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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 10:30

burn-after-reading.jpg Votre serviteur est un amateur avide des films loufoques des frères Coen et n'a ainsi pu résister à acquérir, en tombant dessus, le très sérieux ouvrage que leur consacre les éditions du CNRS... Signé par Julie Assouly, universitaire spécialiste de la Civilisation américaine : "L'Amérique des frères Coen". On va donc parler d'une oeuvre mais aussi d'un territoire.

 

 

Il n'y a pas de sujets sérieux ou futiles, il n'y a que des attitudes sérieuses ou futiles à l'égard des objets qu'on examine.

 

Cependant, on peut parfois tirer le diablotin espiègle par les cornes.... (car il n'a pas de cheveux). Et parfois l'analyse proposée, pointue, qui fait appel à Bourdieu, à Aristote, à Lacan, à Skakespeare, m'a arraché des sourires.... Car me venait le souvenir de Jeff Bridges dans "The Big Lebowski" en train de chercher son joint tombé dans son pantalon de pyjama tout en conduisant... Et je me disais que les frères Coen étaient avant tout de grands enfants s'emparant d'un immense terrain de jeu : les Etats-Unis. Que leur suggèrent les analyses scientifiques qu'on leur consacre ? Ils doivent quand même bien se marrer... Donc il est vrai que c'est passionnant de décortiquer le cinéma singulier de ces grands créatifs - prolifiques en plus pour notre grand plaisir- mais on marche toujours dangereusement sur un chemin de crête entre le ridicule et le pertinent.... Entre l'intelligence et le grotesque finalement. Ce qui justement caractérise bien le cinéma des deux frères.

 

Julie Assouly englobe d'emblée le phénomène en écrivant qu'il s'agit d'un cinéma "cultivé et iconoclaste, fin et grossier, classique et avant gardiste, indépendant et hollywoodien". Un cinéma très riche, à plusieurs niveaux de lectures, très américain, mais sabotant sans cesse les mythes du pays, utilisant tous les codes pour les dynamiter. Un cinéma rassembleur, effaçant - ce qui est typique de l'art américain- les cloisons entre l'exigeant et le populaire. Chacun y puisant ce qu'il peut et veut y trouver. Un cinéma déroutant, car libre.

 

Le cinéma des Coen naît durant le reaganisme et peut apparaître justement comme une forme de réaction à ce pseudo "retour de l'amérique". Il s'inscrit dans une veine qui va moquer la propagande alors à l'oeuvre dans les films patriotiques ou glorifiant l'american way of life face au bloc de l'Est. C'est par exemple l'époque de "y a t-il un pilote dans l'avion" ?" qui ridiculise les figures habituelles du cinéma américain.

 

Les coen vont dérouler une carrière, jouant des codes, jouant d'Hollywood et en sortant pour travailler sur de petits budgets (Fargo coûte 7 millions, alors qu'O'brother coûte 26 millions). Ils ne se laissent jamais fixer. Ils n'abdiquent jamais la moindre liberté. Ils vont là où on ne les attend pas.

 

C'est un cinéma on ne peut plus américain, d'abord du territoire américain, qui a une importance fondamentale dans les films (du minnesota glacé de Fargo au Texas de No country for old men), et où est omniprésent le fameux thème de la frontière, consubstantiel à l'identité américaine.

 

Les Coen déconstruisent sans cesse le mythe de la frontière. Il n'y a plus de frontière, sauf celles - intérieures- que transgressent des personnages marginaux, comme le "Dude" de "the Big Lebowski". 

 

Une exploration de la mosaïque américaine, des particularismes régionaux. D'une Amérique pleine de marginaux (dans "the big Lebowski" on voit se rencontrer un bab attardé, un ancien du vietnam en train de se convertir au judaïsme, des nihilistes allemands.... des artistes du mouvement fluxus, une star du porno, un milliardaire....), mais qui ne sont pas forcément déviants, plutôt immergés dans des sous cultures qui coexistent. Dans ce pays, il n'y a pas de système normatif unique, c'est ce qui rend la rencontre fortuite entre les milieux explosive. Et les frères Coen, tout de même très attentifs à ce milieux de la classe moyenne dont ils viennent, s'amusent à jouer de ces disparités, et pratiquent une satire de la société américaine où tout le monde en prend pour son grade. Les puissants sont vils, cupides, grossiers, porcins (O'brother), mais les petits sont souvent stupides et tout aussi immoraux. Les acteurs sont enlaidis si nécessaire, et choisis pour leur banalité souvent. Personne n'est là pour racheter l'autre.

 

La règle du cinéma américain, c'est l'identification au personnage, mais si vous regardez "Intolérable cruauté" vous ne vous identifierez ni à Clooney ni à Zeita Jones. Il n'y a pas de héros chez les Coen. Vous pouvez vous identifier aux réalisateurs en somme, surplomber la situation, et exercer un humour corrosif, égalitaire quant à ses cibles de moquerie. C'est aussi un cinéma d'une certaine tendresse pour les marginaux, qui ne peuvent pas s'intégrer à un monde dont les institutions ne sont pas fiables (la justice est inepte, les policiers sont corrompus, les avocats sans vergogne, le vendeur de bible est immoral).

