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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 18:43

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Jean-Claude Michéa, orwellien proclamé, essaie de défendre les positions d'une gauche populaire. Pas une gauche fantasmant le peuple, s'adressant au peuple depuis des sommets légitimes, finalement condescendante. Mais une gauche étoitement liée à son substrat historique, sachant tirer parti de ce qu'il a de meilleur, dont cette "commune décence" qu'Orwell discerna en son temps en Angleterre (notamment pendant le second conflit mondial).

 

La décence commune, c'est ce sentiment qui pousse, face à certaines extrêmités, à se dire simplement que "ça ne se fait pas",  et qui manqua et manque encore aux expériences révolutionnaires et réformistes, aux bureaucraties politiques se réclamant du progressisme, aux organisations issues du "mouvement ouvrier".

 

L'un des terrains où se manifeste la discorde entre la gauche qui pense et parle, et le peuple dont elle censée etre la représentante et la figure de proue (je dis bien "censée"), c'est la question culturelle. La "culture populaire", c'est presque une insulte au regard du milieu intellectuel progressiste.

 

Dans un petit texte méchant et criant de vérité, meme s'il manque parfois de nuances, Michéa aborde la question du football, qui occupe une place prépondérante dans les pratiques culturelles populaires, à l'échelle planétaire. "Les intellectuels, le peuple et le ballon rond" (éditions climat) est une défense du football, une critique du mépris intellectuel souvent porté à son encontre, et en meme temps un éloge d'un autre ouvrage : "Le football, ombre et lumière, d'Eduardo Galeano (je ne l'ai pas lu, mais les extraits sont magnifiques). Galeano est une grande voix sud américaine, auteur notamment des "veines ouvertes de l'Amérique latine" que Chavez offrit spectaculairement à Obama lors de leur rencontre au sommet des nations du continent.

 

Michéa écrit ce texte juste avant la coupe du monde 1998, et il me semble que ce n'est pas neutre. Le foot, pendant un temps, est devenu très chic en France, dans le sillage de la coupe du monde remportée. Y compris dans les milieux de la gauche cultivée, attirée par la divine surprise du "black blanc beur". Et depuis, si l'enthousiasme s'est évanoui, il reste que le sport est aujourd'hui regardé d'un autre oeil par les intellectuels. La littérature et le cinéma ont su s'emparer du sport (je pense par exemple  au mythe de la demie finale France Allemagne de Séville 1982, ou récemment à un roman de Jean Rouaud. Des journaux dits "de référence" comme Le Monde ou Libé, donnent une vraie place au sport, avec un approfondissement de la réflexion). Le politique aussi, malheureusement, est venu sur la photo. La tentative d'instrumentalisation par le Président français de la coupe du monde de rugby en France fut un moment particulièrement glauque (allant jusqu'à me pousser, personnellement, à applaudir la victoire des anglais contre le XV de France, ce qui n'aurait jamais pu m'arriver avant et ne surviendra sans doute plus jamais). Les sportifs d'élite ont changé, sont devenus des communicants qui se recyclent dans les médias, inspirent des réactions nouvelles.

 

(Pour ma part, j'ai joué de longues années au foot en club. Ce fut ma passion d'enfant, dévorante comme elle devait l'être. Elle a     fluctué en intensité, selon les âges. J'avoue que les péripéties de l'équipe de France en Afrique du Sud, et plus encore de ce qu'elles suscitèrent et révélèrent (l'infantilisme médiatique, la recherche de boucs émissaires, le racisme qui s'en donne à coeur joie quand on rompt les amarres du surmoi), ont porté un préjudice presque mortel à cette passion que j'entretenais. Le charme est rompu pour le moment (en ce qui concerne le tour de france, il est mort et enterré), et je dois aller le débusquer dans des moments exceptionnels (le périple du Barça, la coupe du Monde, le très haut niveau....). Mais je suis en plein accord avec Michéa : le problème ce n'est pas le football, c'est la "dénaturation" du football par l'argent qui est en cause. Les clubs sont aujourd'hui non pas des fins, mais des moyens de multiplier des transactions rémunératrices. Le problème n'est donc pas de critiquer le football (en tant que sport, je ne parle pas en tant qu'institution complice de la loi marchande), mais le mode de production qui pourrit tout sur son passage. )

 

Un premier trait des intellectuels est à déplorer, c'est cet héritage platonicien qui conduit à inférioriser le corps. Chez ceux qui vivent de produire uniquement des signes, le corps est vulgaire (les intellectuels ont intérêt bien entendu à valoriser leur raison d'être). D'où le mépris du sport. D'où aussi, Michéa aurait du le dire, la stigmatisation du travail manuel (on oriente vers lui par dépit).

 

(Notre civilisation, malgré les innombrables preuves reçues (la somatisation, la dépression, le vieillissement prématuré, la signification du regard, les dimensions physiques du sentiment amoureux et bien d'autres choses encore), n'admet pas que le corps soit l'esprit et que l'esprit soit le corps. Deux modalités différentes d'une même expression de vie. Ce que Spinoza avait saisi.)

 

A cette première raison qui conduit à mépriser le sport, le football ajoute son caractère populaire par excellence. Le populaire est en lui-même difficilement suportable à l'intellectuel qui parfois s'en est distingué. C'est le vulgos. Et le vulgaire est l'ennemi du raffinement intellectuel. Dans le populaire, il y a nécessairement le populiste, soit l'ennemi de la Vérité recherchée par l'intellectuel. Le football se prêtait à sa "confiscation" par les classes populaires, car il ne réclame rien pour être joué. Un terrain vague et une boule de chiffons. C'est donc un sport qui au regard des couches intellectuelles combine toutes les raisons d'être détesté. Surtout quand comme à notre époque il fait tout son possible pour l'être....

