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28 août 2011 7 28 /08 /août /2011 08:36

destael Qui était donc Germaine de Staël, cette figure qui apparaît dans tous les textes écrits au dix neuvième siècle, ce passage obligé des crises de paranoïa de Napoléon, ce nom aperçu ici ou là sur des couvertures de livres jamais lus ?

 

A force de croiser ce fantôme dans tel ou tel chapitre, j'ai voulu savoir. En lisant la monumentale biographie que lui a consacré Michel Winock, parue cette année, sobrement intitulée "Madame de Staël" (fayard).

 

Réglons cela d'emblée : je ne partage pas l'empathie de l'auteur pour son objet d'étude. Mme de Staël ne me fascine pas et je n'y pense pas avec émotion. A dire vrai, je ressens plutôt de l'irritation et des envies de sarcasme à l'égard de cette grande bourgeoise mélancolique et grandiloquente, dont la principale occupation fut tout de même le marivaudage (et la biographie y est longuement consacrée, ce qui crée des longueurs un peu rebutantes).

 

Les états d'âme de cette guirlande de rentiers asthéniques qui dansent autour d'elle ne me séduisent point. Surtout quand on pense qu'à la même époque l'Europe est secouée par les spasmes politiques les plus violents puis par une guerre meurtière à l'échelon continental. Je reste cependant admiratif devant l'attitude courageuse, intraitable, de cette rebelle inflexible à l'autoritarisme de Napoléon et à sa folie de conquêtes : refus de soumission qu'elle paya cher, car l'autocrate frappera "où ça fait mal".

 

Les idées libérales françaises dont elle fut la pionnière me semblent hypocrites. Je sais qu'à l'époque, elles pouvaient revêtir un intérêt et un rôle temporaires (et ce n'est pas un hasard si les ultras, les nostalgiques de l'Ancien Régime, vomissaient Mme de Staël, et ces libéraux qui leur avaient planté un couteau dans le dos, tel Lafayette). Mais ce n'est pas aux élites éclairées magnétisées par la "trop célèbre" Dame (surnom qu'on lui donna), et qui naviguèrent entre monarchisme constitutionnel, orléanisme, soutiens critiques au Directoire comme en partie à Napoléon ou à la restauration, que va ma sympathie.

 

L'intérêt de cette biographie, pour moi, n'est donc pas de communier avec ce personnage du passé, mais de comprendre comment s'incarne en une personnalité haute en couleur, qui compta en son temps, un courant profond dans la société. Et le destin de Mme de Staël et de son entourage (Benjamin Constant, son inséparable, en particulier) sont intéressants en ce qu'ils montrent comment la grande bourgeoisie libérale et ses intellectuels organiques, ont vécu cette période (entre 1789 et la restauration) si importante pour leur destin.

 

C'est en effet à ce moment que la bourgeoisie devient pleinement classe dominante en brisant le carcan des privilèges de la naissance. Mais le processus politique va être âpre et incertain. La bourgeoisie va devoir incarner le progrès (cette perfectibilité chère à Rousseau et à Mme de Staël) et très vite la conservation, les strates historiques se superposant. Elle va osciller entre les stratégies, au gré des évènements.

 

Mme de Staël est avant tout la fille de Jacques Necker, et se voudra comme telle jusqu'à sa mort, . Souvenez-vous, il fut considéré comme la dernière chance de l'Ancien Régime : ce banquier suisse tout récemment annobli fut appelé pour éviter la banqueroute du Royaume, et il proposa des réformes susceptibles d'éviter le pire à la monarchie, par exemple ce qui ressemblait à un impôt sur le revenu universel. C'est la disgrâce de Necker qui fut l'étincelle provoquant le 14 juillet. Necker, puis sa fille qui deviendra influente par son Salon fréquenté par les élites, incarnent donc le mieux du monde cette grande bourgeoisie qui veut en finir avec la féodalité. Elle a déjà pris le pouvoir économique, mais elle est écartée de la sphère politique par le droit féodal. Cette contradiction est insupportable.

