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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 08:45

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(...)  Dans "La Démondialisation" Jacques SAPIR, de son côté, est beaucoup plus catégorique que nos trentenaires qui remettent Keynes au goût du jour (article précédent : Le débat économique est enfin relancé (du moins dans les livres) .

 

Selon lui, la globalisation a désormais heurté ses limites, la "démondialisation" est inéluctable (elle a même commencé, se traduisant par un recul du commerce international depuis 2008), ne serait-ce que pour des raisons écologiques, et la seule question valable est de savoir si nous voulons une démondialisation ordonnée, maîtrisée, ou bien chaotique. L'échec des négociations à l'OMC (cycle de Doha qui n'en finit pas ) est le signe d'un coup d'arrêt.

  

La mondialisation est clairement un échec. Elle a déstabilisé les économies et les sociétés, y compris celles du Sud, d'ailleurs minées par les déchets toxiques massivement déversés sur leur territoire par les pays développés. L'intérêt que les forces du marché ont trouvé dans la mondialisation, c'est de s'affranchir de la nécessité de payer correctement leurs salariés afin de leur vendre la production. L'économie a été aspirée par la course à l'exportation, déstabilisante pour tous.

  

Il convient d'en finir avec l'idée selon laquelle la mondialisation serait un nouvel internationalisme.

 

La mondialisation est tout sauf un processus naturel. Elle a été au contraire organisée, permettant de remettre la pression sur les salaires et de restaurer des taux de profit. Les années 90 ont, pour la France, été le moment d'une grande accélération des effets de ma mondialisation, due à l'élargissement européen. L'Union Européenne, en éliminant la possibilité de la dévaluation monétaire, a accentué le phénomène de pression sur les salaires, seule variable d'ajustement dans la compétition pour accéder aux marchés. Jusqu'ici le propos de Jacques Sapir est tout à fait cohérent avec celui des deux collègues Keynésiennes précédemment abordé.

   

Si la France n'assume pas le pilotage de  ce tournant vers la démondialisation, la situation va s'envenimer. Car pendant longtemps, nous avons compensé les différences de coût de production grâce à notre productivité. Aujourd'hui, les pays comme la Chine, l'Inde, ou de l'Europe de l'Est ont progressé en productivité.  Nos digues fragiles s'effondrent.

   

La mondialisation financière est venue ajouter ses effets à la mondialisation des échanges. Pour financer la guerre du Vietnam, les Etats-Unis ont du manipuler le dollar, cassant la parité entre leur monnaie et l'or, inaugurant ainsi l'ère des changes flottants. Le système est devenu spéculatif et le métier de banquier s'est éloigné du crédit. La mondialisation financière fonctionne comme une "trappe à spéculation" atrophiant l'investissement productif. Le FMI est venu encourager ce mouvement en demandant aux pays de s'ouvrir. Aujourd'hui, les investissements réels ne représentent que 5 % des flux de capitaux dans le monde...

  

La crise de 2008, si elle a illustré les méfaits de cette évolution, n'a pas suscité de réaction des gouvernements, sauf sur les paradis fiscaux.

  

Comme les auteurs précédents, Sapir aborde le sujet crucial de notre rapport à l'Allemagne, mais il en tire des conclusions plus radicales. L'Allemagne fonctionne selon lui comme un "passager clandestin" qui tire avantage de l'Union sans subir de contraintes. Le système européen ne répond qu'aux intérêts de l'économie allemande tournée vers l'exportation, ou plutôt du capital allemand. Cela ne pourra pas durer longtemps.

 

L'Euro, comme l'ont noté les auteurs des "trentes glorieuses sont devant nous" est le fruit d'un compromis : l'Allemagne a obtenu l'accès, sans risque de change, aux marchés européens. Les autres pays, en contrepartie, espéraient s'arrimer aux taux d'intérêt modérés dont bénéficiaient l'Allemagne. Mais ce modèle ne fonctionne pas. Les prêteurs peuvent exiger des "primes de risque" très lourdes auprès de certains pays, comme on l'a vu avec la Grêce et le Portugal.

 

Selon Sapir, le mal est profond et tient aux conditions insuffisantes pour un bon fonctionnement du projet de monnaie unique. Un territoire à monnaie unique doit mettre en place, comme aux Etats-Unis, une réelle mobilité du travail car certaines régions vont concentrer les richesses productives. Et surtout, le pendant de la monnaie unique, c'est la solidarité budgétaire à l'échelon continental. Elle n'existe pas en Europe et les allemands n'en veulent pas.

