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14 mars 2012 3 14 /03 /mars /2012 08:00

 

7owk8pirf68q2nz4l5tv4uenhibkm-copie-1.jpg   Pour ceux qui souhaitent lier connaissance avec ce Roi considérable que fut Louis XI - et on ne saurait trop le conseiller tellement il y a d'intérêt à cette rencontre - il y a l'embarras du choix. Michelet y a consacré un de ses tomes de l'Histoire de France. Mais on trouve diverses biographies et essais consacrés à ce maître de la négociation, dont le règne fut une étape déterminante dans la constitution de la France en tant que territoire national, et de l'Etat.  C'est aussi le Roi qui en finit véritablement avec la Guerre de Cent ans.

 

Pour ma part, hormis les livres plus généraux consacrés à cette période,  j'ai lu plus particulièrement deux biographies, celle de Jacques Heers, accessible en poche, et franchement scolastique (si vous n'êtes ni prof, ni étudiant en Histoire, bof...). Et surtout, celle, magistrale, de l'Historien américain Paul Murray Kendall : "Louis XI, l'universelle araigne". Un délice.

 

L'Histoire mérite, pour être continuée d'être lue par d'autres que les chercheurs et les bêtes à concours, d'être racontée. Et donc d'être traitée comme telle, c'est à dire chronologiquement. C'est tout de même ce qu'il y a de meilleur, convenons-en... La chronologie, l'évènement, n'empêchent pas - bien au contraire - de rendre transparents les courants profonds de la vie humaine. Car les évènements sont des pics, des paroxysmes, parfois des carrefours ou des dénouements. Donc on peut raconter l'histoire dans sa dynamique temporelle tout en analysant les faits dans leurs causalités diverses, dont les plus souterraines. C'est ce que Marx a très bien illustré dans ce livre incroyable qu'est "Le 18 brumaire de Louis Napoléon Bonaparte", où à partir d'une description précise des évènements politiques l'auteur dévoile, comme dans le mythe de la caverne platonicien, ce qui se passe derrière la scène où de puissantes forces animent les personnages

 

Une collection que pour ma part j'adore parcourir - "les journées qui ont fait la France", en a souvent donné la démonstration : opposer l'histoire évènementielle et l'Histoire structurelle est assez artificiel en somme. La première n'est pas forcément une accumulation inepte de dates et de morceaux de bravoure sans perspective. La seconde ne se résume pas à asséner des logiques mécaniques à grands coups de séries statistiques, ignorant l'imprévu, le chaos, la psychologie des individus et des foules, les jeux du hasard, la part d'ombre des évènements.

 

Le Louis XI de PM Kendall, livre qui a déjà 40 ans, est superbe. Parce qu'il raconte une histoire et que c'est plaisant. Parce qu'il est extrêmement bien documenté. Parce que l'auteur a cherché à connaître les protagonistes comme s'il en était le contemporain (j'adore quand les historiens se mettent à hauteur d'homme, et que de temps en temps ils se laissent aller à des jugements sur les individus. C'est ce qui donne l'impression de plonger dans une époque).

 

L'Histoire mérite d'être écrite avec le meilleur style. Et Kendall est aussi un grand écrivain. Ce qui donne une grande valeur à ce livre. Le récit de la bataille de Montlhéry (qui oppose les français aux Bourguignons et dont Louis, pourtant mal barré, sort vainqueur) est palpitant. Et s'avère en même temps un précieux document pour comprendre l'Homme médiéval, ses paradoxes étonnants (ce mélange d'inconstance et de sens du sacrifice pour rien, de sauvagerie et de capacité à manier la symbolique avec finesse). 

 

C'est une biographie qui donne dans le psychologique bien entendu, mais dont la grande force est de traiter Louis XI comme un politique. Pas simplement comme un individu soumis à ses pulsions, mais tel un acteur politique qui essaie de poursuivre un projet. Et c'est dans cette approche moderne que le livre devient vraiment passionnant. Car ce qui anime ce Roi de France avant tout, qui lui donne une énergie inouïe, c'est une ambition tenace : consolider le Royaume, conforter la Monarchie face aux féodaux.  Louis XI n'aurait pas su s'inventer lui-même s'il n'avait été guidé que par le goût du jeu, le besoin de prestige ou la cupidité. Il était mû par un projet qui le dépassait et l'entraînait, et sans doute un pressentiment national.

