Ah ces païens....
Lisez donc Lysistrata, cette pièce comique écrite en 411 avant notre ère, par l'athénien Aristophane... Absolument jubilatoire, osé, limite "groland" (voire totalement). Et Aristophane n'était pas un marginal, un auteur clandestin ou un paria, c'était un auteur à succès !
Il y a de quoi faire rougir un tenancier de sex shop phénicien , dans cette pièce radicalement pacifiste et féministe. D'une truculence et d'une grossièreté comique qui ne surgira plus jusqu'à Rabelais.
Une pièce féministe tendance "girl power", du type "on va les calmer ces hommes, à grands coups d'escarpins là où je pense"... Loin d'un certain penchant féministe contemporain parfois, à mon goût, un peu lacrymal-calimero. Un féminisme de l'"empowerment" dirait Michèle Obama... mais qui n'a rien contre les hommes, souhaitant les retrouver tout au contraire. Un féminisme capable d'auto dérision aussi : un réflexe sain qui manque parfois aux militant(e)s.
Nous sommes en pleine guerre du Péloponnèse. En gros Athènes et ses alliés contre Sparte et les siens.
Lysistrata, une femme de caractère, en a plus que marre de cette guerre qui prive les athéniennes de leurs hommes et les condamme au veuvage ensuite. Elle convoque en douce une réunion des femmes d'Athènes et de Sparte, mais celles-ci, casanières, ont du mal à quitter leur logis et Lysistrata n'a de cesse de les houspiller.
Elles arrivent, et Lysistrata leur propose une mesure radicale pour mettre fin à la guerre, ce jeu absurde motivé par l'argent, fléau de tous les maux... à savoir la grêve du sexe, jusqu'à obtention totale des revendications, à savoir la Paix entre Athènes et Sparte !!! Au début les femmes rechignent, elles préfèrent encore toutes les contraintes à ce sacrifice... Puis elles se rallient à la proposition.
Les femmes rebelles d'Athènes s'emparent alors de l'Acropole, jusqu'à la victoire. Les hommes sont désemparés, d'autant que les femmes se baladent en nuisette transparente et "touffe bien taillée" pour aviver le désir masculin. Les soldats essaient bien de reprendre l'Acropole, tentant l'intimidation par la force, mais se heurtent à l'agressivité déconcertante des femmes ... Thématique très moderne ce me semble : l'homme qui violente la femme est au fond un faible. Et il s'écrase vite devant la résistance.
Pendant ce temps les femmes de Sparte en font autant.
Culmine alors la grossièreté comique assumée de la pièce : les hommes se promènent sur la scène affublés de membres en érection de plus en plus douloureux et gigantesques, suppliant le soulagement. Lysistrata a fort à faire pour éviter les défections de ses camarades attendries.
N'en pouvant plus, assez vite, les belligérants viennent jurer de faire la paix dans l'Acropole. Et tout finit dans un Banquet de réconciliation, comme chez Molière... On ne verra pas tout de même les retrouvailles dans les détails... Mais Aristophane n'élude rien : les positions favorites des athéniens, les jeux de mots les plus salaces, les détails corporels affriolants...
Et Lysistrata, en héroïne anarchiste ultra moderne, ne fait rien de sa victoire, elle se retire. Elle se contrefout du pouvoir politique, qui est d'ailleurs méprisé et moqué pendant toute la pièce...
La faiblesse des hommes est étalée. Et cette pièce qui ne dénoterait pas dans un numéro d' Hara Kiri est en définitive une ode à l'amour entre les femmes et les hommes et à la puissance féminine, capable de briser la domination masculine, tenant en réalité sur quelques apparences et sur la passivité des femmes.
Dans la vraie vie, la guerre du Péloponnèse malheureusement, ne se terminera pas de manière si heureuse. Elle sera une boucherie. Lysistrata, la "femme libre", n'est qu'un fantasme d'Aristophane. Un homme.
Le monde antique a été plus ou moins libéré selon les époques. Il est cependant étonnant de voir une telle pièce écrite et jouée il y a si longtemps dans notre passé. Le christianisme passera ensuite par là, et refroidira sur les bûchers les ardeurs des Aristophanes. Certes, l'audace et la verbalisation sexuelle de l'auteur ne se déploie que dans certaines limites : le désir concerne d'abord les époux... On ne touche pas à la monogamie et à la fidélité.
Et moi, je suis toujours aussi bluffé de voir les Anciens appréhender avec autant de clarté les questions politiques essentielles. Et inventer sous nos yeux la comédie grinçante et subversive.