 

Les gouvernements sont donc dans l'impasse : ils se livrent une concurrence fiscale délétère, et leurs efforts sont vains : ainsi la France supprime des fonctionnaires et casse les retraites pour séduire les agences de Notation,  pourtant son déficit est très proche de celui de l'Allemagne.

 

L'interdiction de "monétiser" les déficits, c'est à dire de les faire financer par la Banque Centrale, oblige à emprunter à taux élevé sur les marchés.

 

Les solutions pour sortir de la crise, qui n'a rien de conjoncturelle, consistent en un changement profond de toute la politique économique. Sapir demande la mise en place d'un contrôle des flux de capitaux pour renverser le rapport de forces avec le marché, et la création d'un cadre protectionniste se traduisant par des taxes aux frontières de l'Union. Toute politique de croissance, telle que par exemple décrite par l'Essai de Berger/Rabault, est vouée à la défaite, tant que ce cadre politique n'a pas été modifié.

 

Le monde de demain doit s'organiser sur la base de grandes régions, relativement autonomes économiquement, qui coopèrent. L'Europe devra disposer d'une "monnaie commune" (déjà proposée par certains défenseurs du NON à Maastricht) servant aux transactions internationales, les monnaies nationales revoyant le jour pour permettre le retour de politiques monétaires au service de la croissance.

 

La spécificité de Sapir, si on le compare par exemple à Emmanuel Todd, autre chantre du protectionnisme, c'est qu'il affirme clairement la nécessité d'une rupture unilatérale de la France si l'Europe ne change pas de cap. A tout prendre, elle sera plus souhaitable que le statu quo. L'Allemagne dépend fortement de ses exportations dans quelques pays dont le nôtre. La France a donc la possibilité de susciter un choc salvateur.

  

Cet ouvrage, malgré son caractère technique irritant, et des digressions un peu étonnantes sur des aspects de détail, me semble plus lucide que celui de Mmes Berger et Rabault, qui sous-estiment la contrainte extérieure, et sont sans doute effrayées par l'idée d'engager un bras de fer au sein de l'Union Européenne. Au sein de la critique progressiste finalement, la grande fracture du référendum de 2005 n'est nullement résorbée (et pour cause, la grande explication qui aurait du s'ensuivre n'a jamais eu lieu).

 

Ce qui est frustrant avec ces auteurs protectionnistes, c'est qu'ils ne vont pas encore au bout de leur raisonnement. On a envie d'aller plus loin. Moi qui habite dans le sud-ouest, je ne suis pas "intuitivement" protectionniste, car nous dépendons absolument d'Airbus, entreprise mondialisée.

 

Donc si je suis conscient des dévastations du libre échange dans un contexte de fortes inégalités de droits sociaux et de règlementation, j'attends de ces penseurs qu'ils nous démontrent que la protection n'est pas une aventure inconsidérée. Sera t-il possible de recréer une industrie textile ou une filière d'électroménager, pour éviter que l'on en passe par des importations ? Le protectionnisme risque t-il de déclencher une nouvelle phase d'affrontement des impérialismes ? Risquons-nous de sacrifier les quelques champions industriels qui nous restent ?

 

Les deux livres évoqués ici sont tous deux conscients de l'échec de la stratégie consistant à accélérer la construction européenne pour dresser un bouclier social et recréer les conditions d'une politique économique plus efficace. Ils s'accordent certes sur l'analyse selon laquelle le fonctionnement des institutions européennes est un "cheval de troie" de la mondialisation à contenu libéral. Cette convergence est à souligner, car il y a peu de temps, une fraction très pro-européenne avait tendance à affirmer que l'Europe était un bien en soi. Ce n'est désormais plus possible et on est tenu d'interroger la direction adoptée par cette construction.

 

Cependant, quelles conclusions à en tirer ? Faut-il aller jusqu'à l'aventure de la renationalisation de notre politique économique ? Doit-on claquer la porte ou pratiquer la chaise vide ? Doit-on préférer quelques compromis même bancals, mais qui préservent l'existence de l'Union ? Telles sont les questions posées à ceux qui veulent une autre politique économique.

 

Espérons que ce bouillonnement des méninges soit annonciateur de nouvelles options politiques. Celles-ci seront en tout cas indispensables pour sortir de ce marasme économique qui ronge tout notre fonctionnement social.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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