François Bégaudeau est un mec sympa et un "bogoss" pour
citer Franck Ribery. J'aime bien l'écouter dans son job de critique, qui manifestement lui a permis d'échapper à l'Education Nationale. Ce type a quand même reçu la "Palme d'or" pour
l'adaptation de son roman "Entre les murs" ("an amazing film" avait commenté Sean Penn). Et il a presque réussi à
faire oublier cette ligne sur son CV. Il se comporte comme si ce n'était jamais arrivé. Il ne se "la pète" pas, donc. Même s'il a des avis tranchés et c'est tant mieux.
Né comme moi en 71 (ça il ne le sait pas), il écrit sur "nos" années ardentes. Cette décennie d'adolescence, où une année
en vaut dix. Les années 80 dans notre cas. Plus particulièrement l'été 1986. Les meilleures plumes nées après 1968 arrivent à un âge où elles peuvent sans doute écrire des
choses intelligentes sur leur enfance et leur adolescence.
Son dernier roman, au titre maladroit qui fleure le choix imposé de l'éditeur : "La blessure, la vraie" éditions Verticales), nous plonge dans la vie d'un ado, FB lui-même, qui vit ses vacances sur la côte vendéenne, avec les potes de son village d'enfance. Et tout lecteur de ma génération y trouvera sans doute des analogies troublantes avec sa propre vie. Analogies qui titillent nos mélancolies. J'ai l'impression d'avoir bu les mêmes Tropicos et Monacos, dans des bars à baby foots identiques, en fredonnant "the final countdown".
On y retrouve tous les chromos de l'époque. Si on était méchant, on dirait que Bégaudeau a essayé de transposer à la littérature ce que l'émission "les enfants de la télé" a pratiqué et les maisons de disques essayé avec les tournées des "chanteurs oubliés" : exploiter le vague à l'âme des trentenaires. Et je concède avoir redécouvert avec un plaisir proustien certains détails.
Les années de jeunesse, où notre personnalité se consolide comme glaise qui sèche , me semblent comme les moments chimiquement purs de nos vies. La vraie
référence. La suite n'est que poursuite. Au mieux, développement. Au pire décadence. Je garde l'impression que l'on se déguise en adultes et que l'on prend des pauses, que l'on joue
des rôles sociaux parce qu'on s'y résout. A vieillir pardi. A mettre des costumes plutôt que des survêtements et des baskets Illie Nastase. Cela se ressent particulièrement chez ceux qui
"sont restés bloqués en 68", mais je ressens personnellement le même sentiment à l'égard des 80's.
Je me demande néanmoins si ce roman peut intéresser un lecteur qui aurait moins de 30 ou plus de 45 ans. Sans doute non. Trop d'utilisation des souvenirs propres de
ma génération (par exemple l'utilisation ad nauseam des références pop de l'époque reine du 45 tours).
L'idée fixe de François, à l'été 86, c'est de vivre "sa première fois". C'est le fil directeur du roman et de la vie quotidienne de cet ado. Va t-il réussir ? Je ne vous le dis pas. Est-ce un échec qui suscite la "blessure"? A vous de le lire.
L'autre fil directeur, c'est la politique. L'ado Bégaudeau est communiste. Du genre sans fioritures. Brut. Et ce qui est intéressant, c'est qu'il se définit avant tout comme communiste (son seul acte révolutionnaire étant d'essayer de battre un enfant de bourgeois UDF au tournoi de tennis). Mais il est déjà, dans les années 80, isolé au milieu de sa génération. Les autres, qu'il croise ou fréquente, ne se structurent pas autour de la politique. Ils n'en parlent jamais, et toutes les réflexions sur le sujet relèvent d'un monologue interne, quasi autistique. On mesure toute la différence avec des tonnes de livres d'auteurs qui nous racontent leur jeunesse dans les 70's (par exemple les romans des frères Rolin, Olivier et Jean ("l'organisation", "Tigre en papier"). Ou je pense aussi à "une adolescence dans l'après-mai" d'Olivier Assayas).
François Bégaudeau est donc un ado commun au milieu des siens, obsédé par l'obscur objet du désir. Mais il est aussi un marginal à l'insu de son entourage, qui rêvasse sur la société de demain ; et regarde le monde, les adultes, les filles, à travers la grille manichéenne séparant "les prolos des bourges". C'est une thématique du livre plus inédite et porteuse que le récit bâteau des tourments du puceau émotif.
A regretter : le style hésitant de l'auteur, de plus en plus irritant au fil des pages. On sent son envie de se lancer dans des audaces formelles, mais il ne
franchit pas le cap. Il tergiverse. Du coup son style est comme atrophié. Et il n'est pas sobre non plus, comme enlisé dans le marais poitevin, pas très loin.
F. Bégaudeau est sympatoche, brillant, éloquent. Mais il n'est pas (encore) l'écrivain qu'il doit rêver de devenir, ce me semble.