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3 août 2011 3 03 /08 /août /2011 08:47

 

montaigne.jpg Je n'ai pas lu toute son oeuvre, mais je l'ai assez parcourue pour saisir que le "Montaigne" de Stefan Zweig (PUF-Quadrige, 125 pages), le dernier de ses écrits avant qu'il ne se suicide au Brésil, est un de ses plus personnels, intenses, essentiels et épurés.

 

Je viens de le lire, en parallèle avec une anthologie en français moderne des Essais du philosophe de la Renaissance (250 pages rassemblées sous le titre "Le meilleur des Essais", parue en poche chez Arléa). Pas le courage de me plonger dans l'intégrale...

 

Brisé moralement par l'exil et la fuite de l'Europe où déferlent les colonnes hitlériennes, accablé par la vision de ce monde qui sombre dans la violence, loin de cette Europe de l'esprit qu'il aima et incarna, désormais livrée à la monstruosité nazie, Stefan Sweig cherche refuge chez Montaigne.

 

Zweig nous livre encore là une des biographies dont il est friand, très axée sur la psychologie du personnage (on lira aussi avec intérêt ses Marie Stuart, Marie-Antoinette, ou Fouché, sans forcément partager cette grille de lecture intimiste).

 

Mais au su de la vie de Zweig, l'écriture de la biographie n'est ici qu'une conséquence d'un besoin impérieux : chercher ressource et consolation, en ses heures si éprouvantes et finalement fatales, dans l'oeuvre d'un vieux compagnon de route de l'écrivain. Dans cette oeuvre où Montaigne explique la nécessité de se bâtir, en digne héritier des stoïciens qu'il réconcilie avec Epicure, une "citadelle intérieure" pour se protéger des tumultes d'un monde qui tourne au cauchemar.

 

Zweig le tolérant, celui à qui "rien d'humain n'est étranger" ne parvient pas à supporter cette guerre qu'il pressent encore plus meurtière que la précédente. Et celui qui dans ses romans (qu'on relise "Amok" ou "Le joueur d'échecs") vibre si facilement à la musique intérieure des hommes, ressent comme un coup de couteau chaque nouvelle d'une ville bombardée ou d'un navire qui coule.

 

C'est dans les constats de Montaigne que Zweig cherche remède, mais aussi dans l'expérience vécue d'un homme qui se trouva dans une situation proche de la sienne.

L'identification joue à fond entre l'Humaniste de la Renaissance exposé aux Guerres de Religion les plus sanglantes de l'Histoire, et celui du vingtième siècle saisi dans le conflit le plus meurtrier depuis que le monde existe. Entre d'un côté Montaigne jeté dans une époque où tout vacille, où le monde devient plus large et étrange avec la découverte du Nouveau Monde et de l'Imprimerie, et où l'Homme va s'interroger sur sa place en son sein (et au plus haut point à travers les Essais, première oeuvre d'introspection de l'Histoire) ;  et de l'autre Zweig l'intellectuel qui voit le progrès technique, la mécanisation, se retourner subitement contre leurs créateurs pour les ensevelir.

 

Ce processus d'identification apparaît de manière absolument poignante à la fin du livre. Zweig semble y annoncer son suicide, en filigrane. Il évoque la liaison tardive de Montaigne, juste avant sa mort, avec la jeune Marie de Gournay qui vient comme une lueur inespérée. C'est aussi ce qui arrive à Zweig qui vient de se remarier avec la jeune Lotte (pour ceux qui sont intéressés par le détail, on peut lire le récent récit de Laurent Seksik "Les derniers jours de Stephan Zweig" que j'ai trouvé cependant très moyen). Comme si l'intellectuel autrichien saluait sa compagne une dernière fois, par cet hommage littéraire.

 

Mais revenons à Montaigne.

Zweig évoque assez précisément un aspect très intéressant de sa biographie, à savoir l'éducation expérimentale et audacieuse que son père a voulu lui donner : envoyé jusqu'à trois ans dans une famille du peuple, afin de garder à l'esprit le sort de ces gens, Montaigne est élevé dans un climat libertaire totalement inédit à l'époque. Cependant, on lui choisit le Latin comme langue maternelle, ce qui le conduira à incarner plus que tout autre ce retour aux sources qui est l'étincelle de la Renaissance. Si quelqu'un s'interroge encore sur la force de l'Education, il lira utilement le récit de la vie de l'ancien Maire de Bordeaux.

