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8 janvier 2011 6 08 /01 /janvier /2011 01:22


Les "Partageux" peuvent, doivent relever la tête. Ce n'est pas Jean-Luc Mélenchon, André Chassaigne ou Olivier Besancenot qui le disent, mais le duo d'économistes Patrick Artus et Marie-Paule Virard, dans leur dernier essai, on ne peut plus clairement intitulé : "Pourquoi il faut partager les revenus".


partage.jpg Ce binôme s'était fait remarquer, par un livre pertinemment écrit en 2005, "le capitalisme est en train de s'auto-détruire". Ils y expliquaient que le sous-investissement chronique d'un capitalisme tourné vers les joutes financières, menait tout le système dans le mur. Prévision confirmée deux ans plus tard...

Ce qui est tout à fait intéressant, c'est que ces deux complices n'ont rien d'hétérodoxes, ni d'idéologues révolutionnaires. Monsieur Artus est chercheur pour Natixis... Mme Virard est ancienne Rédac en chef des "Echos"... On est loin des profils du comité scientifique d'ATTAC... On pourrait s'attendre à ce qu'ils récitent le catéchisme monétariste auquel ils souscrivent sans doute partiellement ("la dépense publique c'est mal, l'épargne c'est chouette"). Mais voila, ce sont des gens sérieux, qui se veulent froidement lucides. Et qui pensent que la science économique doit chercher comment créer de la croissance et de l'emploi. Alors ils s'efforcent de regarder le monde en face. Leurs conclusions donnent des frissons dans le dos, et fournissent une idée des changements dont nous avons besoin pour surnager dans le monde qui vient. D'autant plus que les deux auteurs n'ont rien d'écrivains à sensation. Leur démonstration, claire, et cependant rigoureuse, solidement étayée (il faut un peu s'accrocher sur les aspects financiers) n'a rien du feuilleton catastrophiste vendeur.

Pour eux, la crise ouverte en 2007 n'a rien de cyclique. Il sera difficile d'en sortir, car elle marque un tournant dans la mondialisation.

Le tournant c'est que les pays dits émergents creusent l'écart en termes de croissance avec l'occident. Et surtout, ils sont en train de changer de modèle. Jusqu'à présent, ces pays, dont la Chine au premier chef, comptaient sur l'exportation. Désormais ils souhaitent baser leur économie sur la consommation intérieure, et utiliser leur épargne à cette fin (et non plus pour financer nos déficits publics). Mais ils peuvent dans le même temps rivaliser avec les pays occidentaux dans tous les domaines. Pire, ils conditionnent l'accès de nos produits (avions et trains à grande vitesse par exemple) à des transferts de technologie décisifs. Airbus et Siemens creusent elles-mêmes le chemin qui va les mener dans le mur de la concurrence chinoise. Les pays émergents sont en capacité de réaliser le grand chelem : booster leur croissance par la consommation intérieure, et conquérir de plus grandes parts de marchés dans les échanges mondiaux, sur tous les créneaux.

Nous risquons non seulement de nous voir coupés des marchés des pays émergents, et donc de ne pas profiter d'une possible reprise mondiale, mais en plus nous sommes exposés à un risque de hausse des taux d'intérêt (suite à la relocalisation de la finance des pays émergents). Or, la politique monétaire accomodante est aujourd'hui un des seuls moteurs de notre très faible croissance.

Artus et Virard insistent sur l'ampleur de la désindustrialisation qui frappe l'occident, et particulièrement la France. Les chiffres sont effrayants. L'industrie en France, ce n'est seulement plus que 13 % de la population active. Les destructions d'emplois dans le secteur s'élèvent à deux millions depuis les années 80 ! Cette désindustrialisation est tellement avancée qu'elle risque de menacer tout notre avenir : les relances économiques profitent aux productions étrangères, puisque nous n'avons plus d'usines. Et la solution protectionniste viendrait déjà trop tard, car nous serons obligés de continuer à importer, Qui plus est des produits plus chers, pesants pour le pouvoir d'achat.

Depuis la crise, les Etats ont été obligés de réagir en pratiquant des déficits publics (il est à plus du double du plafond prévu par le pacte de stabilité pour la France) et des taux d'intérêt bas. Mais la croissance n'est pas au rendez-vous, et cela ne suffira pas. Sans rebond de croissance, les déficits continueront à se creuser .

Les auteurs craignent que le syndrome japonais s'étende à l'Europe. Considérée jusqu'aux années 90 comme la première puissance économique en devenir, le Japon ne s'est pas encore remis, malgré des thérapies de chocs (la dette est à 200 % du PIB) de l'explosion de la bulle immobilière qui l'a frappé dans cette décennie. Le Japon s'est enfoncé dans la "stagdéflation" : croissance en berne, baisse des prix et des salaires, délocalisations, et ainsi de suite... Or le Japon a essayé les plans de relance, mais n'a pas touché à la répartition des revenus. Telle a été son erreur. Le Japon est désormais une économie atone et déclassée.

