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20 avril 2011 3 20 /04 /avril /2011 19:41

 

mendes.jpg Je n'ai jamais prêté une attention très soutenue à Pierre Mendès France. C'était pour moi, certes, l'homme de la décolonisation, mais vite écarté, sans trop combattre. C'était le dirigeant de gauche dont le bilan social se résumait à un verre de lait chaque jour pour les enfants ... vision somme toute limitée de la transformation sociale. C'était celui qui avait échoué à porter la gauche a pouvoir, fort heureusement supplanté par Mitterrand. Un homme respectable, mais naïf et un peu tendre. Englué dans le parlementarisme de la IVème République. Incapable de relever le gant face à De Gaulle, bien qu'ayant mille fois raisons sur la nature de la nouvelle République de 1958.

 

Et puis surtout, la plupart de ceux que j'ai vus se réclamer de Mendès (il en est de même avec Albert Camus) étaient des capitulards. Mendès était la bannière de tous ceux qui prônèrent le "consensus", le renoncement (il a été supplanté par Delors ensuite). Bref l'icône du Nouvel Obs, cet hebdo moraliste et prétentieux (du vieux Jean Daniel au jeune Claude Askolovitch) dont la vraie nature tient dans les pages "immobilier" (même Jacques Julliard en a eu assez). La deuxième gauche sans sa montre LIP, bref sans l'autogestion. Donc à nu, et finalement libérale. Son bilan ? Le tournant de 1983 et son cortège de chômeurs, et certes le RMI et la CSG... Ah, oui, j'oubliais qu'ils ont aussi aidé le "plan juppé" à s'appliquer, ainsi que la réforme Fillon des retraites... Avec de beaux résultats.

 

Quand j'étais étudiant en Institut d'Etudes Politiques (où j'ai d'ailleurs connu deux très sympathiques membres de la famille de PMF... une prof et une camarade) - cette machine à produire de la modération et donc du conservatisme - le modèle du "grand homme" qui nous était offert était bien Mendès. La femme modèle était Françoise Giroud... L'espoir déçu, Rocard...

 

Il y a eu, cependant, cette empathie étrange du mouvement de mai 68 pour PMF, venu à Charlety voir le mouvement mourir faute de débouché politique. Qui montre que Mendès a suscité l'admiration, en tout cas le respect, au delà de cercles technocratiques ou d'une gauche chrétienne inspirée par Emmanuel Mounier. Et puis il y eut le PSU, ce mouvement contradictoire, où l'on trouvait un peu de tout. Rocard y dissertait chapeauté par un portrait de Lénine...

 

Mais les parangons fidèles de la capitulation méritent-ils de s'approprier Mendès ? Non, si l'on se réfère au comportement de Pierre Mendès-France pendant la guerre. Tel qu'il se révèle dans le témoignage paru en mars 1942 aux Etats-Unis, date à laquelle on ne pouvait certes pas tricher...

 

"Liberté, liberté chérie" de Pierre Mendès France est un livre étonnant. Quand j'ai appris son existence, récemment, j'ai eu envie de le lire, car je me suis rappelé le film "le chagrin et la pitié" de Marcel Ophuls, cette oeuvre importante dans la construction de la mémoire sur cette époque, et qui relate l'occupation à Clermont Ferrand. On y voit Mendès témoigner de son emprisonnement, avec un détachement ironique, souriant, comme s'il racontait une banale péripétie de sa vie, une mésaventure... J'avais été frappé par son élégance, son humilité distanciée, et sa hauteur de vue.

 

Mendès fut héroïque et sans hésitations de bout en bout au cours de la guerre. Et il ne fut jamais animé par le moindre souci de compromis durant ces années.

 

Certes, à certains égards - et il se moque de lui-même à ce propos-, il pêche par naïveté et légalisme, en se laissant incarcérer par souci de s'expliquer publiquement, sans illusion sur la justice pétainiste. Et il attend le jugement de la cour de cassation pour s'évader...

 

Mais dès le premier jour de la débâcle, il n'hésite pas. Pilote dans l'Armée de l'Air, il veut se battre au front, lui qui est Député et ancien membre du gouvernement Blum. Il affronte sans ciller les magistrats chargés de l'habiller en traître juif, surmontant sa peur pour mener la bataille politique, et parvient à les ridiculiser. Il a un comportement admirable en prison, parvient à s'évader en échafaudant un plan minutieux et brillant. Puis avant de rallier Londres, via la Suisse, l'Espagne et Lisbonne, prend le temps de mener une enquête fouillée sur la France occupée. Il s'engage ensuite dans une unité de combat, et risque sans cesse sa vie dans des missions de bombardement.

