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18 février 2012 6 18 /02 /février /2012 08:43

 

RTEmagicC_4f2703a181_jpg.jpg Dans ce Blog, j'ai déjà manifesté mon inclination pour la Renaissance, à travers Léonard de Vinci ou Montaigne. La Renaissance est le printemps de l'humanité, ce moment inouï où tout foisonne après une longue et relative hibernation.

 

Il me semble que nous aurions bien besoin d'un élan identique à celui de la Renaissance, même si notre époque ressemble parfois plus au Bas Empire Romain qu'à l'ère médiévale...

 

Pourquoi ce printemps ? Il n'est pas tombé du ciel. Ce ne fut pas une somme de coïncidences fortuites. Dans la philosophie matérialiste qui a ma faveur (l'existence précède l'essence pour résumer), la Renaissance peut être lue comme le coup d'envoi de la grande révolution bourgeoise. Elle l'annonce et la prépare, elle en envoie les premiers signes. La Renaissance s'exprime d'abord dans les villes, là où la bourgeoisie se dynamise.

 

Mais l'analyse historique matérialiste ne doit pas être bêtement mécanique. Si les forces matérielles sont en dernière instance le moteur des changements, les idées jouent un rôle essentiel. Elles annoncent les changements (parfois avec un prophétisme déconcertant), elles préparent le terrain et s'attaquent aux remparts de la société à abattre, elles mobilisent autour du grand dessein historique qui anime la classe montante. Pour briser la féodalité, c'est tout un rapport au monde qu'il fallait transformer.

 

Les grandes révolutions historiques sont donc précédées d'un bouillonnement d'idées.  C'est pourquoi il faut être toujours plus attentif à ce qui se passe dans la sphère de la réflexion et de la recherche. Les livres sont les lueurs qui nous annoncent la mort des étoiles.

 

C'est ce que nous montre le philosophe allemand Ernst Bloch dans un petit ouvrage sobrement intitulé "La philosophie de la Renaissance". Il s'y attache à expliquer, de manière tout à fait brillante et limpide, la pensée d'un certain nombre de philosophes de la Renaissance (qui annoncent Descartes et Spinoza, les deux philosophes majeurs de l'âge moderne et du rationalisme), parfois négligés, et de resituer leur pensée dans la perspective de l'ascension de la bourgeoisie européenne. Une ascension qui va d'abord passer par une alliance avec l'Etat central absolutiste, contre le féodalisme local, avant d'en découdre plus tardivement.

 

 

La philosophie de la Renaissance, c'est d'abord la célébration de l'activité : l'Homme invente et agit. Il prend des initiatives. C'est l'époque où les Médicis créent la première Banque à Florence. La bourgeoisie montante a besoin d'une pensée qui se préoccupe de ce qui se déroule sur Terre...

 

Cette activité est individuelle. L'individualisme bourgeois naît à ce moment là. On en trouve les traces dans le théâtre, avec au sommet Shakespeare. Mais dans bien d'autres domaines : pour la première fois, par exemple, la signature d'une oeuvre est un élément qui compte dans l'Art.

 

 

C'est ensuite la conscience de l'immensité du monde, concrétisée par la victoire des idées de Copernic, et la volonté de le conquérir, pulsions typiquement bourgeoises.

 

La Renaissance, sur le plan des idées, commence en Italie. La chute de Constantinople y ramène l'usage du grec. Marsile Ficin, en traduisant Platon en Latin, ouvre sans le savoir une réappropriation de la pensée antique qui va être l'étincelle décisive.

 

Une série de penseurs vont donc manifester des ruptures importantes, irréversibles, avec la pensée médiévale. Avec le génie de l'inventeur et beaucoup de courage : certains seront emprisonnés, et un des plus audacieux d'entre eux - Giordano Bruno - mené au bûcher de l'inquisition. Ces penseurs ont une ambition démesurée, puisqu'il n'existe pas en ce temps de cloisons au sein de la pensée. Ils embrassent le monde et l'univers, rien de moins.

 

On a oublié Patizzi et Pomponazzi. Le premier a ouvert le chemin du panthéïsme : avec l'idée d'un unique souffle de vie qui anime toutes choses, effritant la notion de transcendance. Le second va plus loin, en remettant en cause l'immortalité de l'individu, et en prétendant que les philosophes et les religieux ne peuvent pas se rencontrer, car ils touchent à deux domaines différents : "la nature et la grâce"... La sécularisation de la pensée humaine est en marche.