Le livre évoque les possibilités de relancer notre croissance. Il n'y en a pas beaucoup. Recourir au déficit, c'est déjà le cas. Et les déficits vont rester forts, du fait du vieillissement de la population notamment. L'arme monétaire est déjà utilisée, mais menacée par le contexte mondial qui risque de pouser à la hausse les taux et de renchérir le crédit. De plus, l'augmentation de la masse monétaire en circulation favorise la spéculation, la formation de "bulles" dangereuses, le renchérissement des matières premières qui pèse sur nos économies. Quant à la croissance verte, la Chine est déjà en avance sur le plan productif. Et le pari est loin d'être gagné.

Certes, il est indispensable d'investir plus massivement dans la recherche et l'enseignement supérieur, ce que l'on prétend accomplir mais qui ne se vérifie pas... sauf en Chine. Mais cela est une réponse pour le long terme et ne peut se substituer à une stratégie pour la sortie de crise.

Après quelques tergiversations keynesiennes en 2008, les Etats en sont revenus aux recettes du libéralisme. Or d'après les auteurs, mener une politique de l'offre (pour les néophytes, ça signifie soigner les patrons et les riches) ne sert à rien quand l'épargne est massivement disponible. En France, l'épargne n'a jamais été aussi importante. Le problème est la faiblesse de la demande, et si on ne peut pas attendre qu'elle vienne de l'extérieur, on doit "compter sur ses propres forces", sur la demande intérieure. D'où le besoin d'un nouveau partage des revenus.

La principale mesure évoquée est de moins taxer le travail et plus le capital, en changeant l'assiette de financement de la protection sociale, pour la fonder sur la valeur ajoutée et non plus sur les salaires. La fiscalité devrait aussi viser plus fortement les profits non investis, et les plus-values à court terme. Les auteurs ciblent aussi les oligopoles privés qui ponctionnent le pouvoir d'achat des français, dans la téléphonie et l'eau.

Bref, la feuille de paie n'est pas l'ennemie de l'emploi. Bien au contraire, elle en est aujourd'hui le meilleur auxiliaire.

Les auteurs se penchent aussi sur la construction européenne, et ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère ! Pour eux, la désindustrialisation de la France est largement imputable à l'euro, ou plutôt à l'immobilisme qui a prévalu après l'euro. Dans une union monétaire, le risque de change n'existe plus pour les entreprises, elles vont donc produire dans la région la plus avantageuse. Pour l'industrie, il s'agit de l'Allemagne et de certains pays d'Europe centrale. L'union monétaire doit donc s'accompagner de politiques budgétaires, fiscales, menées au plan européen. Sans quoi les inégalités se creusent entre les pays et la situation devient politiquement intenable. Or le budget européen est ridiculement bas. Aux Etats-Unis, l'union monétaire fonctionne car les salariés sont mobiles, et l'Etat fédéral procède à des transferts financiers entre les Etats. C'est ce qui manque à l'Europe, qui s'est arrêtée en chemin. Et qui se trouve dangereusement bloquée au milieu du gué.

 

Quant à la "gouvernance" économique européenne, elle est néanderthalienne. En s'en tenant aux ratios du pacte de stabilité, l'Espagne était considérée comme un modèle, alors que sa croissance était dangereusement fondée sur l'endettement privé. Ce modèle s'est effondré comme un rien et l'Espagne vit une grave crise. Les critères de bonne santé économique utilisés par l'UE sont inadaptés.

Les auteurs concluent ainsi par une réflexion qui rappelle le débat sur le référendum européen de 2005 : l'Europe économique devait produire mécaniquement du politique. Or, il est temps de constater que cela n'a pas été le cas.. Une nouvelle conception de l'Europe s'impose. Les Allemands ne doivent pas considérer que l'Europe puisse continuer de la sorte. Il est absurde de plaider pour un alignement de toutes les économies de l'Union sur l'Allemagne : "L'économie du Texas n'est pas celle de l'Illinois". La solidarité à l'échelle de l'Europe est incontournable. L'égoïsme national n'est pas une issue, car la chute des uns entraînerait des dégâts incommensurables chez les autres.

Artus et Virard ne sont pas des boutefeux anticapitalistes. Il est ainsi révélateur de voir de telles personnes en appeler à des mesures radicales, à un changement de perspective économique, et à un effort de redistribution qui n'est plus évoqué depuis l'élection présidentielle de 1981. Les politiques sont-ils en retard d'une bataille, eux qui sont englués dans un "réalisme économique" de plus en plus illusoire ? En tout cas, la lecture de ce livre donnera à ceux qui sont restés "partageux" des raisons, peut-être pas d'espérer, mais en tout cas de parler haut et fort.

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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