 

Aussi, cette bourgeoisie porte t-elle aux nues les principes de 1789. L'égalité civile, le droit à la propriété, l'abandon des privilèges de naissance, la liberté religieuse (Necker est protestant), la souveraineté populaire -certes- mais limitée aux "gens de bien" grâce au suffrage censitaire. Bref, leur modèle est la révolution anglaise. Un monarque, incarnant l'unité et l'ordre, est le bienvenu. La religion de même comme fondement de la morale. Bref, laissez nous libres, nous déjà riches mais roturiers, d'occuper toutes les fonctions, de décider des affaires publiques. De dire ce que nous voulons. De nous affranchir des traditions pour conduire le développement économique. Mais arrêtons nous à ce programme. Aller plus avant, ce serait sombrer dans une nouvelle "tyrannie"... Celle de l'égalité, tout autant embarrassante pour les concernés.

 

Ces libéraux qui dominèrent les premiers temps de la Révolution étaient aussi des gens lucides. Ils comprenaient que l'ancien régime et la monarchie de droit divin étaient devenues intenables. Ils échouèrent dans leur tentative d'en convaincre le Roi de France, homme dépassé et sous pression qui navigua un temps à vue, mais ne se départit pas de l'espoir d'un pur retour au passé. Jusqu'à se compromettre dans la trahison de la Nation.

 

Ils jouèrent un rôle majeur dans les premiers temps de la Révolution, puis furent terrorisés par son amplification et l'intervention populaire, et s'exilèrent. Ensuite, ils ne connurent longtemps que des occasions ratées : la République modérée ne s'incarna point dans le Directoire, instable et corrompu, tiraillé entre les jacobins et les royalistes. Puis Bonaparte vint, stérilisant leur rêve d'une société où les élites pourraient s'ébrouer librement tout en gardant leur rang.

 

Il faut concéder à Mme de Staël sa fidélité à ses convictions. Elle essaie de favoriser, à travers son salon, une monarchie constitutionnelle, puis elle s'enfuit après la capture du Roi. Elle se rallie ensuite à la République, pensant que l'élimination de Robespierre ouvre la voie à un régime libéral. Ensuite, elle tiendra ferme sur ses principes, et Napoléon ne supportera pas son refus d'entrer dans sa cour. Elle sera condamnée à l'exil loin de la vie parisienne, le pire des tourments pour elle. A la restauration, elle sera aussi rêtive à l'esprit réactionnaire qui imprègnera le régime.

 

Il est très intéressant de la suivre dans cette période à travers l'Europe, car les évènements se succèdent sans cesse, l'Histoire change brutalement de cap (Napoléon chute, Louis XVIII prend le pouvoir, puis Napoléon revient, puis il rechute...) et les principes des individus sont mis à rude épreuve. Ceux qui s'en sortent sont ceux qui ne mettent pas leurs oeufs dans le même panier, qui jouent double ou triple jeu, qui cultivent l'ambivalence, qui savent se rendre indispensables à tous. Fouché et Talleyrand en sont les archétypes. Et ils garderont d'ailleurs toujours le contact avec Mme de Staël.

 

Si en bonne bourgeoise, elle prend soin de ses intérêts financiers en toutes circonstances, elle ne compromet jamais le coeur de ses convictions. Elle est bien rare en ce sens. Mais il est vrai que sa fortune l'aide à être libre.

 

Une des questions posées à cette bourgeoisie européenne éclairée, vivant à l'heure continentale (le réseau de Mme de Staël est une sorte de salon intellectuel itinérant au gré de ses exils) est celle de son rapport au patriotisme. Napoléon exile la Dame, faut-il pour autant qu'elle se rallie à ses adversaires, qui sont aussi ceux de la France ? La plupart des "salonnards" ne font pas grand cas du patriotisme, qui est à cette époque l'apanage des républicains et des bonapartistes. Mme de Staël, si elle favorise certains rapprochements (par exemple entre russie et suède) pour affronter Napoléon, ne se résoudra pas à voir la France envahie. Elle est une française, et une patriote en avance sur sa classe sociale. Dans ses oeuvres, comme par exemple "De l'allemagne" elle traite d'ailleurs du sentiment national, bien avant le printemps des peuples."Le droit des peuples à disposer d'eux mêmes" deviendra effectivement un principe du libéralisme politique.

 

Cette essayiste de premier plan, cette romancière conséquente (même s'il lui manque une grande oeuvre symbolique) est aussi une féministe avant l'heure (par l'action plutôt que par le propos), couverte d'insultes pour cela, sans qu'elle s'en soucie d'ailleurs. Un homme infuent est respecté, une femme dotée du même charisme est une "intriguante".

