Je n'aime pas Michel Onfray. Je parle de l'auteur, pas de l'intellectuel engagé ni de l'homme. Ce dernier me semble
tout à fait sympathique. Mais son oeuvre dite "philosophique" et sa réputation tiennent un peu de l'imposture, beaucoup d'un art consommé du
marketing.
A mon sens, Michel Onfray est à l'"autre gauche" ce que BHL est au social-libéralisme : ce que dans nos romans du 19ème- début vingtième, on juge comme un
"poseur" ou un "faiseur" (chez Stendhal, Proust ou Musil). Dommage que ces nuances aient disparu de notre langage usuel. Ces mots frappent juste.
L'immense Georges Orwell nous a prévenu sur les risques de l'appauvrissement du langage. Et il n'est pas un jour où le spectacle du monde ne lui donne raison.
Saviez-vous que les deux "philosophes" bons clients de la télé ont le même éditeur ? Celui-ci est un roué et pense à toutes les niches. Les deux peuvent dire ou
écrire des choses justes et courageuses, les deux m'exaspèrent souvent et plus.
Comme Jacques Attali ou Jack Lang, Michel Onfray sort plusieurs livres par an. Ce seul indice doit nous persuader de nous en vacciner. Qui a déjà écrit ne serait-ce qu'un mémoire de maîtrise sait qu'il n'est pas sérieux d'écrire un livre par trimestre.
Les titres sont toujours d'une admirable efficacité publicitaire, destinés au public friand d'hétérodoxie. A cet égard, Onfray est à la philo ce que Nothomb
est au roman (j'ai lu le ridicule "hygiène de l'assassin" et j'avoue ne pas comprendre comment cette dame
rencontre un tel succès.). Ces titres reposent souvent sur la rencontre impromptue de mots et de significations, ce qui est une méthode vieille comme Lautréamont.
Le "nietzschéisme de gauche" d'Onfray me paraît une construction inepte et immature. Onfray aime bien intenter des procès à des "idoles" comme
Freud en déterrant des citations coupées de leur contexte, en utilisant des faits d'ordre privé comme arguments à charge contre une théorie (un peu comme d'Ormesson expliquant que le marxisme ne
vaut rien parce que Marx avait une liaison avec la femme de ménage). Et en plus il justifie habilement cette philosophie de paparazzi en nous expliquant que l'homme c'est
l'oeuvre, salissant ainsi toute la grande tradition philosophique matérialiste.
Onfray est aussi brillant qu'un pigiste du "Parisien" pour savoir que le scandale fait vendre. Mais essayez-donc un instant d'appliquer ses propres procédés à Nietzsche, son héros, en allant chercher chez lui des citations proches du discours national-socialiste. Vous y trouverez plus que nécessaire des déchaînements contre les faibles, l'égalité, les droits de l'homme. Vous y trouverez des éloges de la Brute, à foison. Cela vous suffirait à dessiner, de manière bêtement anachronique, le philosophe allemand en souteneur reconverti en criminel de guerre.
Le nietzschéïsme de gauche me paraît ainsi un attrape nigaud. Une formule pour jeunes adultes narcissiques qui rentreront vite dans le rang. Ces gens qui pensent que boire cinq téquilas à la fête de la promo, c'est "faire de sa vie une oeuvre d'art" comme nous y enjoint Zarathoustra.
Comme BHL, Onfray n'est pas un philosophe. Ils sont tous deux des "faiseurs" de dissertation plus débrouillards que les autres. Assez bons pour
réussir l'agrégation. Assez débrouillards pour grenouiller dans les coulisses de la télé et dans les couloirs de l'Express et du Nouvel Obs.
La gloire d'Onfray grandit à mesure qu'il s'essaie au scandale (sur le modèle de son aîné BHL). Traiter Freud de fasciste et d'escroc, expliquer que l'oeuvre de
Kant porte en germe Adolf Eichmann. Ce sont des absurdités, et pourtant ça marche.
Arrangeur de dissertation certes, mais qui a en outre oublié les annotations de ses profs en rouge dans la marge. Onfray pratique l'essayisme sans rigueur,
et se vautre dans l'amalgame, l'analogie historique douteuse, le mélange hasardeux des registres.
Comme je trouvais cet homme plutôt sympathique, j'ai lu plusieurs de ses livres. Avec une déception grandissante. Le "Traité d'Athéologie" (là aussi, quel titre ronflant !) ne sert pas sa cause. C'est un livre bâclé, qui mélange sans cesse la théologie, l'histoire des
religions, l'histoire politique, les Eglises, les clergés et la Foi. Les crimes de l'inquisition au treizième siècle invalident-ils l'idée de Dieu ? J'en doute. Ce serait
comme dire que les magouilles de Mirabeau et les abus de Marat délégitiment la démocratie. Nous servir un athéïsme grossier ne sert pas l'athéïsme. Autant se balader nu avec une lanterne
dans la rue en criant "Dieu est mort".
Dans un genre tout aussi populaire, vulgarisateur, mais bien plus rigoureux (et humble), on peut lire "L'esprit de
l'athéïsme" d'André Comte Sponville. Qui s'essaie à justifier une position rationnellement athée, tout en se demandant "pourquoi il ya de l'Etre plutôt que rien du tout
?".
Ou alors se lancer dans Feuerbach, mais bonjour le Doliprane...
Pour ma part, je préfère me délecter de l'Epicurisme poétique de Lucrèce, dans " De la nature des
choses"...qui nous exhorte malicieusement non pas à penser que les Dieux n'existent pas, mais qu'ils ne se préoccupent point de nous. Nous n'avons alors qu'à les ignorer pour
mener notre vie.
Quant à la théorie d'Onfray sur l'amour, si on la dépouille de son fatras de citations, elle se résume à dire : "chacun fait ce qui lui plaît, mais attention à ne
pas faire du mal aux autres ! "Merci Monsieur le grand philosophe !
Quelques mérites tout de même à son crédit : avoir reparlé des présocratiques, de Diogène le cynique, et avoir beaucoup travaillé pour l'Université Populaire. Même
si j'ai peur qu'il y déverse les mêmes sottises que dans son oeuvre verbeuse et maladivement prolifique.
Michel, arrête un peu de débiter au kilomètre ! Et commence un peu à réfléchir sérieusement. Peut-être parviendras-tu un jour à faire oeuvre de
philosophe, à nous offrir un concept, quelque chose qui sert à penser le monde.