 

Les figures mythiques de l'Amérique, tel le barbier ("the barber") sont utilisées et détournées.

 

Les codes du cinéma, les genres (le film noir, le film à la Capra, le western, le film de gangster), sont réinvestis, par hommage, et détournés. C'est un cinéma de "miroirs et de mirages". Les personnages noirs, par exemple, sont utlisés à contre emploi (dans "Blood simple", le seul type noir est un serveur calme, unique personnage honnête et droit du film).

 

Les personnages sont puérils. Les Coen jouent avec le souvenir des films "populistes" de Franck Capra, où des gens simples et naïfs incarnent l'amérique des valeurs. La référence la plus claire est le discours de georges clooney dans "Intolérable cruauté" où il ressemble de très près à James Stewart dans "Monsieur Smith va au Sénat". Mais ces personnages ne sont pas des modèles inspirants ou des figures sauvant in fine l'amérique, ils sont puérils, grotesques eux aussi. Les films des Coen sont émaillés de monologues pseudo philosophiques pastichant la parole de bon sens du peuple américain (exemple le vieux cow boy dans "the big lebowski", qui raconte n'importe quoi).

 

Les Coen jouent de l'espace américain, et s'amusent à inscrire dans cet espace des scenarii mêlant la fable, l'Histoire réelle, les effets du folklore, des références culturelles distinguées. "O'Brother" mêle ainsi une histoire burlesque et picaresque fictive, des références à des figures politique du Sud, l'histoire du new deal, le développement de la country et du blue grass, ainsi qu'un fil de l'histoire clairement référencé à l'Odyssée d'Homère... 

  

S'opère ainsi une fusion des cultures intellectuelle et populaire, particulièrement jubilatoire. Un cinéma un peu schizo, peut-être le reflet du dualisme des metteurs en scène.

 

Sur le plan formel c'est aussi un cinéma passionnant, très écrit, très story boardé, très contrôlé par les deux frères. Avec des influences picturales fortes, comme l'oeuvre (très commentée en France aujourd'hui) d'Edward Hopper, celle de Norman Rockwell.

 

Le résultat est de saper les bases d'une amérique de "l'hyper réalité". Cette hyper réalité, c'est cette prétention de l'amérique d'être une utopie réalisée (cf Jean Baudrillard), et de s'affirmer en permanence comme idéale à ses propres yeux (le fameux american way of life). Les Coen s'emparent de ces mythes et les moquent, les carnavalisent, les détournent (le policier téméraire de Fargo est une femme enceinte, mariée à un bonhomme tout banal et puéril, qui vivent une vie toute modeste dans leur petite maison) : de la morosité des classes moyennes du minnesota dans "Fargo", condamnés au kitsch, à la paranoïa ridicule des personnages de "Burn After Reading". 

 

C'est le mécanique du burlesque consistant à plonger les personnages dans des logiques où tout s'empire, qui sert de dynamite... Mais la meilleure arme des Coen, c'est l'humour noir, qui associe pessimisme et rire. Humour qui a partie liée avec l'humour juif (les Coen viennent d'un milieu assez religieux, ont fréquenté une école talmudique). Les personnages grotesques des Coen font d"ailleurs écho à une figure du floklore juif : le "schemiel", c'est à dire le pauvre type. Mais les Coen utilisent d'autres références de leur communauté : le juif errant par exemple (John Turturro dans "the miller's crossing").  L'humour noir, d'influence juive, se mêle au burlesque, au grotesque d'inspiration sudiste (les romans de Flavery o'connor - que je ne connais pas - semblant être une source importante pour eux, qui lisent directement les oeuvres littéraires et non des scenarii avant de travailler). Le grotesque mêlé à l'humour noir débouche parfois sur le gore (scène de Fargo où un pied dépasse d'un broyeur...). Les Coen, qui ont travaillé avec Sam Raimi ont été plongés dans l'atmosphère du film d'horreur, dont on retrouve les réminiscences (mythe de la frontière, tueur solitaire de "no country for old men", gore).

 

Après avoir réinterpété le film noir, le film de gangster, le film populiste, le film new deal.... les coen ont notamment abordé le champ du western, avec une utilisation nouvelle du western révisionniste type spaghetti (no country for old men) et puis "True Grit" qui s'attaque plus précisément au western classique. On retrouve l'attention au mythe fondateur de la frontière, dans ce qu'il a de mensonger et d'artificiel et dans ses aspects inavouables (tel que Cormac Mc Carthy les a abordés aussi).

 

Le cinéma des frères Coen est d'abord un ciné de grands gosses géniaux, d'intellectuels qui refoulent leur intellect et veulent donner des raisons de rire et d'auto dérision aux spectateurs, d'abord américains. C'est réussi. Mais par cette entreprise de déconstruction permanente du mythe, il rend les spectateurs plus avisés, plus libres. Et ils peuvent tous, par delà leurs différences, s'y sentir attirés.

 

C'est tout le grand talent des frères Coen, cinéastes majeurs de notre temps. Témoins majeurs de l'amérique. Et moi, je suis plus que client !

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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