La hausse de la TVA à laquelle nous sommes appelés à sacrifier, pour expier les pêchés de la
paresse, du farniente, de la facilité assistée, de l'indolence, de cette vie de Cocagne que nous vivons (si on en croit notre Premier Ministre)... est en elle-même nauséeuse, puisque
moins on a d'argent, plus on paie la TVA.
Mais ce n'est pas ici un blog politique. Il y en a suffisamment, et je ne suis pas friand de ces étalements d'opinions individuelles outrecuidantes sur les forums, car avant de prétendre parler au large, il faut se tourner vers ceux qui ont beaucoup travaillé et dit ce me semble, et voir si on apporte ne serait-ce qu'une particule de nouveauté et de grain à moudre.
Il s'agit ici d'un blog de lectures. Un geste d'admiration pour le talent, un hommage aux réserves d'avenir, de beauté, d'émotion, qui existent dans les livres. Je me bornerai donc à parler de la TVA sur le livre. L'Homme vit d'abord de pain, mais il ne vit pas que de pain.
La Loi sur le Prix Unique du Livre, que nous devons à François Mitterrand et au Jack Lang de la grande époque, entérine le fait que le livre, comme on le dit aujourd'hui "n'est pas une marchandise comme une autre" (formule heureuse, même si ceux qui l'utilisent savent bien que le problème fondamental, c'est bien l'existence de la marchandise en elle-même, comme assise de l'aliénation).
En appliquant la hausse de la TVA au livre, on le réintroduit en réalité dans le cercle infernal de la marchandise banalisée.
On sait malheureusement, si on regarde notre monde avec un peu de lucidité, qu'il existe une véritable prime à la bêtise et à l'amoralité pour réussir dans de nombreux domaines. Quelqu'un d'intellectuellement intéressant, et doté d'un minimum de conscience humaine ne peut pas devenir un Trader. Il aura plus de mal à "percer" en politique ou même dans le sport de haut niveau (j'ai lu récemment un article sur un footballeur dépressif, qui arrête tout parce qu'il ne supporte pas la pauvreté humaine dans son milieu...).
Avec la hausse de TVA sur le livre, on concrétisera donc cette prime à la bêtise en taxe sur les Lumières...
C'est pourquoi je vous propose ainsi, si vous souhaitez vous défouler un peu, un modèle de lettre type, certes très personnel, un peu pédant et de mauvaise foi (je n'écrirais pas la même si j'étais dans un syndicat de libraire...) à envoyer à votre Député, membre de la majorité. Non pas qu'un élu de l'opposition ait forcément un amour immodéré des livres, mais j'ai lu que l'opposition voterait contre. Alors...
" Monsieur le Député/Madame la Députée (et oui il y en a)
Je voudrais vous convaincre de prendre votre courage à deux mains, pour vous opposer à la hausse de la TVA sur le livre.
Qu'est ce qu'un LIVRE ? C'est certes cet objet décoratif qui brille dans les étagères des salons bourgeois où vous êtes parfois invité(e) pendant vos campagnes électorales. Mais ce n'est pas que cela. D'abord, aujourd'hui, le livre a pris différentes formes, dont celle du fameux livre de poche (on n'est pas obligé de le porter vraiment dans une poche, au risque de déformer celle de son costume).
Non, un LIVRE, quand il n'est pas un produit de marketing, et ça arrive très souvent, et même - vous vous en étonnerez peut-être - le marketing est minoritaire chez les auteurs ; oui le LIVRE est un trésor de délices spirituels, d'approfondissement du monde, d'exploration du passé et même du futur, et de rapprochement entre les êtres les plus lointains. Le LIVRE est ainsi un outil magnifique d'humanisation du monde. Et si vous vous souvenez bien de ce dessin animé "l'histoire de l'homme", l'invention de l'Imprimerie surgit - ce n'est point fortuit - au moment où la civilisation humaine, rejaillit de mille feux (on appelle ça la Renaissance).
