C'est un tout petit roman de rien du tout qui se lit comme on
boit un monaco en passant entre deux réunions. Une petite historiette sans prétention, un peu caustique, un peu ironique. Sans trop non plus. Un petit livre au style simple et fluide, qui ne
la ramène pas plus que ça. A lire le temps de quatre allers retours de métro. C'est le petit roman d'Eliane Girard intitulé
"Le cadeau", édité par cette maison d'édition au nom que j'aime beaucoup :
"Buchet-Chastel"... C'est beau hein ?
Un petit roman qui décrit et moque avec un plaisir évident les mésaventures d'un trentenaire parisien des classes moyennes saisi dans l'étau des injonctions de la société de consommation; écartelé entre ce qu'elle propose, offre faussement, incite à acquérir, et la raison qui le pousserait à plus de parcimonie dans ses achats.
A travers cette petite moquerie qui jubile, l'auteur se gausse de notre dépendance maouss costaud à la marchandise et surtout au Signe (la marque KUCCI occupant une place centrale dans le récit). Et s'amuse de ce pauvre garçon hésitant et anxieux en proie à des pulsions contradictoires. Avec un brin de méchanceté justifiée. Sans trop, car on sent bien que c'est de nous, et d'elle y compris, que l'écrivain se moque. Et de cette société de fausse promesses, de mirage organisé, où le crédit à la consommation sert d'opium.
Pour l'anniversaire de sa copine, Félicien s'en va aux galeries lafayette à Opéra (enfin on comprend que c'est là). Il ne trouve pas ce qu'il était venu chercher, financièrement dans ses cordes, alors il erre. Et là il "craque" pour une paire de bottes KUCCI. Il achète. A un prix exhorbitant, qui représente la motié de son salaire mensuel.
Le pacte avec le diable a été signé. Félicien s'enfonce très vite dans les tourments et les regrets, prenant conscience de l'incongruité de sa dépense au regard de son niveau de vie et de l'intérêt de telles bottes. Il hésite et son stress le conduit évidemment à commettre des bévues et à s'enfoncer dans la mouise. Le livre devient burlesque. On s'amuse avec une cruauté gentillette des malheurs sans trop de conséquences du petit mec de bureau qui projetait sur sa nana des rêves de luxe et de splendeur, et qui se retrouve à courir partout dans le métro, chez une inconnue, sur le web, pour tenter d'effacer ses gaffes, aggravant sans cesse son cas. Au passage, l'air de rien, légèrement, on s'interroge sur le concept de Valeur.
Ce qui est drôle, c'est la manière dont le personnage essaie sans cesse de se justifier à ses propres yeux, passant d'un pied sur l'autre. Le discours rationnel n'est que le masque habile des passions qui le bousculent. En clair il est sous influence, et son instinct de sécurité le retient, essaie de le défendre, parfois l'emporte. La raison apparaît comme le déguisement des forces qui se battent pour conquérir sa conscience.
Pauvres classes moyennes, tenues en laisse par la publicité, menton levé de force vers la couche supérieure, à laquelle il est déjà bon de ressembler un peu.
Pauvres classes moyennes, sous contrôle du marché, ainsi incapables de se défendre, de prendre conscience de ce qui leur est imposé, de comment on les gruge. Admiratives de ceux là même qui les mettent sous pression. Eliane Girard leur dit en substance : vous n'êtes pas des victimes, vous êtes des dupes ridicules. Des faisans.
Ce que ça m'inspire ?? Disons que toute critique politique véritable est nécessairement une remise en cause d'un mode de vie. Le reste, la péripétie de gestion, n'est que rayure sur la glace.