Désormais, tout le monde est écologiste. Ou plus personne, on ne sait plus.
Nous pouvons donc nous lancer dans certaines lectures écologiques, sans craindre de nous transformer en barbus débraillés déambulant entre le stand vêtements
mangeables et l’atelier-débat "toilettes sèches dans l’Administration", au festival « champignon et folk song » quelque part dans le piémont pyrénéen.
Quelques pistes de lectures bio à votre attention, en fonction de votre nuance de Vert préférée : écolo radical, écolo érudit, social
écolo.
- DANS LE GENRE ECOLO-RADICAL : « Le Gang de la clef à molette » d’Edward Abbey est un
roman génial écrit dans les 70’s par un pote de Robert Redford (qui l’a préfacé, avec talent). L’ouvrage invente les « eco warriors » considérés comme les héritiers des
« luddistes », ces ouvriers de la première révolution industrielle qui brisaient les machines.
Quatre larrons (un vétéran du Vietnam hautement frappadingue, un médecin-philosophe et latiniste, un mormon qui entretient un rapport charnel avec la
nature, une jeune hippie au caractère trempé et au sex appeal incandescent) se rencontrent lors d’une séance de rafting. Ils décident de résister par l’action directe au saccage du pays qu’ils
aiment : le Colorado et les plus beaux paysages du monde aux alentours.
Chacun a un jour rêvé de se défouler en cassant du cristal (ah bon, pas vous ?). Ce roman permet à l’auteur et au lecteur de le vivre intensément par procuration.
Essayez, ça fait du bien. Nos quatre desperados givrés mais attachants vont parcourir les canyons, détruisant les bulldozers, les lignes électriques, sabotant un pont. Tout en
jouant au chat et à la souris avec les beaufs du coin, merveilleusement dépeints, plus ou moins acoquinés avec les pollueurs. Une traque haletante et drolissime (le livre aurait sa place dans mon
précédent Post sur les livres pour rire), avec une fin magnifique sous influence du chamanisme qui hante ces terres.
Les apôtres de la décroissance (dont je ne suis pas) s’y régaleront. Mais chacun peut trouver son bonheur dans ce livre rebelle, qui est aussi et peut-être surtout
un prétexte pour voyager, ramper, suer, fuir, dans cette nature grandiose, vertigineuse, guidé par un américain viscéral.
- DANS LE GENRE ECOLO-ERUDIT : « Effondrement » de Jared Diamond peut décourager par son
épaisseur et l’ampleur de son projet. Mais plongez-y et vous battrez votre record d’apnée en lecture. L’auteur, scientifique et écologiste dans le genre sérieux, vous promène
avec une érudition hors du commun dans les civilisations les plus diverses en tentant de comprendre comment elles survivent ou disparaissent. On y découvre des pans négligés de l'aventure humaine
: l'Île de Paques, l'épopée humaine à travers les petites îles du pacifique sud, les vikings et leur tentative de s'installer en Amérique via Bering, la conquête du Nord vers l'Islande et le
Groenland, les difficultés de l'Australie et le génie du Japon... On y comprend pourquoi Haïti et la République Dominicaine, bien que se partageant la même île, ont des destins différents. Et
on comprend que les hommes peuvent maîtriser leur avenir à l'aide de la Raison, s'ils savent écarter certaines lubies culturelles (hier le "tout pour les statues "des hommes de Paques,
aujourd'hui le consumérisme effrené et désinvolte).
C'est l'oeuvre impressionnante d'un intellectuel
complet, épigone de Darwin dans sa manière d'exploiter les recherches scientifiques pour réaliser une belle oeuvre écrite. On est béat devant le travail qu'un tel livre révèle. La critique que
l'on peut adresser à Jared Diamond est sa propension au Malthusianisme. Expliquer le génocide rwandais par la surpopulation, c'est un peu court et douteux.
"Effondrement" est un des rares livres de science dure que j'ai réussi à lire. En le dévorant qui plus est. Payez vous en livre de poche un tour du monde en
800 pages. Et en évitant les spots touristiques et le Jet Lag.
- DANS LE GENRE "SOCIAL-ECOLOGIQUE" : les éditions IVREA ont eu l'excellente idée de rééditer un roman méconnu de Georges Orwell - "Un peu d'air frais". Attention, Orwell est sans doute l'écrivain le plus cher à mon coeur, par son oeuvre comme par par son
comportement. Une lumière dans un siècle de cauchemar.
Il est de bon ton de dire que la "vieille gauche" est "productiviste". En gros, la gauche marxiste, ce serait Tchernobyl et l'assèchement de la Mer d'Aral.
Injustement sommaire. Beaucoup de gens de ce camp ont essayé de penser l'émancipation des travailleurs comme une question globale, une transformation de tout le mode de vie. Incluant le rapport
au monde, à l'environnement.
Orwell, parangon de la gauche populaire, a écrit "un peu d'air frais" en 1939. Il conte, sur un mode ironique et grinçant (on retrouve l'humour d'Orwell
chroniqueur génial), les aventures d'un membre de la fraction inférieure de la classe moyenne anglaise. Celui-ci , qui gagne à peine plus que nécessaire à la "reproduction de sa
force de travail" s'évade quelques jours dans son village natal, pour simplement y respirer. Mais le village n'existe plus. Il a été avalé par un développement urbain incontrôlé et
nuisible. A travers lui, c'est un univers qui disparaît, celui de l'avant première guerre mondiale.
Dans la société industrielle avancée vue par Orwell, l'homme n'est pas seulement exploité et aliéné à son poste de travail, mais dans tous les compartiments de sa
vie. On a souvent dit qu'Orwell était un prophète et on n'exagère pas. Il faut lire ces passages, écrits dans les années 30, sur la laideur de la périurbanisation, de l'étalement urbain,
sur la fausseté du pseudo retour à la campagne qu'incarne la vie pavilonnaire. Une longue file de décennies d'avance sur nos urbanistes qui tiennent colloque sur les dégâts de la "rurbanisation",
la densification des villes, les schémas de cohérence territoriale et tous concepts en vogue.
Orwell rejette cette société où trouver un
coin pour pêcher ou un bosquet auprès duquel flâner devient une prouesse. En même temps, il annonce le déferlement barbare des "hommes mécanisés" et la guerre pour 1941. "Un peu d'air
frais" est aussi un beau témoignage sur ces gens, nombreux, qui pressentirent le désastre mondial sans trouver le moyen de s'y opposer, coincés entre le stalinisme, le fascisme, et l'aveuglement
des "démocrates". En Espagne, Orwell a compris ce qui attendait l'Europe. Il s'y est préparé, ce qui explique sa réaction juste face au nazisme, alors que certains donnaient dans
un pacifisme à contretemps. Orwell est grand.