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31 août 2012 5 31 /08 /août /2012 01:45

 

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Dans "Eloge de la confiance", son essai philosophique sage et presque humble, Michela Marzano surligne l'incohérence de la société libérale à travers son incapacité à intégrer la notion de confiance entre humains.

 

Michela Marzano (que je connaissais car souvent invitée sur les "débats de société", mais que je n'avais pas lue) n'est pas verbeuse pour un sol tournois. Elle reconnaît sans cesse sa dette aux penseurs majeurs, de Descartes à Machiavel en passant par Nietzsche. Ce qui donne à son essai écrit avec une simplicité presque désarmante un aspect "revue de littérature" sur le thème de la confiance, ou bien dissertation de 250 pages...

 

Si comme le disait Gilles Deleuze, la philosophie consiste à "fabriquer des concepts", alors Michela Marzano n'est pas philosophe, mais plutôt essayiste appliquant au présent les leçons des grands penseurs. Mais ce n'est pas un reproche. Beaucoup a été dit par le passé. 

 

Le management contemporain incite à nous concentrer sur "la confiance en nous", à ne pas monter nos faiblesses, à nous valoriser sans cesse et à être lisse. La confiance en autrui, au sens où il s'agit de baisser la garde, n'est pas compatible avec la doxa libérale. C'est le modèle du contrat qui prévaut partout. Le contrat de gré à gré. Le "donnant donnant" ou le "gagnant gagnant" de Ségolène Royal (concept qui démontrait bien l'intoxication libérale de la gauche à ce moment)... 

 

Dans l'économie, l'amour, le contrat serait la solution... Même des gens (qui se croient) de gauche, comme par exemple (ça c'est moi, pas Marzano), ce vendeur d'amulettes qu'est Michel Onfray, nous expliquent que le contrat c'est le nec plus ultra de l'humanité réalisée.

 

M. Marzano nous invite à accepter l'incertitude, la vulnérabilité liée à la confiance, et à ne pas nous isoler dans la simple confiance en soi (qui n'est pas possible sans autrui), nous assécher dans le pur abandon ou la logique froide du contrat.

 

La philosophie libérale est bien résumée par la phrase de Mandeville : "les vices privés font les vertus publiques". Adam Smith prolongera cette intuition. Pour lui, l'intérêt général ne peut être que la somme d'intérêts particuliers. L'amour propre, la recherche de l'intérêt égoïste, sont des données anthropologiques centrales sur lesquelles on doit bâtir toute espérance humaine. La confiance n'a aucun rôle dans ce modèle. Seul le contrat abrupt est raisonnable. Il permet aux intérêts égoïstes de s'articuler.

 

Pourtant, le calcul égoïste peut être moins porteur pour l'humain que la coopération (donc la confiance). Le fameux dilemne du prisonnier le démontre parfaitement.

Deux prisonniers sont séparés et on leur fait trois propositions :

- Si tu dénonces ton complice et qu'il ne te dénonce pas, tu es libre et ton complice va dix ans en prison

- Si vous vous dénoncez tous deux, ce sera cinq ans pour les deux.

- Si personne ne dénonce, un an pour les deux.

Le simple calcul égoïste d'Adam Smith conduit les prisonniers à dénoncer. Pourtant le mieux serait de se faire une confiance risquée, et ainsi de minimiser la peine. La confiance peut payer.

 

Toute l'économie, la crise des subprimes l'a montré, repose sur la confiance. Sans elle tout peut s'écrouler. L'institution de la monnaie tient sur la confiance. La célèbre banqueroute du système de John Law, qui a retardé considérablement la création du papier monnaie en France, l'avait montré.

 

La croissance et l'emploi reposent sur la confiance. Mais une contradiction flagrante empoisonne la société libérale : elle demande la confiance, mais la sabote sans cesse, en prônant le chacun pour soi, mais aussi en répandant l'incertitude. Sans stabilité des relations, la confiance est condamnée. Pourquoi investir, emprunter, si on ne peut croire en rien de tangible ? Si le politique n'est plus crédible. Si les institutions comme les banques sont faillibles, voire clairement mensongères ?

 

Le libéralisme dit : "ne compte que sur toi même"... Et les conséquences en sont la stagnation, l'attentisme, la précaution, la faiblesse de l'innovation.

 

Nous vivons aujourd'hui dans le cercle vicieux de la défiance. Nous y répondons en augmentant les normes partout. En nous accrochant à ces normes et dénonçant leur oubli. Et face à ces angoisses, nous préparons d'autres normes. Une course à la stérilité.

 

Faute d'une saine confiance, la transparence absolue est réclamée partout. C'est une impasse. Car avoir confiance signifie avoir quelque chose à confier, justement. C'est la chose dissimulée au regard qui peut être confiée à l'autre, créant ainsi le lien.

 

La traque du mensonge, érigée en croisade citoyenne, est aussi une erreur fondamentale. Car dire la vérité n'est pas toujours indispensable, voire utile. Il y a des mensonges justifiés et même vitaux.

 

On doute de tout aujourd'hui, de la moinde information (le complotisme). Or, l'auteur nous incite à redécouvrir Descartes, celui qui a fait du doute le fondement de sa philosophie. Il ne présente pas le doute comme une fin en soi. Le doute ne vaut que parce qu'il permet une certitude : "je suis". Le doute permet donc vite de ne plus douter.