 

C'est une des premières femmes politiques avérées. Comme les femmes n'ont pas droit à la participation institutionnelle, cela passe par l'influence, le jeu des idées, des conversations, de la correspondance incessante. Et Mme de Staël a pesé sur le cours de la vie politique, créant des Ministres, mais aussi et surtout plus profondément sur l'orientation politique des siens : la grande bourgeoisie acoquinée à l'aristocratie. La Monarchie de Juillet, qu'elle ne verra pas, consacrera en partie ses idées, et ses acteurs seront marqués par ses oeuvres, comme Guizot qui la fréquenta. Surtout, ce qu'elle a toujours prôné, l'alliance des "modérés" républicains et monarchistes, verra le jour en 1975. Lorsque les républicains "opportunistes" et les orléanistes s'allieront pour fonder la troisième république.

 

Même si je ne partage pas leur philosophie, Benjamin Constant et Germaine de Staël, qui ont marqué des générations de "libéraux", ont constitué un duo de pensée, d'élaboration théorique, de réflexion, assez admirable. Au sens où tout ce qui comptait pour eux, c'était ces convictions là, qui les unissaient profondément et qu'ils avaient élaborées ensemble. Un bel exemple de fusion intellectuelle et de vie pour des principes. Même s'ils avaient tous deux leurs faiblesses bourgeoises, leurs petitesses, et qu'ils piétinaient des années dans des histoires de dots, de prêts, d'obtentions de gratifications matérielles et symboliques.

 

A travers sa vie on suit aussi le fil qui mène des grandes figures des Lumières qu'elle connut enfant dans le salon de sa mère Mme Necker, en passant par la lecture de Rousseau qui l'influença de manière décisive (comme tant d'acteurs de cette révolution, quels que soient leurs choix), jusqu'au romantisme et au libéralisme. Ainsi, Mme de Staël, en faisant un détour par l'Allemagne qu'elle permit aux élites intellectuelles françaises de mieux appréhender (elle côtoya Goethe, Schiller, Fichte), réconcilie l'esprit de liberté et la sensibilité (puisée aussi chez Rousseau). On lui doit aussi la rupture avec un néo-classicisme infructueux qui s'installait en France, et les germes de la révolution romantique dans la culture. L'Histoire est une synthèse permanente.

 

Ce que j'aime aussi dans cette période, et je ne manque pas une occasion d'y replonger, c'est l'importance des relations épistolaires, qui offrent un contenant approfondi aux relations humaines et à la pensée. Et aussi cet art de la conversation, qui s'exerçait notamment dans les salons, là où les idées des Lumières ont aussi infusé. Art de la conversation tout à fait français qui est sans doute une de nos plus belles richesses perdues. Et dire que ceux qui disent chérir l'identité nationale parlent souvent vulgairement, parce que c'est censé "faire peuple"... Non, si on cherche un esprit français, il réside plus dans les conversations de la Princesse de Clèves que dans la langue avilissante que l'on enseigne dans les médias training.

 

Mme De Staël, d'après les témoins, avait porté cet art à son firmament, ce qui lui conférait un charisme immense et aussi un grand pouvoir de séduction (effaçant sa laideur physique manifestement indiscutable).

 

Michel Winock a choisi une approche centrée sur la personne de Mme de Staël et sur son oeuvre. Il a semble t-il été touché par la passion qui brûlait cette personne. Mais sans afficher véritablement cet objectif il nous offre une très probante manifestation des pérégrinations de la grande bourgeoisie, à l'orée de son règne complet.

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commentaires

E
<br /> Tiens, tiens, c'est vrai ! Je n'y avais pas pensé, et pourtant !<br /> <br /> <br />
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E
<br /> C'est très instructif. Je savais que Mme de Staël était une femme de lettres, mais j'ignorais qu'elle s'était opposée à Napoléon.<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Ce qui est assez intéressant, et que je ne développe pas dans cet article, c'est l'obsession de Napoléon à son égard. Alors qu'elle n'avait aucun pouvoir. Mais il ne supportait pas de ne pas<br /> avoir d'ascendant sur certains milieux, et surtout sur ces gens qui l'avaient un peu pris en main quand il était un petit officier s'ennuyant à Paris et qui le prenaient d'un peu haut... On a<br /> beau devenir Empereur, on ne guérit pas de ses humiliations passées.... Ca te rappelle pas quelqu'un de contemporain ?.....<br /> <br /> <br /> <br />

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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