Je me permets de suggérer à tout lecteur passionné de conserver, dans sa file d'attente de futures lectures,
quelques "classiques". Particulièrement de petits romans comme des intermèdes délicieux, des gourmandises rares que le diabétique se permet de temps en temps, car il est sain que le corps
exulte.
Il est vrai que lire un passage de Mme de Lafayette entre deux productions contemporaines, c'est comme se permettre une omelette aux truffes entre le morceau de bon pâté nourissant et la Dinde. Je ne parle pas des boîtes de Ravioli... Personne n'est tenu de lire Christine Angot.
Il y a cette emphase, sur le fond et la forme, aujourd'hui obsolète ; cette richesse de la langue, dont j'avoue être mélancolique. Il y a cette manière abandonnée par la Post modernité, d'évoluer sans cesse du particulier au général, de prendre des exemples pour en tirer des vérités définitives sur "la" nature humaine, "la" Femme, etc... Ce sont parfois des bêtises, mais brillantes.
Par exemple, dans "La Duchesse de Langeais", récit romantique que je viens de lire, Balzac décrit les sentiments de l'amoureux transi de la Duchesse, Armand. Et tout d'un coup l'auteur nous affirme, sentencieusement : "Mais il n'y a point de petits sentiments pour le coeur ; il grandit tout ; il met dans les mêmes balances la chute d'un Empire de quatorze ans et la chute d'un gant de femme, et presque toujours le gant y pèse plus que l'Empire". Cela ne s'ose plus, car voyez-vous, on est revenu de tout. Et vous ne trouvez cette grandiloquence que dans les "classiques", ou les néos classiques ("Aurélien" d'Aragon, qui certes date un peu, me paraît un néo classique).
C'est dans le domaine psychologique que les classiques sont bien sûr indépassables. Stendhal évidemment. J'aime Lucien Leuwen particulièrement. Stendhal, dans plusieurs de ses livres, nous offre une analyse psychologique merveilleuse de membres de ces générations perdues, nés après les tumultes révolutionnaires et napoléoniens.
Comment s'expliquer cette retenue de la littérature contemporaine pour la psychologie, au profit d'une écriture plus comportementaliste ? Se contentant de nous expliquer ce qui se produit, se perçoit. Est-ce parce que la psychologie, depuis le dix-neuvième siècle, s'est autonomisée en tant que discipline ? Je ne sais pas. Si vous avez un avis sur la question, je suis tout à fait preneur.
De même, cette écriture omnisciente, disséquant les personnages, a été abandonnée au profit de l'écriture du type "flux de pensée". Ou d'une écriture minimaliste. Ou encore d'une écriture impressionniste. C'est comme si l'écrivain ne s'arrogeait plus tous les droits sur ses personnages, car il ne se permet plus de penser la réalité sans d'infinies précautions.
La Duchesse de Langeais, écrite par un Balzac alors légitimiste (c'est à dire royaliste tendance dure), exprime toute sa déception envers une aristocratie qui n'est pas à la hauteur de l'Histoire de France. Une déception amoureuse en a convaincu Balzac. Langeais est une coquette. Une petite manipulatrice, même pas perverse, qui joue avec le feu, jusqu'à s'y brûler tout entière. Une tête légère comme la classe à laquelle elle appartient, confinée dans le Faubourg Saint-Germain, dont elle est un des joyaux. Balzac n'a pas compris que la décadence de la Noblesse était irréversible. Que la Révolution n'était pas un accident. Ce roman est donc une curiosité : l'expression du dépit d'un écrivain impitoyable avec les Nobles, car il en attend beaucoup, il en espère un renouveau. Les "classiques" regorgent de ces curiosités, et nous révèlent ainsi la richesse infinie du passé.
Le roman décrit l'évolution des sentiments d'Antoinette de Langeais et du Général Armand de Montriveau avec une profondeur qui aujourd'hui, ne tente plus les écrivains. Vous ne la retrouverez plus qu'en costume d'époque. Stockez donc quelques "classiques¨, même si vous êtes aspirés par la compréhension de votre époque.