 

Montaigne est, à l'instar de Sénèque, de Marc Aurèle ou d'Epictète, utile à qui cherche à renforcer en lui les antidotes au découragement, à l'auto complaisance, à l'abattement, à la douleur aussi.

Si Montaigne abandonne à trente huit ans toute charge et se retire en sa maison pour parvenir à se comprendre, ce qui débouchera sur la rédaction des Essais, c'est aussi parce qu'il est travaillé sans cesse par la "gravelle" (coliques néphrétiques). Ce qui explique sa propension à voyager beaucoup : il n'y a qu'à cheval que la souffrance s'apaise (c'est un peu le point de départ de l'essai de Jean Lacouture, "Montaigne à cheval", lu il y a dix ans mais qui m'avait semblé une bonne et alerte introduction à l'esprit de cette philosophie, fidèle à cette pensée qui justement considère que s'instruire et s'assagir vont nécessairement de pair avec le plaisir).

 

En son seizième siècle finissant, livré aux fanatismes religieux, à la folie meutrière (la Saint-Bathélémy), Montaigne le petit clerc devint certes respecté de tous. Mais sa circonspection, son scepticisme (certaines phrases laissent penser qu'il inclinait à l'irréligion sans pouvoir le clamer franchement) sa profonde tolérance, sa liberté d'esprit et son indépendance précieusement préservée, ne pouvaient guère être mises à profit, même s'il joua à l'occasion le rôle de médiateur.

 

Cependant, il semble que sa Sagesse ait été une seule fois -mais ce ne fut pas un coup pour rien ! - utilisée à excellent escient par ses contemporains. Ami du futur Henr IV, c'est lui qui sur la fin de sa vie, semble t-il, négocia avec le Parti Catholique (il l'était officiellement) la conversion du futur Roi de France. On sait que ce geste d'Henri mit fin à la guerre civile, et en permettant l'accès au trône du Navarrais déboucha sur l'Edit de Nantes, ce texte essentiel qui fut la première étape vers le modèle laïque français.

Montaigne n'était pas sorti de sa bibliothèque pour rien. Et la Sagesse n'est jamais vaine.

 

Et Montaigne à travers son influence semble nous adresser un clin d'oeil depuis son époque où les Inquisitions prospèrent : si comme le dit Henri IV, "Paris vaut bien une messe", c'est qu'une messe ne vaut pas grand chose...

 

Les Essais de Montaigne, quand ont les lit, ressemblent fort à une oeuvre de philosophe romain ou grec. Ils sèment néanmoins les germes de la modernité : l'empirisme est déjà là (à aucun moment Montaigne ne quitte le terrain de la seule expérience pour fonder ses propos). Le relativisme, qui ne resurgira qu'au dix neuvième siècle, court tout au long de ces pages. La religion, prudemment mais sûrement, est déjà regardée comme un objet d'analyse sociologique (Blaise Pascal qui détestait Montaigne, ne s'était pas trompé d'ennemi).

Et à nos nationalistes et chantres de l'identité nationale, nous citerons ce que disait celui qui est la gloire de la philosophie française depuis quatre siècles :

 

"j'estime tous les hommes nos compatriotes et embrasse un Polonais comme un Français, postposant cette liaison nationale à l'universelle et commune"

 

Mais la philosophie avec ses arguments rationnels, si grandiose soit-elle ne suffit pas toujours à apaiser les âmes tourmentées. Cela, Zweig le savait, lui si proche de Freud qu'il en prononça l'oraison funèbre. Et d'ailleurs l'une des leçons que Montaigne ose formuler comme ses inspirateurs plus anciens, et qu'il est déconcertant de voir écrite à une telle époque où les Inquisiteurs veillent, c'est bien que la mort n'est pas à regretter, et qu'elle constitue souvent une issue fort secourable.

Retourner à Montaigne n'a pas retenu le geste de Zweig, sans doute mûrement réfléchi, pesé, comme le lui aurait conseillé son maître.

 


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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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