Les livres qu'on oublie ...
Etonnamment, on oublie totalement certains livres. Surtout quand on les lit vite, mais pas forcément.
Je sais avoir lu "Les faux monnayeurs" de Gide, ou "Les fruits d'or" de Nathalie Sarraute. Je ne suis pas capable de dire un mot à leur sujet. Pas un.
Même constat pour "Rue des boutiques obscures" de Patrick Modiano, ou encore "L'insoutenable légèreté de l'être" de Kundera. "Le fusil de chasse" de
Yasushi Inoue.
Ce sont d'ailleurs des auteurs dont j'ai aimé certains livres, qui restent dans ma mémoire vive : "La
plaisanterie" ou "L'ignorance" de Kundera; "Enfance" de Sarraute, "La porte étroite" ou "Les caves du vatican" de Gide. " Un pedigree" ou "la place de l'étoile" de Modiano.
Mystère de l'amnésie littéraire. Refoule t-on certaines lectures ?
Plus globalement, je ne me souviens presque jamais des dénouements de livres. Je ne me rappelle pas des intrigues policières, je les mélange.
Je garde la plupart du temps une impression, une scène, une couleur, une représentation visuelle d'un passage, un ton, un état d'esprit, une idée. Une
phrase. Par exemple, il est écrit dans le dernier et excellent essai de Jonathan Littell sur la Tchétchénie quelque
chose comme : "mais qu'est ce que la réalité ? La réalité c'est une balle dans la tête"... Marquant, comme tout ce qu'il écrit (je suis de ceux qui se risquent à penser que
"les bienveillantes" est un grand livre. Cent premières pages à couper le souffle. Mais aussi de grands passages comme celui sur
Stalingrad, ou la fuite à travers l'Allemagne, ou le chaos final à travers Berlin).
J'ai été un des rares lecteurs, manifestement, à apprécier son essai "le sec et l'humide", où il
s'essaie à une psychologie individuelle du fasciste. Pour le dire vite et prosaïquement,le fasciste est quelqu'un de "pas fini" dont la passion pour le muscle et l'acier a pour objet de le
rassurer sur sa propre existence. C'est un livre méritoire. On dispose de bonnes analyses politiques du fascisme, mais il y a sans doute à creuser le versant psychologique du fanatisme
d'extrême droite.
Parfois je me remémore un personnage, sans me souvenir de son nom, comme une vieille relation qui ne donne pas de nouvelles
depuis longtemps. Par exemple la fille dont tombe amoureux "Aurélien" dans le roman d'Aragon.
... Et les livres qu'on arrive pas à lire
Dans ma bibliothèque, clignent des livres qui m'énervent. Car j'ai du les abandonner très vite, comme un marathonien en hypoglycémie au dixième
kilomètre.
Je ne parle pas ici des livres franchement sans intérêt, exécrables ou dégoûtants. Non, je parle d'oeuvres dont vous ressentez qu'elles sont majeures. Mais vous n'y
parvenez pas, c'est tout.
Alors on se sent stupide, c'est ainsi. C'est le style bien souvent, qui vous rebute. Ou bien le propos et l'ambiance nous minent le moral. Ou bien on est
paresseux, ou un peu benêt.
Quelques exemples d'échecs me concernant :
- "Austerlitz" de W.G Sebald : j'ai craqué vers la page 120. Trop gris. Trop lourd. Pourtant,
Sebald est considéré comme un immense écrivain, et ce livre est mythique. J'ai même lu l'interview d'un auteur qui prétendait que ce livre était le meilleur
écrit sur la mémoire de l'holocauste. Quant à moi, je ne suis même pas parvenu au point où l'on doit comprendre que le personnage principal a un lien avec le drame.
- "Le bruit et la fureur" de W. Faulkner : impossible d'entrer dans le livre. Qui parle ? Je n'ai
pas su m'y retrouver. Ce roman est considéré comme fondateur. Quand je lis dans une critique de livre que l'écrivain est un disciple de Faulkner, je mesure mon ignorance.
- "Uysse" de J. Joyce : abandon très rapide d'un beau pavé de poche tout neuf. Même motif que pour
le précédent. Or, on nous explique que c'est le roman le plus marquant du 20 ème siècle. Moi, je n'ai pas dépassé la première centaine de pages. Pas de quoi pavoiser.
- "L'Etre et le Néant" de Sartre ; écroulement immédiat de ma part, face aux concepts
phénoménologiques allemands qui émaillent le propos.
- "Vineland" de Thomas Pynchon : pénible. Mais là je me suis demandé s'il n'y avait pas discussion
légitime à tenir sur la qualité de cet auteur, qu'on qualifie comme le génie de notre époque.
- "Cavalerie rouge" d'Isaac Babel : pourtant le sujet me plaisait (journal d'un écrivain
engagé sur le front pendant la guerre civile russe). Mais le style boursoufflé et l'obsession religieuse m'ont rapidement épuisé.
Je me souviens aussi d'un Don de Lillo incompréhensible, dont le titre m'échappe. Bien entendu, Don de Lillo est encensé à chacune de ses
parutions. Mais je l'évite. Ironie du sort : de Lillo se présente lui-même comme un héritier... de Joyce et de Faulkner (encore eux !). Cette littérature là m'est décidemment fermée.
Pour ma part, je conserve chez moi la plupart de ces titres abandonnés en route. Car on ne sait jamais, l'échec était peut-être circonstanciel. Pas
le bon âge. Pas le bon moment. Laissons nous une chance.