 

Louis XI, enfant, a rencontré Jeanne d'Arc. Il a du être marqué par ce tournant incroyable dans le cours de la guerre. Et par ce qui était exprimé. Cela a pu le marquer et conditionner la suite.  

 

Je ne vais pas raconter ici la vie de Louis XI. Vous irez y voir si ça vous dit. Il hérita d'une France à peine sortie du coma, très fragile, ravagée par les bandes d'Ecorcheurs, conduite par un Roi sans boussole et sous influence des féodaux ;  et il transmis à Charles VIII un royaume puissant, organisé, au sommet de l'Europe, ayant repoussé ses ennemis et notamment l'infernale Bourgogne, ramenée dans le domaine royal.

 

Ce résultat fut obtenu au prix d'une campagne permanente à tambour battant, alternant le recours aux armes (qu'il n'affectionnait pas, mais auquel il ne rechignait pas en grand capitaine), la guerre d'usure psychologique, l'influence, l'utilisation de la guerre froide, la prise de risque, l'invention de la guerre économique systématique. Louis XI ne se consacra qu'à cela. Il s'y prépara avant de devenir Roi, très vite extrêmement prometteur aussi bien dans la vie militaire qu'en tant qu'administrateur du Dauphiné.

 

La vie de Louis XI, c'est aussi une série de longs affrontements aux sommets, d'abord avec son père, le piteux mais très chanceux Charles VII (qui profita, l'ingrat, de l'épisode fulgurant mais ô combien déterminant de Jeanne d'Arc). Un père, qui jaloux des capacités de son fils le détestait et lui menait dure vie. Puis avec les Ducs de Bourgogne, Philippe le Bon et surtout le Comte de Charolais qui deviendra le redoutable et furieux Charles le Téméraire.

 

Il eut aussi toujours à affronter son jeune frère, le Duc de Berry, qui essaya sans cesse de le renverser en alliance avec les Princes. Et de même la volonté du Duc de Bretagne de voir affaibli le Royaume de France. De tous ces conflits, souvent simultanés, Louis finit par sortir vainqueur, par son acharnement, sa constance dans le travail, sa lucidité et son charme personnel.

 

Il y a énormément à apprendre en suivant les pas de Louis le Onzième, dont la devise était une étrange phrase : "le sage ne fait jamais rien contre son gré".

 

La plus grande leçon est l'attention au facteur temps ce me semble. Prendre son temps, mesurer tout à l'aune du temps. Voila ce qui fonde sa force.  Et cette science du temps lui permet de savoir souvent perdre un peu pour gagner beaucoup ensuite. Ce qu'il ne cessa d'illustrer, par exemple lorsque pour se tirer de l'alliance des princes contre lui (la dite Ligue du Bien Public), il renonça à la Normandie sachant qu'il allait ensuite profiter de la désunion de ses adversaires, la Normandie retombant dans les mains comme un fruit mûr.

 

Mais les prouesses de Louis sont riches de bien d'autres enseignements précieux : la nécessité de connaître parfaitement ses interlocuteurs, ce qui les pousse, et pour cela les observer au long cours. Multiplier ses amis, ses possibles amis de demain, et même ménager ses ennemis d'aujourd'hui et les subjuguer. S'informer encore, toujours, encore et toujours. Apprendre et méditer sur ses erreurs. Apprendre de l'Histoire et de sa curiosité pour les autres (Louis ne manquait pas un épisode de la vie politique italienne). Tirer profit des phases de retraite et de repli. Comprendre, comme un grand sportif, que la vie alterne temps faibles et forts et qu'il faut savoir s'adapter à ces deux types de séquences.

