenne séparant "les prolos des bourges". C'est une thématique du livre plus inédite et porteuse que le récit bâteau des tourments du puceau émotif.

 

A regretter : le style hésitant de l'auteur, de plus en plus irritant au fil des pages. On sent son envie de se lancer dans des audaces formelles, mais il ne franchit pas le cap. Il tergiverse. Du coup son style est comme atrophié. Et il n'est pas sobre non plus, comme enlisé dans le marais poitevin, pas très loin.

 

F. Bégaudeau est sympatoche, brillant, éloquent. Mais il n'est pas (encore) l'écrivain qu'il doit rêver de devenir, ce me semble.

 


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commentaires

C
<br /> J'aime bien. Je partage ton analyse sur le bonhomme.<br /> Moi aussi je passais mes vacances en Vendée quand j'étais ado... et j'ai d'autres points communs avec cette histoire. A mon époque on écoutait Smells like teen spirit...<br /> http://www.lyricsfreak.com/n/nirvana/smells+like+teen+spirit_20101055.html<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Smells like spirit, c'est en 91-92 je pense.<br /> <br /> <br /> 86 c'est beaucoup plus roots : genre La Isla Bonita.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Bonjour Jérôme,<br /> je viens de te lire avec toujours autant de plaisir. Au passage je te signale que j'ai mis sur le blogue : http://lire56.over-blog.com, ta critique littéraire "Rafale de mots contre la maffia" sous<br /> la rubrique ' critique littéraire.<br /> Bonne journée<br /> Amitié, et encore bravo !<br /> F.M<br /> <br /> <br />
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L
<br /> Ce livre est un de mes cadeaux d'anniversaire. Quel anniversaire ? Celui de ceux qui étaient adolescents dans les années 80...<br /> <br /> <br />
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


ete2010-035.jpg

 

 

D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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