 

Giordano Bruno, ancien dominicain traqué par l'Eglise, est le plus prophétique de ces penseurs (pour les lecteurs de Marguerite Yourcenar, il est largement le modèle du personnage central de "l'Oeuvre au noir"). C'est le premier à expliquer que l'Univers est infini. D'après lui, notre sensibilité est insuffisante pour saisir le monde, incommensurable. Et Giordano Bruno annonce déjà les découvertes d'exoplanètes en 2011 : "croire qu'il y a seulement des planètes dont l'existence nous est connue à ce jour, n'est pas plus raisonnable que de s'imaginer que le ciel n'est peuplé d'autres oiseaux que de ceux qui passent devant notre petite fenêtre". Et ces planètes, bien entendu, recèlent d'autres intelligences que la nôtre.

 

Bruno associe dans sa pensée l'infiniment grand et l'infiniment petit : le point réalise la ligne qui réalise la surface.

 

Il persévère encore dans cette idée que la matière, dans un univers panthéïste, est le seul principe substantiel.

 

Avec Tomaso Campanella, pionner des utopistes, on voit déjà s'esquisser le caractère furieux du rationalisme, avant même qu'il ne triomphe de l'obscurantisme. Cet extrêmisme de la raison culminera dans les expériences totalitaires. Si le monde va mal c'est qu'il est désordonné, il faut le conformer à l'ordre universel. C'est l'idée d'un Etat Soleil.  Tout doit être organisé, au détail près.

 

L'Allemagne a donné aussi des penseurs à la Renaissance : d'abord Paracelse, qui inspira le personnage de Faust. Ce Médecin qui soulignait les correspondances dans le monde, et entre le monde intérieur et l'univers, prônait une "auto guérison" du monde par la Raison. L'alchimie reflétait cette idée d'une puissance illimitée de l'homme dès lors qu'il savait lire dans le réel. Paracelse imagine déjà l'Homonculus, soit un homme créé en éprouvette...

 

Il y eut aussi l'original et porteur Jakob Bôhme, dont l'originalité est de remettre au goût du jour la pensée manichéenne, exterminée avec la croisade contre les cathares. Bôhme est un cordonnier : un jour il regarde une assiette en étain et a une révélation : la lumière a besoin de l'obscurité pour exister. Il se lance donc dans la construction de la première pensée dialectique depuis Héraclite. Bôhme est le précurseur d'Hegel.

 

Avec Francis Bacon, haut personnage de la monarchie anglaise, nous trouvons la pensée d'une bourgeoisie nationale qui se prépare à prendre le pouvoir et à se lancer dans le capitalisme industriel.  On trouve cette avidité de pouvoir chez Bacon, pour qui la puissance c'est le savoir. Il permet la domination du monde, le "regnum humanum".  Le mot "technique" apparaît.

 

Le monde est régi par les causes, qu'il faut découvrir. Bacon en finit avec le vieux "finalisme" philosophique. Il n'y a que des causes dans un monde désenchanté. La séparation entre religion et science s'impose ainsi. Il faut, pour comprendre le monde, nettoyer son esprit des "idoles", et recourir à l'expérience. Bacon est le premier théoricien radical de l'empirisme.

 

Bacon écrira aussi son utopie : un monde régi par la technique qui conduit au bonheur. Dans cette "nouvelle atlantide" que n'aurait pas reniée Léonard de Vinci, on trouve des hélicoptères, le téléphone, la machine à vapeur...

 

La révolution de la pensée, c'est aussi le renouveau des mathématiques avec Galilée, Kepler puis Newton.  Les découvertes de Galilée dessinent un monde dynamique, rompant radicalement avec la vision médiévale. Il traduit aussi dans son domaine les valeurs de ces bourgeois qui ouvrent les marchés, secouent l'ordre économique et social. S'impose l'idée d'un univers régi par la raison mathématique.

 

Dès cette époque, les jalons sont posés pour une pensée politique nouvelle, avec les pionniers du droit naturel et du contrat social d'un côté (Altusius, Grotius, Hobbes), et le réalisme politique de Machiavel. Quant à Jean Bodin, il formule admirablement, à travers le concept de souveraineté, l'alliance entre les cités bourgeoises et la monarchie pour affaiblir les féodalités. L'idée est déjà nette de la souveraineté du peuple.

 

Belle histoire, que cette odyssée des idées, reflets des mouvements longs du monde, aussitôt réinvestis par les hommes pour aller de l'avant et continuer à tout bouleverser.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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