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1 décembre 2010 3 01 /12 /décembre /2010 11:18

  Yannick, lecteur de ce Blog, m'a envoyé un mail pour me dire combien il avait été secoué par la lecture de "la Route" de Cormac Mc Carthy. Ce fut aussi mon cas, et  maints lecteurs de ce roman en garderont le souvenir d'une expérience unique.

 

"La Route", roman court, sans fioritures, d'une grande ampleur métaphysique, reste une des oeuvres les plus marquantes de ce début de siècle.

 

Mon correspondant incline plutôt pour une lecture politique de "la Route". La référence écologique et l'analogie avec le sort des sans domicile fixe ont mobilisé son attention.

 

Cette lecture est légitime, mais il y a d'autres niveaux de compréhension de ce roman. Et c'est une des qualités qui caractérise d'ailleurs tout grand roman. On peut lire "Guerre et Paix" comme une oeuvre sur la guerre napoléonienne, comme une étude psychologique des jeunes aristocrates russes en attente fébrile de mariage, ou encore comme l'histoire de jeunes hommes en proie au doute sur le sens de leur vie, et qui cherchent l'issue dans l'héroïsme et la confrontation à la mort.

 

Nous pouvons donc lire et relire ces romans majeurs, à différents âges de notre vie, et les rédécouvrir. Ce n'est pas mon cas : je suis trop curieux d'aller voir ailleurs.

 

Pour ma part, j'ai une autre lecture de la "Route". C'est un roman sur la condition humaine et le sens que lui confère la filiation. Cela mon ami Yannick l'a ressenti aussi. Mais en ce qui me concerne, c'est Sigmund Freud que j'ai rencontré sur "la Route". Le Freud préoccupé par la part d'ombre en chacun de nous. Le Freud de "Malaise dans la civilisation (ou la culture selon les traductions)".

 

Dans certaines conditions, que Freud voyait se mettre en place avant la catastrophe du nazisme, l'homme peut se tourner, sans aucune limites, vers la pulsion de mort. Et devenir plus cruel que le plus sauvage des animaux. Freud n'était pas rousseauiste. Il était frappé par la permanence de la cruauté dans l'histoire de l'humanité, et pensait que les barrières nous en protégeant étaient bien minces et devaient être entretenues, telles des digues fragiles, par le travail culturel.

 

"La Route" décrit un univers dans lequel plus rien ne s'oppose à cette part d'ombre. La nécessité de survie, seule activité possible, fonde tous les comportements imaginables.  

.

Un autre roman, incroyable, de Mc Carthy, s'intitule "Méridien de sang". Il décrit le périple dense et sanglant d'un jeune cow-boy au temps du "far ouest".  A une époque où l'Etat n'avait pas encore installé son "monopole de la violence légitime". Comme une parabole de l'Histoire. Les hommes se croisent, s'allient pour survivre, se retournent les uns contre les autres, se massacrent et se violent. Et cherchent l'apaisement dans l'orgie. Sans normes et sans institutions pour les répandre et les faire respecter, les êtres humains plongent dans la folie meutrière. Ce livre est une illustration parfaite de l'argumentation de Freud dans 'malaise dans la civilisation".

 

Mais Freud n'a jamais dit que l'humanité était condamnée à la violence. Et le dénouement de "la route" nous en persuade. L'altruisme, le sentiment de solidarité humaine peut survivre et s'exprimer dans les pires conditions.

 

On rejoint alors le prisme écologique de mon correspondant Yannick. Dévaster la planète, c'est avant tout plonger l'humanité dans la régression. C'est menacer la civilisation, ce difficile et long chemin que nos aînés ont emprunté. Yannick est sans doute de ces écologistes préoccupés par le sort de la société, et non d'abord par le droit des animaux ou des pierres.

 

Mac Carthy a écrit '"la Route" à 70 ans. L'âge où l'on doit se reconcentrer, sans doute, sur l'essentiel.  D'où le caractère épuré de ce roman. Et il nous montre que si la condition humaine a un sens, c'est de continuer. De transmettre. De préparer l'avenir. C'est comme si l'auteur nous disait : "ne vous posez pas de questions, préparez la suite". Et cela vous suffira bien.

 

On peut aussi refermer ce livre sur une note métaphysique. La recherche de l'immortalité est absurde. Il faut accepter la mort. La vie se définit comme la lutte incessante pour se prolonger, y compris par l'enfantement, mais la mort l'emporte. Si elle n'était pas là, au bout, une vie n'aurait aucun sens.

 

Décidément, la vie est bien faite.

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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