 

Pourquoi se faire des ennemis alors qu'on peut se créer des amis ? Telle a été rapidement, après quelques erreurs, l'attitude de Louis. Devenu Roi il répudia les proches de son père, alors qu'il s'agissait d'excellents éléments. Grave erreur qu'il paya mais sut corriger. Apprendre de ses propres erreurs, telle est la force de celui qui sait modérer son orgueil. S'entourer des meilleurs, savoir les attirer, les séduire, les conduire même partiellement à sympathiser à votre cause. C'est ainsi que Philippe de Commynes, le meilleur écrivain de son temps, longtemps conseiller du Duc de Bourgogne, s'enfuit pour devenir le plus proche ami du Roi.

 

Enfin, Louis, qui allait habillé comme un petit bourgeois, préfèrait camper dans les bois que coucher dans les châteaux préparés pour lui, savait distinguer l'essentiel de l'accessoire, et s'intéressait à la réalité du pouvoir et non à ses apparences et à ses à côtés. C'est ce qui lui donnait une grande supériorité sur ses adversaires, agités par des préoccupations secondaires. Louis par exemple ne regardait pas à la dépense lorsqu'il s'agissait de se créer un allié, de "retourner" le meilleur conseiller d'un ennemi. Il donnait beaucoup pour bien recevoir.

 

Louis XI, c'est aussi la supériorité du travail dans la durée, de l'attention aux grands mouvements du monde et en même temps au moindre détail : la rapidité des transmissions fut un de ces atouts... Et on lui doit le réseau postal national !

 

Il est besoin de temps pour devenir un grand politique. Il est besoin de prendre des coups, de se retirer et d'y réfléchir. Louis connut bien des humiliations infligées par son père quand il était Dauphin. Il est bon de connaître des défaites. Elles sont sans doute le chemin obligé de toute oeuvre grandiose. 

 

Mais qu'est ce qui a donné à Louis ces talents particuliers ? L'envie de ne plus voir ce qu'il avait connu enfant : le Royaume à genoux, son père moqué ("le Roi de Bourges"). Sans doute. La conscience de la force de son pays, qui parvient à revenir de toutes les catastrophes, de Crécy à Azincourt. L'éducation par un Humaniste aussi. La confrontation avec des personnages de grande stature, et leur amitié aussi (celle avec l'aventurier Sforza,ou ses liens avec les Médicis). Louis c'est aussi une santé fragile, qui peut-être le poussa à développer sa réflexion.

 

C'est dans l'action que la chimie opère, et Louis  eut l'occasion à maintes reprises d'éprouver ses qualités : tout jeune en Languedoc pour imposer la couronne, puis en Suisse, en Dauphiné, à la tête de l'armée royale, puis l'échec du complot qu'il fomente contre son père ("la praguerie"). Récent Souverain il résiste à la Ligue du Bien public qui assiégea Paris et faillit l'abattre. Il y eut cet épisode rocambolesque aussi, où Louis s'enferme lui-même dans les griffes de son pire ennemi à Perone, se voit contraint de l'accompagner pour réprimer la sédition de Liège (que ses agents avaient favorisé...) et parvient par son sang froid et sa compréhension de la psychologie du Téméraire à s'en sortir alors qu'il est accusé de trahison.

 

Cette personnalité était aussi en phase avec son temps, et put alors s'exprimer dans un monde à sa mesure. Mal utilisé, le talent s'étiole. Les tâches de son temps étaient pour des hommes de sa trempe.

 

Peu fasciné par la geste guerrière qu'il considérait comme un moyen, soucieux de l'Etat, désireux de prospérité et d'efficacité administrative, Louis XI comprenait cette bourgeoisie des "bonnes villes" sur laquelle il s'appuya et qui jamais ne lui manqua, lors des sièges de Paris ou de Beauvais. Il eut la prescience de la force de cette classe qui prenait son élan.

 

On peut énumérer des causes. Mais on ne sait jamais pourquoi le génie "sort de sa jarre" pour reprendre l'expression de Kendall.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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