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13 septembre 2013 5 13 /09 /septembre /2013 20:31

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" Enée aiguisa Mars en son coeur"... 

 

... Jamais on ne se lassera du génie antique. En tout cas on ne devrait pas. Une telle petite phrase, issue de "l'Eneïde" de Virgile recèle tant d'intelligence, en ce qu'elle démontre, justement, la capacité de la culture antique à penser métaphoriquement l'univers. C'est cette intelligence là qui inspirera tant des Racine, Nietzsche ou Freud.

 

Les Dieux sont là, omniprésents, dans les Chants que Virgile consacra au mythe d'Enée. Mais ils n'ont rien de véritablement transcendants. Ils ressemblent plus à des métaphores du hasard, des pulsions, des phénomènes naturels. Comme si les grecs et les romains, dépourvus de notre science, avaient quand même largement subodoré la fragilité de la divinité comme source d'explication du monde, mais restaient incapables de tuer les Dieux, faute d'une suffisante compréhension de leur environnement. Ils désenchantent le monde, l'air de rien.

 

Les Dieux y sont contradictoires, inconstants, largement impuissants eux aussi, même Jupiter. Ils se querellent comme des enfants, sont pétris de défauts, sont mesquins et trichent, puis se comportent comme des enfants pris les doigts dans le pot de Nutella. On les honore sans trop savoir si ça sert à quelque chose. On consulte les augures, on sacrifie sans cesse des bêtes (on les mange quand même après...) et on cherche les présages, mais c'est pour s'encourager au fond, on parle de "destinée" mais tout se passe quand même comme si rien n'était jamais joué jusqu'au bout. Les Dieux se mêlent aux hommes, ils y sèment des demi dieux. On a là comme une prescience du grand retournement qui fera de l'homme le vrai jupiter. En cela la Renaissance humaniste est bel et bien un retour aux sources antiques.

 

Le polythéïsme, qui est cohérent avec toute cette incertitude des destinées, ces luttes entre raison et passion, entre affect et affect, était plein de sagesse, d'une sagesse qui attendait son heure. Le monothéïsme n'a pas été une bonne affaire pour l'humanité il me semble, même si évidemment le bilan n'est pas si caricatural...

 

Virgile a écrit l'"Eneïde" comme une oeuvre de propagande pour Rome et pour Auguste. Il s'agissait de démontrer que Rome avait pour ascendance la glorieuse Troie et que son chef descendait d'une glorieuse famille, qui a mêlé son sang aux dieux. Mais ce que Virgile démontre surtout, c'est l'ascendance culturelle des ennemis de Troie, les grecs triomphants, sur les romains. Car l'Eneide est une tentative, réussie, même si Virgile n'a pas la puissance d'évocation ni l'audace d'Homère, de donner à Rome son Illiade et son Odyssée

 

D'ailleurs c'est à Troie fumante que commence l'Eneïde. Enée -Demi Dieu- quitte Troie avec son père Anchise et son fils Ascagne pour, selon les voeux de Jupiter et de Vénus sa mère, refonder une nouvelle Troie, ou une nouvelle Pergame (bâtie par les troyens autrefois) en ce pays lointain qu'est l'Ausonie, où règle le roi Latinus. L'Eneïde condense une Illiade et une Odyssée. On y suit le périple périlleux, qui croise sans le rencontrer celui d'Ulysse sur la mer au même moment, des Enéades. Et une fois débarqués en Italie, livrée aux fureurs de mars, on y trouve un récit épique de guerre où Enée le Dardanéen et Turnus le Latin sont les successeurs d'Achille et Hector. Sans cesse les dieux, sous la conduite concurrente de Junon et de Vénus, interfèreront dans les affaires humaines, mais jamais de manière omnipotente. Jupiter arbitre, et si sa faveur va à Enée, en contrepartie du drame troyen, il tergiverse.

 

Les aventures des troyens sont nombreuses, agréables à suivre sous la main de Virgile certes plus austère que celle de son prédécesseur grec. Les troyens devront patienter et connaitre bien des désillusions et des deuils avant de toucher la terre promise et là encore ils devront payer un lourd tribut. Enée, le héros, ne reculera devant rien, allant même jusqu'au domaine des morts dont Virgile nous gratifie d'une visite de fond en comble.

 

Admirable est la modernité de ces chants. Y compris sur le plan formel. La construction est complexe, audacieuse, on y joue des flask backs et des anticipations, ce qui prouve que les romains avaient un beau recul sur le concept de Temps. Sans cesse les héros du présent sont enserrés dans les tenailles du passé et de l'avenir. Le narrateur adopte des formes différentes, il inclut des monologues, il navigue dans l'espace temps, il pratique l'ellipse, il nous propose des piqûres de rappel. Il s'adresse parfois à nous, parfois aux acteurs, parfois donne la parole longuement aux héros. Un large éventail littéraire.

 

Au passage on découvrira que l'amour passionnel n'est pas apparu au moyen âge avec les troubadours bien sûr... Ni le désespoir, ni la tristesse de perdre ses proches, ni la conscience de la valeur de la vie humaine (qu'on nous dit fille du christianisme). La reine Didon saute dans le feu, folle de malheur de se voir quittée par son amant Enée qui doit respecter ses voeux de trouver la nouvelle terre. On est là dans le drame romantique.

 

Dans ce grand songe qui ne s'embarasse pas de réalisme, la guerre apparaît comme un malheur et un bon compromis est ce qu'il y a de plus souhaitable. On pleure les morts.

 

Un petit regret : Virgile est très attentif aux hommes, à leurs accoutrements et leurs trophées, aux cadeaux qu'ils donnent et reçoivent, et moins à la méditerrannée et à la nature, singulièrement absentes. Virgile est très politique, trop politique. Virgile n'a pas le génie d'Homère, il est un ton en dessous. Mais il le sait, il se place sous sa statue en écrivant ces chants.

 

Mais quel bonheur de retrouver ce théâtre des opérations qui a des airs de cousinage avec le surréalisme !

 

 


 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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