Je ne suis pas trotskyste et je ne l'ai jamais été. Et pourtant j'ai aimé lire une bonne pile de livres de Léon Trotsky, révolutionnaire mais
aussi écrivain de premier plan.
Lev Davidovitch était surnommé "la Plume". C'était mérité. Une plume trempée dans la nitro. A chaque fois qu'il fallait trouver quelqu'un pour écrire, comme lors de
la fameuse conférence de Zimmerwald de 1917 où certains socialistes rompirent avec la honteuse "Union Sacrée" autour des massacres, c'est Léon qui s'y collait.
Trotsky était un intellectuel en même temps qu'un leader et un combattant. Pendant la guerre civile, parcourant le front, il trouvait le moment de lire les
parutions littéraires européennes. J'ai trouvé sur Internet (marxists.org) une lettre où Gramsci répond à ses questionnements précis sur le mouvement futuriste en Italie, en s'étonnant poliment
qu'on puisse s'intéresser à ces questions en pleine crise du capitalisme...
Trostky a écrit avec André Breton un texte lucide, sur les rapports entre littérature et révolution, en plaidant pour la liberté totale de l'artiste. Les deux
larrons n'ont pas attendu Soljenitsyne.
Dans l'histoire du mouvement ouvrier, je prétends qu'il tient la première place en tant qu'écrivain, aux côtés de Jaurès et du trop rare Paul
Lafargue ("le droit à la paresse"). J'ai lu une retranscription éditée d'un débat entre Jaurès et Lafargue devant des étudiants. Lafargue tient la dragée très haute face au géant, en
défendant un matérialisme intégral, contre l'idéalisme maintenu du Castrais.
Le mouvement ouvrier eut ses esprits puissants, tels Rosa Luxembourg ou Lénine. Mais le style de Lénine était lourdingue, préfigurant Mao. Et Rosa Luxembourg
cherchait à convaincre, sans trop ciseler.
Trotsky était un historien, un théoricien, un pamphlétaire, un agitateur. Il usait du style homérique comme personne, le mettant au service d'une ironie
efficace. Et aussi, reconnaissons-le, d'un sectarisme en béton.
On évoque souvent "Ma vie", son autobiographie. J'ai été encore plus marqué par son histoire de la révolution russe. Je me souviens d'un long
passage où il compare les révolutions soviétique et française. A la hauteur du meilleur Michelet.
Le pamphlet "leur morale et la nôtre", dont on pourrait débattre infiniment, est une prouesse.
Découvrez aussi, si vous remettez la main dessus, la brochure "où va la France ?". Prophétique. Trotsky y démontre que si la révolution socialiste
ne s'impose pas en France, le fascisme y triomphera avant la fin de la décennie. Il avait entrevu Vichy, avant même la victoire du Front Populaire dont il percevait toutes les limites.
Trotsky n'avait rien d'un tendre. Sa tendance à l'abstraction pouvait se révéler brutale. Mais parcourir les lignes de cet esprit subtil, sincère, exigeant,
permet de comprendre, avec regret, que cet homme ne serait jamais devenu un Staline. Un boucher paranoïaque et vulgaire.
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