 

On l'a dit, mais c'est vrai, Mendès c'est l'Honnêteté incarnée. Et on le vérifie à chaque page du livre. Un sens de l'honneur, de la dignité, très profondément ancré. Déjà désuet en son temps.

 

Ce livre, écrit certes correctement par un homme très intelligent, mais tout de même rapidement jeté sur le papier, est un document très riche à plusieurs titres. C'est un livre paru en mars 42, soit dans une période qui reste encore indécise. Mendès, lui, a compris, comme de Gaulle, que la défaite des nazis était programmée. Il avait aussi anticipé le succès des soviétiques.

 

C'est un document précieux sur la vie quotidienne en France en 40-41. Mendès prend beaucoup de temps à décrire longuement, avec de multiples détails, les conditions de vie, dans les villes, les campagnes, les prisons (il évoque même l'homosexualité en prison, sans préjugés et avec empathie pour les hommes qu'on sépare... rare attitude sans doute en 42). Mendès, grimé,  observe la France incognito durant sa "cavale". Et on perçoit les souffrances majeures imposées au peuple par l'occupant, avec le concours actif de la collaboration. Un texte précieux pour les historiens, les réalisateurs ou romanciers qui voudraient s'emparer de l'époque.

 

Mendès consacre de longs chapitres à  l'état d'esprit des français. Sujet qui n'a cessé et ne cessera d'animer le débat historique. Et Mendès est catégorique : les français sont largement hostiles aux allemands, à Vichy, et proches de la Résistance naissante. Y compris les milieux catholiques choyés par Pétain.

 

Difficile d'analyser les raisons de cet optimisme. Dans une post-face écrite en 1977, Mendès juge lui-même cet enthousiasme quelque peu exagéré... Ceci alors que les historiens s'accordent pour dire que l'opinion publique bascule franchement plus tard, à savoir au moment de l'instauration du Service Travail Obligatoire qui envoyait notre jeunesse en Allemagne.

 

Mais en 42, Mendès avait lui-même envie d'y croire, de galvaniser les lecteurs des Forces Françaises Libres, et sans doute de signifier aux américains, qui étaient sceptiques, que les français étaient sans ambiguités aux côtés des alliés...

 

En tout cas, il parvient, tout en étant traqué, à repérer très vite les premières formes d'expression de la Résistance, les journaux clandestins, le système de solidarité qui se noue.

 

Autre signe d'un esprit hors du commun : la perception, immédiate et lucide, de ce qui est en train de se passer pour les juifs. Mendès, par sa personnalité, y est certes sensible. Mais il décrit le processus tout à fait clairement, soulignant même le fait que Vichy a surabondé par rapport aux lois appliquées en Allemagne. S'il ne sait pas que le projet d'extérmination a commencé, il attire l'attention sur les déportations vers l'Europe de l'Est. Ceci très tôt dans la guerre, il faut le rappeler.

 

Le livre de Mendès France est aussi éclairant sur ce qu'est est un patriotisme de gauche, républicain. Un patriotisme comme une évidence : un peuple sous occupation n'est plus libre d'exercer sa souveraineté : l'unité de tous pour la liberté doit s'imposer. La Nation est un espace démocratique, qui n'existe pas sans la souveraineté populaire. D'où le ralliement immédiat de cet homme au projet de la France Libre. Tout de suite, Mendès embarque sur le "Massilia" parti de Gironde avec de nombreux politiques, militaires, fonctionnaires, pour aller continuer la lutte en Afrique du Nord. Et le livre est une analyse magistrale de ce guet-apens ignoble que fut le "Massilia", qui suffit à démontrer l'abjection des partisans de l'armistice et des pleins pouvoirs au pseudo héros de Verdun (en réalité boucher).

 

PMF fut un homme de haute stature, capable d'être implacable pour défendre ses principes, tout en gardant constamment une capacité de jugement sur les ambivalences de l'adversaire,  et ses circonstances atténuantes.

 

Rien de vil chez Mendès-France. Aucune facilité.

 

Je me souviens de ces images de la cérémonie d'investiture de mai 1981. Mendès-France est très âgé, fragile. Mitterrand parvient jusqu'à lui. Il lui serre longtemps les mains. Mendès rayonne de bonheur. Une joie sincère, désintéressée. Et je suis heureux de penser qu'alors il le fut.


 


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commentaires

D
<br /> Bonjour, Je viens de te lire et je fais la même lecture que toi de cette période. Cet homme hors du commun a marqué de son emprunte l'histoire de France, et l'imaginaire des Français. Il n'a pas eu<br /> malheureusement la carrière politique qu'il méritait.<br /> Je m'empresse de mettre ton article en ligne.<br /> Cordialement<br /> F.M<br /> <br /> <br />
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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