 

Le problème de ces intellectuels qui détestent le sport (tels Jean Marie Brohm pour l'extrême gauche, Robert Redeker aussi - ce singe de Voltaire- qui s'est trouvé une nouvelle croisade), c'est qu'ils ne comprennent pas la passion populaire pour le football de l'intérieur. Donc leur critique reste vaine et superficielle. Les meilleurs critiques des dérives du sport sont les amateurs eux-mêmes, capables de mesurer justement ces dérives au regard de leurs attentes et de ce que le foot est capable de produire.

 

Le problème du football, ce n'est pas le football, cette retrouvaille avec la magie de l'enfance, cette "volupté inutile du corps", cette poésie sans objet, c'est au contraire ce qui empêche le foot de s'exprimer. C'est l'argent qui en change le sens.

 

L'argent élimine l'inutile, la poésie, le jeu sans finalité. L'aficionado le sait parfaitement. Il sait très bien, mieux que l'intellectuel venu lui donner la leçon (même pas venu d'ailleurs, puisque l'intellectuel ne parle pas au peuple) débusquer ce qui relève de la magie du jeu, distinguer le moment exceptionnel. Un mauvais footballeur, ou un cynique qui "ne mouille pas le maillot" n'a jamais sa chance auprès de l'aficionado (que Michéa sépare du supporter, cette figure commerciale).

 

L'idée que les spectateurs de foot sont des brutes est stupide. D'abord parce qu'il y a peu de violence dans les stades, au regard des centaines de milliers de personnes qui se rendent à un match le week end. Ensuite parce que ceux qui y perpètrent la violence ne s'intéressent pas au foot, qu sert de prétexte. Ils ne suivent pas le match. Oui, il y a de la violence verbale et machiste. Mais elle n'est pas spécifique au foot, elle est dans la société. Dans un stade, elle a un caractère rituel, théâtralisé, destiné aussi à faire pression sur l'arbitre (le public est le "douzième homme" de l'équipe), ce qui fait partie du jeu. Personne n'en est dupe, qui connait le football. Les gens rient après avoir injurié, c'est un rite hyper convenu des gradins.

 

Ce que les amateurs aiment par exemple chez Zidane, c'est justement sa grâce particulière, son efficacité certes, mais il y a plein de manières d'être efficace. Zidane a le geste unique, et le public qui aime le football le sait. C'est ce qu'il aime aussi chez un Ronaldo (le brésilien) qui multiplie les passements de jambes avant de tirer, ce que personne ne fait. On ne vend pas de la pacotille à l'aficionado.

 

Il y a dans le foot, un "gai savoir des humbles". Le leur, qui leur appartient en propre, et cela ils y tiennent. Et l'existence de ce gai savoir subtil, riche de ses appréciations historiques et de ces subtilités infimes, devrait enthousiasmer les progressistes par le potentiel d'avenir qu'il dévoile. Le peuple est intelligent. Le peuple tient à son sport, son domaine. Un qu'on lui a colonisé mais pas encore totalement subtilisé. Pourquoi le lui reprocher ? Faudrait-il qu'il se drape dans l'ascétisme pour satisfaire aux désirs de pureté frustrés des intellectuels ?

 

J''ajouterai, ce que Michéa ne dit pas, qu'à travers le foot, non seulement le peuple recherche une catharsis, ce qui en soi n'est pas à déplorer. Car nous avons besoin de catharsis. Mais il cherche aussi des occasions de vivre ensemble, de vibrer ensemble, de faire exploser les différences aussi. Qui n'a pas bondi dans une tribune après un but ou un essai ne peut pas le saisir. C'est ce que vient dire la "ola" aussi.

 

Qui fournit ces occasions là à une époque ou tout dessein collectif a non seulement disparu, mais est considéré comme une folie archaïque ? Pourquoi les gens se ruent-ils sur ces célébrations de victoires sportives dans leur ville, arborant leurs couleurs, même s'ils ne savent pas citer un nom de leur équipe ? Parce que c'est enfin un moment d'appartenir au collectif, de le voir se matérialiser. De le voir s'exprimer avec passion et intensité. La société libérale a anésthésié toute dimension collective, tout sentiment d'appartenance élargi (les seuls sentiments collectifs qu'aime le libéralisme, c'est ceux qui demandent de se distinguer fortement, par la consommation de marchandises. L'être "fashion" par exemple).

 

Quant aux valeurs du foot, elles ne sont pas figées, pas univoques. Elles peuvent impliquer le cynisme, la tricherie, la compétition comme loi absolue. Mais le foot c'est aussi le sens de la patience et de l'entraînement, apprendre à s'accrocher, perdre sans être un perdant définitif, et il en est de même pour le gagnant. Mais encore le respect de règles acceptées, de l'arbitrage (qui est le plus souvent accepté, on l'oublie), le rapport nécessaire à la transmission (l'entraîneur), la fraternité et la solidarité éprouvées. Le sacrifice de soi pour le collectif, l'effort pour l'inutile. On y prend confiance et on s'y désinhibe. On y apprend à vivre, sans dommages. Galeano cite Albert Camus qui disait avoir appris sa morale dans le foot. Je veux bien le croire, car je pourrais presque en dire autant.

 

Que vivent le sport et le foot ! Qu'on les libère des chaînes de l'argent. Que ceux qui pensent, écrivent, se dédient aux oeuvres de l'esprit, puissent se mêler à ceux qui utilisent leur corps, les aident à reconquérir leur domaine contre les financiers. Que de leur rencontre naisse de la créativité. Que l'athlète pense un peu plus et que l'intellectuel s'ouvre à d'autres manières de vivre. Que le mépris, qui est le début du fascisme, s'étiole.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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