Je sais bien : vous n'avez pas le temps d'en lire ou d'en écrire et il y a des gens pour ça. Vous, pendant ce temps, vous tenez votre rôle dans des cérémonies car vous pensez que c'est indispensable pour être réélu, et que c'est tellement bon d'avoir une place à la tribune. Il y a ces allers-retours, les réunions du parti, les tournois de foot dans la circonscription et la remise des T shirts, les voeux...
Mais essayez quand même de lire un livre. Un pas trop gros. Je sais, la plupart d'entre vous en ont lu beaucoup, il y a longtemps. Et puis maintenant... On survole les journaux le matin, les dépêches AFP, on regarde des articles collés sur Facebook, on parcourt les fiches argumentaires du parti ou du groupe parlementaire, désormais affublées du titre d'éléments de langage...
Mais un livre quand même... A raison de 40 pages par heure, c'est chronophage. Vous en avez lus, à la fac. Mais c'était bien obligé pour réussir. Après, pourquoi continuer ?
Souvenez-vous, tout de même, ce n'était pas tout le temps une expérience banale.
Convenez que toute grande révélation, tout grand bonheur, sont chronophages. Faire un enfant par exemple, c'est du boulot. Et imaginons tous les obstacles à franchir avant que le petit Romain ou la petite Camille puissent reprendre la circonscription...
Songez maintenant à vos villes.
Car ce sont dans des librairies que se vendent les livres, et pas seulement au supermarché. Et c'est là où l'on peut trouver les livres qui compteront dans votre vie. Cette ville où vous évoluez, voulez-vous qu'elle ne soit plus - ce qu'elle est certes déjà - qu'une litanie de succursales bancaires, de vendeurs de croque monsieurs et de franchises de vêtements ? N'est-ce pas réconfortant, de voir briller, ici et là, quelque lieu de recueillement, de célébration de l'intelligence, de respect pour ce qui a été réalisé par et pour les autres, d'ouverture sans égale ?
Et bien ces lieux péréclitent, et en votant votre taux de TVA augmenté, vous allez accentuer cette pente. Songez que si un jour vous demandez à un de vos assistants parlementaires un peu dégourdi d'écrire un essai en votre nom, il vous faudra le dédicacer sur un parking d'hypermarché en plein vent...
Surtout, beaucoup d'entre vous espèrent réaliser plusieurs mandats, de tenir le plus longtemps possible. Pensez à l'avenir. Car le livre est la vitamine de la politique. Sans la profondeur de champ du livre, la politique se meurt. Elle se vide. Elle est méprisée et balayée. Ce sont les idées qui politisent les Nations, et elles s'expriment dans les livres, d'abord.
Donc, ne vous étonnez pas d'être impuissant(e)s et inutiles, d'être ridiculisé(e)s par des clowns insignifiants dans des talk shows, si vous minez vous-même les forteresses vacillantes qui retiennent encore le nihilisme et le spectacle permanent. Ce sont souvent LES LECTEURS qui vous considèrent encore un peu, qui vous écoutent, et qui ne se résolvent pas à un monde dirigé par d'anonymes technocraties et par les marchés.
En affaiblissant le livre, on sape les fondations de l'espace public. Et on vous condamne, vous Député(e)s, à ne servir qu'à envoyer des lettres de recommandation pour un emploi ou un stage, qui vous le savez bien aboutissent rarement, et ne font que remplacer un exclu par un autre.
Je ne développerai pas le fait que le livre est un contrepoison à la politique dangereuse de l'émotion, à la dictature du court terme, à la tyrannie du langage appauvri et de la disparition des nuances, à la malfaisance des préjugés... Car tout cela, au fond, ne vous gêne pas beaucoup. Au mieux vous vous y adaptez, au pire vous y avez sciemment et froidement recours. Je n'entretiens point d'illusion.
Retenez donc simplement de ce courrier que la vie, et singulièrement la vie politique, sont moins intéressantes dans un monde où le livre est absent. Faites donc usage de votre vote pour le protéger un peu.
+ Formule de politesse selon votre convenance.