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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 08:15

toni-morrison-400x295.jpg Le changement, c'est toujours possible. Le monde n'est pas condamné à l'état stationnaire ou à la décadence et rien n'est joué.

 

Pour y croire, pour s'en convaincre, la lecture du petit roman nerveux et condensé de Toni Morrison, "Home", est d'une belle efficacité. Grâce à un violent effet de contraste avec notre présent.

 

Toni Morrison a connu elle-même les dernières années d'une ségrégation hyper violente, dont elle décrit les affres dans ce roman qui frappe en plein coeur. Lecture âpre et douloureuse.

 

Et c'est ce même pays décrit par l'auteur qui a élu le Président Obama et s'apprête, on l'espère, à le réélire. Tant de chemin a été parcouru, jalonné de combats, de défaites qui finirent par contraindre l'adversaire lui-même, à bout d'arguments, à concéder des avancées vers la liberté et l'égalité. Une route jonchée de cadavres de leaders et militants, de déceptions et d'amertume. Mais une route vers le progrès, sans conteste.

 

"Home", c'est l'histoire d'un frère et d'une soeur, Franck et Cee, fratrie issue d'une famille noire miséreuse de la région d'Atlanta. Le Sud raciste des années précédant les droits civiques. On pense immédiatement à Strange fruit de Billie Holliday, source d'inspiration évidente du roman ( Gros plan sur le fruit étrange de Billie Holiday) , où un noir est d'ailleurs massacré près d'un magnolia. C'est comme si Mme Morisson avait résolu de donner son ampleur romanesque à cette "scène pastorale du valeureux Sud" chantée par la voix la plus déchirante du jazz.

 

Le jazz inspire nettement l'écriture de Toni Morrison, on y retrouve une certaine nervosité dans le rythme, une densité (court roman qu se lit lentement), des ruptures de ton et des résurgences. Un rythme tout à fait particulier. Quelquefois on ne voit pas où elle veut en venir et puis soudain.... la lumière. Comme dans le jazz où il y a ces alternances, le sentiment d'arriver sur un plateau après une ascension, une révélation.

 

Franck s'échappe d'un hôpital psychiatrique. On comprend qu'il est parvenu dans ce lieu de perdition après un retour difficile au "pays" comme vétéran de la guerre de Corée. Une guerre inutile, atroce, meutrière et méconnue. A la violence incorporée de la ségrégation, s'ajoute celle de cette guerre où le pire a été vu, subi, accompli. Double traumatisme. Franck est allé se battre, avec ses amis dont aucun n'est revenu, pour une Nation qui le vomit.

 

Pourtant Franck trouve la force de fuir, de rester sobre, pour aller chercher sa soeur dans le sud. Celle ci s'est égarée et a été captée par un médecin eugéniste qui l'utilise comme cobaye. Franck traverse les Etats Unis, comme on plonge dans un cauchemar atroce pour finir par en émerger. Partout la menace plane, partout le mépris. Il parviendra à sauver sa soeur.

 

Toni Morrison a trouvé un procédé tout à fait intéressant pour rendre plus vivants ses personnages : ils lui parlent. Ils sont là et bien là dans son esprit d'écrivain.

 

Les descriptions rendent compte d'un sud ambigu, beau mais envahissant, sec, dur aux humains, parfois tout juste consolant par ses beautés et ses ressources. La chaleur participe de cette anxiété, de ce sentiment de menace qui planent sur les personnages. La mort est au bout d'un chemin de balade d'un enfant.

 

Ce roman parle de violence. De la violence fondamentale, native, des Etats Unis. Pays né sur les cendres d'un génocide et prospérant grâce à l'esclavage. L'auteur met toute la force de son style à nous faire saisir l'ampleur de cette violence dans la chair des opprimés. Ainsi que la destruction terrible des personnalités individuelles traitées comme des nuisibles. Une violence ahurissante qui submerge dès l'enfance.

 

Mais il y a aussi, et c'est le petit côté "conte qui finit bien" de ce livre, la solidarité et la décence des simples. De la communauté mais aussi d'un bon samaritain, ou de blancs. Sans cette bonté qui ne demande rien, Franck et Cee ne pourraient surnager dans cet enfer.

 

A cette lecture d'une histoire ou on lutte pour simplement survivre, et pas encore pour conquérir des droits, je mesure le courage, la témérité, de ceux qui se sont levés contre l'apartheid sudiste. La fureur que cette résistance a pu soulever. Ce n'était pas, pour paraphraser une autre guerre de libération, qui a mal tourné celle-là, un "dîner de gala". Ils ont en partie réussi, même si l'oppression économique et sociale reste de mise. Mais on ne peut plus impunément traiter des êtres humains à l'instar de bouts de chiffon comme c'était encore le cas quand Mme Morrisson était jeune. Toni Morrisson, au firmament de la littérature mondiale. La grande et juste plume de sa communauté afro américaine.

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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