La suspicion partout est une impasse pour l'humanité.

 

La logique contractuelle est un faux semblant. Elle ne suffit pas, elle n'est pas aussi riche que la confiance.  Et en bien des domaines, elle ne fonctionne pas, par exemple en amour. Ainsi, compte tenu de la nature du désir, changeant, la promesse contractuelle n'a pas de valeur. Le "Je" est changeant. Le désir est mystérieux à soi-même, opaque et complexe, il n'offre aucune assurance pour l'avenir. Donc l'amour suppose d'accepter l'incertitude, la possible défaillance de l'autre un jour, la possible déception. Dans "Le Banquet", Platon le dit joliment : "l'amant seul peut jurer, et s'il passe outre à son serment, obtenir le pardon des Dieux. Car ce n'est pas un serment celui où est mêlée Aphrodite".

Il y a, dans l'amitié ou l'amour, un désintéressement qui est contraire à la froideur méfiante du contrat.

 

Dans la relation thérapeutique, on voit aussi que le contrat ne fonctionne pas. Il convient de faire confiance. Un Médecin ne doit pas forcément dire la vérité, alors qu'un modèle contractuel l'y obligerait.

 

Face à ce conflit entre l'égoïsme libéral et la nécessité de faire confiance car on ne peut pas vivre en autarcie, une part de l'humanité résout le problème en fuyant en avant. Les héritiers des grands mystiques, ce sont les sectes. Mais en plongeant dans l'abandon, on renonce à la confiance en soi. La confiance véritable suppose d'avoir confiance en soi pour pouvoir se livrer, justement, et établir des liens enrichissants. L'abandon est un saut dans l'abîme très dangereux, alors que donner sa confiance est un saut dans la seule incertitude. Par l'abandon, on se met à la merci de l'autre.

 

La confiance suppose une certaine dépendance à l'autre cependant. On donne sa confiance sans garantie de réciprocité. Mais c'est à ce prix que se réaliser est possible. Car la méfiance exacerbée ne conduit à rien, sauf au déssèchement solitaire.

 

La capacité à être confiant se construit tôt, dans l'enfance. Lorsque l'enfant apprend à être autonome, et à faire confiance à ses parents qui le laissent seul mais reviennent. Il éprouve ainsi la permanence des liens. De même, c'est dans l'enfance, que se construit cette confiance en soi, favorisée ou bien étouffée, qui est si nécessaire à la découverte d'autrui. Ceux qui n'ont pas développé cette confiance en soi et en l'autre, réagissent par l'enfermement (tel Daniel Auteuil dans "un coeur en hiver" de Claude Sautet), par un don juanisme qui conduit nulle part, ou par une incapacité à accepter l'autre dans son altérité (dérives fusionnelles à répétition).

 

La confiance n'est possible que si l'on admet la possibilité de la trahison ou de la défaillance. La confiance "recèle en elle-même le germe de la trahison". Elle implique d'accepter l'opacité de son partenaire. De savoir que le changement est une donnée de la condition humaine. D'accepter que l'on peut se blesser. Dans le cas contraire, rien ne peut être authentiquement vécu. Les humains ne sont pas auto suffisants, ils ont besoin de créer des liens.

 

Michela Marzano nous incite à penser que le problème n'est pas la possible trahison un jour. Cela on ne peut pas sérieusement le conjurer. Car la passion ne se décide pas et ne se prévoit pas. Le vrai problème est le mensonge planifié, manipulateur, pour arriver à des fins. Cela c'est insupportable. Mais on ne peut pas confondre ce mensonge avec l'impossibilité de dire ce qui sera véritable dans l'avenir.

 

La confiance, c'est accepter la nature versatile et mystérieuse du désir, et c'est donc "prendre au sérieux le désir de l'autre". Comme Clint Eastwood qui accepte de débrancher le respirateur de sa protégée dans "One million dollar baby" parce qu'il comprend que c'est son souhait profond, malgré lui.

 

Ce que nous promet la confiance si nous en sommes capables, n'est possible qu'au prix du "lâcher prise". C'est ce à quoi nous encourage Mme Marzano, avec subtilité et raison.

 

 

 

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commentaires

D
bonjour, la participation de Marzano dans l'émission de TV " ce soir ou jamais" ne m'a vraiment pas convaincu, et si votre livre concernant l'amour est de la meme facture, je m'abstiendrais de le lire. D'ailleurs tous les participants à cette émission de TV ont été consternants de betises et d'enfantillages.. C'est vraiment désastreux et tout à fait à l'image de la société totalement aliénée et aliénante dans laquelle on vit..merçi
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J
je ne sais pas de quelle émission vous parlez. J'ai lu un livre de mme marziano il y a déjà un long moment. Il m'avait paru sage. C'est tout. C'est un blog de lectures. Pas de polémique ou d'"avis". Il y en a trop.Moi je veux juste parler d'œuvres qui me semblent intéressantes, ou dire quand elles m'ont paru insuffisantes, ou nocives, ce qui ne veut pas dire qu'elles ne doivent pas être lues. Je pense qu'il faut lire les auteurs, et ainsi cheminer. Mme marziano, de mémoire, propose la confiance comme moyen de quand même vivre dans un monde contingent par excellence. Ca me parait raisonnable.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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