Un type s'avère aigri et
ambitieux.
Il veut prendre le pouvoir. A cette fin, il cherche à rassembler tous ceux qui ont une raison quelconque d'en vouloir aux
chefs en place : les perdants, les fainéants, les oubliés, les envieux, les cupides, les ulcéreux. Il les agite et entretient leur animosité.
Partout où ils sont, il suscite leur fiel, leur fournit de l'espoir pour l'avenir, leur explique qu'il est un fier à bras et
qu'au moment voulu il ne se dégonflera pas - lui - pour chasser ces chefs qui leur pourissent la vie...
Vient un jour où tous se rencontrent et c'est très tendu. On est à deux doigts d'en venir aux mains. Mais ça se calme. Ce n'est que partie remise. Les critiques et sarcasmes reprennent de plus belle. Chacun rivalise de phrases venimeuses et de menaces contre les chefs. Des incidents éclatent. On sent que le dénouement est proche.
Comme les envieux veulent s'assurer de réussir, ils prennent contact avec de nouveaux alliés potentiels. Ceux-ci finassent, tergiversent, mais finissent
par se laisser séduire. Un jour, l'un de ces nouveaux comploteurs se fait piquer en train de médire sur les chefs. On lui explique qu'il peut se blanchir en dénonçant les vrais méchants, les fomenteurs de la trahison, en aidant à leur tendre un piège.
A la suite de quoi les traîtres sont confondus et corrigés un par un.
Pendant ce temps, le leader de la contestation s'est mis au vert par prudence. Il apprend que ses amis ont été percés à jour, mais il veut penser que c'est le
signal de la révolte. Alors il rue dans les brancards et se retrouve seul et acculé. Il disparaît de la vie de la communauté...
... Après ça, on causera beaucoup pour dire que cet incident a révélé la sale ambiance qui régnait. Et les problèmes futurs seront lus au regard de cette ancienne
crise.
C'est arrivé dans votre association, votre club d'escrime, votre syndicat, votre troupe de théâtre, votre boîte de com' ou votre promotion de prépa HEC ?
Sans doute, et rien de plus normal.
Mais sachez que c'est aussi le propos de "La conjuration de Catilina" de Salluste, grand texte
historique romain, référence pour ceux qui perpétuèrent la pratique de l'Histoire à travers les siècles.
Un court récit écrit au cours du premier siècle avant JC, et qui raconte un complot déjoué par Cicéron à Rome, annonciateur de l'agonie de la République.
Catilina, furieux de ne point parvenir à être élu Consul, essaya de cristalliser tous les mécontentements dans une Rome paradoxalement affaiblie et corrompue par ses succès et l'immensité de ses conquêtes.
Cicéron, le fameux maître en rhétorique, le mit en échec en retournant ses alliés gaullois et en les transformant en taupes au sein du complot.
Catilina tenta le coup pour le coup et prit les armes. Il fut écrasé et mourut le glaive à la main, dans un sursaut de dignité. La République s'en sortit,
mais vécut ses dernières heures, comme Cicéron. Le Césarisme était déjà là.
Ce petit texte est intéressant à lire, tant il montre que la politique suit finalement les mêmes schémas depuis fort longtemps. Les guéguerres de clans,
tout ce qui agite le landernau, ce ne sont que péripéties bien répétitives. L'essentiel n'est sans doute pas là. Pour comprendre le monde sans doute faut-il regarder ailleurs, au plus profond et
durable.
La politique, vraiment, c'est du déjà vu.
. Alors
délaissez si vous le pouvez les Dépêches AFP et leurs innombrables retranscriptions pavloviennes, les rubriques "en hausse/en baisse" des hebdomadaires. Préférez "la Dynamique du capitalisme" de Fernand Braudel (petit ouvrage lumineux sur l'histoire de ce mode de production) aux éditoriaux des économistes et
"spectateurs engagés" en vogue, qui se sont toujours trompés mais continuent à arborer la même suffisance.
Comme "la Conjuration de Catilina"est publiée en "bilingue", vous pourrez ressentir un brin d'émotion en vous souvenant de vos cours de latin en 4ème.
P.S : la grande hélléniste Jacqueline de Romilly nous a quittés. J'ai lu son "Alcibiade" il y a dix ans. Edifiant. Encore un personnage qui a montré, il y a si longtemps à Athènes ou en se vendant aux ennemis de la Cité, la
nature de la politique. Celle qui se déploie chaque jour devant nous. La politique, c'est l'art de conquérir le pouvoir. Et tout est presque dit.