C'est un ouvrage soigné, dont l'édition a été tout sauf désinvolte. Richement illustré de reproductions des oeuvres de Kalho et de jolies photos de
l'artiste.
"Frida Kalho", Confidences", de Salomon Grimberg est pourtant à mon sens un livre décevant, un peu énervant même, sur ce personnage magnifique, baroque, singulier, séduisant malgré ses décompositions : Frida Kalho.
Elle était une artiste. Oui une artiste. Et le livre l'oublie. Tout à la dissection un peu morbide des reliques de cette figure du vingtième siècle.
Le livre, assemblage de papiers dont la cohérence est discutable (on finit même par ne plus comprendre qui parle ou écrit, et s'il y a encore un auteur), exploite les discussions entre la peintre et Olga Campos, sa copine psy. Olga Campos nous raconte leur amitié. Chouette, mais encore ?
Et puis on a droit, et cela me provoque même une certaine gêne, à la reproduction brute des évaluations psychologiques de Frida Kalho. Sa personnalité narcissique, ses somatisations, sa dépression chronique, ce sentiment d'abandon qui la consumait...
Les intellectuels peuvent aussi être des voyeurs, des midinettes et des lecteurs de presse people. Mais ils sont assez malins pour le dissimuler sous des prétextes divers. Fouiller dans l'intimité de Frida Kalho, voyez-vous, c'est mieux comprendre son oeuvre... Mais dans ce livre où est l'oeuvre ? Nulle part sinon dans les reproductions de tableaux plaqués au milieu des révélations intimes et du témoignage du celui qui a reçu les confidences. Leur présence sert d'alibi.
Tant qu'à sombrer dans la psychologie rapide, comme le commet le livre, le lecteur pourrait se demander s'il n'y a pas un plaisir un peu sadique à s'apesantir sur les douleurs physiques et morales de cette artiste qui de ses six ans à sa mort ne connut guère le répit.
L'oeuvre de Frida Kalho, c'est pourtant la richesse d'une peinture à la fois politique, spontanément surréaliste (au moment où le surréalisme émerge de l'autre côté de l'Atlantique, étonnante et passionnante coïncidence). Une oeuvre portée vers la sublimation d'une douleur physique et psychologique constante (si quelqu'un dérouilla dans sa courte vie, c'est bien elle). Un surréalisme spontané, métissé avec un ancrage profond dans les cultures mexicaine et indienne.
Parler de tout cela, ce serait ô combien plus passionnant que d'imprimer les résultats du test de Rorschach effectué par Mme Kalho, en y débusquant les références à l'égard des coucheries permanentes de cet érotomane de Diego Rivera.
Si l'auteur avait pu trouver une relique des draps souillés par l'étreinte de Frida et de Léon Trotski, on y aurait sans doute eu droit.
Oui, Frida Kalho se livrait de manière déconcertante dans son oeuvre. Une peinture qu'elle réalisait clouée à son lit, dans un effort de vivre quand même, de créer, de participer de ce monde avec lequel elle entretenait un rapport sensible très fort. Mais c'est vers l'oeuvre qu'il est passionnant de se tourner, et pas vers des détails intimes qui n'ont finalement que peu ou pas d'intérêt. Des enfants délaissés, des invalides, des bisexuelles et des jalouses, on peut en trouver partout autour de soi. Mais ils n'ont pas produit l'oeuvre stupéfiante, dérangeante, fascinante, de Frida K.
Et tant qu'à se pencher sur la relation entre Rivera et Kalho, il est ridicule de dérouler sur les écarts adultérins du géant attachant, ou de leur propension à la régression dans l'intimité. Ce qui est passionnant, et qui n'est même pas effleuré, c'est de mener une oeuvre en parallèle, en s'influençant, en surpassant de suite le rapport du maître et de l'élève, en initiant un dialogue entre deux approches se séparant, se combinant. Pas une ligne, dans le livre de Grimberg, sur ce communisme indigène qui était commun au couple. Synthèse tout à fait personnelle, originale, qui retrouve d'ailleurs un écho aujourd'hui dans les révolutions sud américaines. Impasse sur la politique de l'art et l'art politique, tels qu'ils les ont pratiqués.
Pour ceux qui voudraient faire connaissance avec Frida Kalho, son oeuvre, sa personnalité libre, sa manière de vivre comme une véritable artiste, sans verser dans l'idôlatrie voyeuriste, il est sans doute plus profitable de lire le rapide mais virtuose "Diego et Frida" de JMG Le Clezio.