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4 avril 2012 3 04 /04 /avril /2012 08:02

084366-john-cleese-in-monty-python.jpg En guise d'apéritif à un prochain bifton sur le super baroque "La vie mode d'emploi", voici quelques lignes sur un écrit peu connu de l'attachant et unique Georges Perec : "L'Art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation". Récemment tiré de l'obscurité par la maison Fayard.

 

Perec a été documentaliste au CNRS... Il a manifestement mis cette expérience à profit pour observer la vie au sein d'une organisation buraucratique. Ce petit livre, que je ne saurais cantonner à un genre littéraire en particulier (pastiche ? nouvelle ? ) a des airs d'une parodie de livre sur le management, et m'a rappelé le tout aussi drôle "Principe de Peter" de Laurence J. Peter et Raymond Hull.

 

"L'Art et la manière d'aborder... " est un écrit typiquement oulipien. Que ceux qui pensent à cette seconde que cet adjectif est un néologisme pompeux de ma part soient démentis : "oulipien" se dit pour qualifier des écrits se réclamant de l'OULIPO (Ouvroir de Littérature Potentielle). Un petit groupe d'expérimentation autour des limites de la littérature, héritier des écrivains de l'absurde (Alfred Jarry et son "Ubu" en particulier), essayant d'explorer les potentialités des mots à travers des cahiers des charges d'écriture intrépides. L'OULIPO, dont les membres avaient pour caractéristique d'être talentueux et drôles, nous a donné trois écrivains majeurs : Perec, mais aussi l'immense Italo Calvino, et le merveilleux Raymond Queneau et sa délicieuse Zazie.

 

Lire ce petit texte, c'est d'abord consulter un organigramme, ou plutôt un schéma systémique, inséré derrière la couverture, et portant le même titre que le livre. Schéma en lui-même drôlatique (j'ai pour projet de l'agrandir et de l'encadrer dans mon bureau...) reproduisant le labyrinthe des possibilités offertes à l'employé tentant d'accéder à son Chef pour le convaincre de l'augmenter.

 

Ce schéma, manifestement inspiré de l'organigramme d'une société informatique, est le cahier des charges que l'auteur se fixe comme contrainte à sa création. S'il y a une intution de base à la démarche oulipienne, c'est bien celle de la contrainte créatrice. Plus la contrainte est forte, plus l'auteur ira défricher les terrains de l'imaginaire. Il en fut ainsi avec "La disparition", ce livre de Perec qui ne comporte jamais la lettre E, la plus utilisée de notre langue. Disparition signifiant la hantise de l'Absence, qui accablait l'orphelin Georges Perec.

 

"L'Art et la manière d'aborder... " est donc un exercice ludique. Et un livre très drôle. Perec y a supprimé carrément la ponctuation, accentuant l'impression de voir un individu saisi par des logiques bureaucratiques puissantes, dont il n'a pas une seconde pour s'extraire et respirer un peu.

 

Au lieu de s'apitoyer sur le pauvre employé brinquebalé dans son organisation, on rit. Perec, ici, c'est le Kafka du "Château", mais qui aurait pris le parti d'en rigoler...  Le pauvre employé, à qui l'on explique la démarche à suivre pour parvenir à ses fins, se heurte à toutes sortes de probabilités ; et on explore avec lui tous les rebonds possibles dans l'organisation, une petite nuance (on sert du poisson à la cantine par exemple) venant recréer un nouveau champ de possibilités. Bien évidemment, dans un labyrinthe, on ne cesse de tourner en rond, avec cet effet de répétition très comique.

 

Derrière cette façade comique, ce me semble, il y a le désespoir cependant. Ce désespoir en filigrane chez Vian, chez Calvino, chez Beckett. Et qui dévore franchement Kafka, lui ne parvenant pas à en rire du tout. Le désespoir devant le monde en lui-même, redoublé encore par celui que l'homme a créé. Un monde compliqué à l'excès, et un univers qui nous condamne à l'isolement (un thème majeur de l'oeuvre de Perec). Un monde où la division infinie du travail nous écrase.

 

L'autre manière de conjurer le désespoir, c'est la fameuse "tentative d'épuisement" (elle échoue, c'est juste une tentative) qui parcourt les livres de Perec. Ici, ce n'est pas la description d'un lieu parisien qu'il tente de mener jusqu'au bout, mais les chemins de l'employé jusqu'à la satisfaction de sa revendication. La littérature apparaît ainsi comme le moyen de reprendre le contrôle sur le monde, de le dompter. De retourner le sentiment de l'absurde de notre condition. L'oulipo, c'est le combat des mots contre le despotisme du hasard en somme.

 

Alors autant en rire. Ca ne peut qu'être secourable. 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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