Pierre Desproges, qui déplora pince sans rire "l'anti nazisme
primaire", et Edgar Hilsenrath ("le nazi et le barbier", roman où un SS devient un combattant sioniste...) sont des petits enfants ... Voici Jerry
Stahl qui vient de publier un roman à l'acide de batterie : "Anesthésie générale" (Rivages
thriller).
On peut rire de tout mais pas avec tout le monde. J'ai essayé avec Jerry Stahl. Ce roman noir nous propose un humour noir de très
noir avec pour matière glissante le nazisme, son héritage et ses ramifications en Amérique, et les tribulations d'un Josef Mengele clownesque qui aurait échappé à la mort et exercerait ses
sinistres pratiques dans une prison californienne. Un Mengele désireux d'être reconnu pour ses mérites par une amérique qu'il pense en phase avec ses valeurs fondamentales.
Un humour ultra trash (âmes sensibles passez votre chemin), assumant un mauvais goût exacerbé.
Un livre déroutant, mené tambour battant, obsédé par la drogue qui suinte de toutes les lignes. Un portrait déjanté de l'Amérique, qui au delà de son projet de grand délire au rire sombre, met le doigt sur les rapports troublants entre certaines politiques américaines et le nazisme, s'incarnant d'ailleurs dans des personnalités nombreuses et célèbres (le grand père de Georges Bush par exemple, ou Henry Ford). Une amérique décadente, laide et sale, sexuellement déréglée à force de refoulement puritain, avançant encore grâce aux camisoles chimiques, fondée sur des principes racistes enfouis mais encore prégnants.
Et on peut être troublé en effet de la facilité avec laquelle des savants nazis ont été importés dans le système de recherche américain après 1945.
L'intrigue est aussi déglinguée que l'humour employé. Un ex flic dépendant à toutes sortes d'opiacés est embauché par un vieillard juif pour aller vérifier à la prison de St Quentin-Californie si un prisonnier nonagénaire ne serait pas Josef Mengele, le criminel nazi. Celui-ci le prétend en effet. Le flic s'y rend muni d'une couverture particulière : il animera un stage pour sortir de la dépendance.
Le flic va plonger au coeur d'un univers - dans la prison et dehors - totalement fou. Un monde où l'on trouve des juifs nazis, une secte de chrétiens pornocrates, un producteur de télé réalité qui rêve de filmer Mengele en train de pratiquer une expérience...
Le style est grand guignol, perclu de métaphores tordues, de références sous culturelles, de vulgarités cradingues surabondantes, de détails scabreux au possible. A tel point qu'on se perd souvent dans cette jungle de sarcasmes.
On sourit cependant et on a envie de rire parfois, même si on est terrifié par ces lignes, par leur audace et par l'imagination terrible de cet auteur.
Et au terme de 470 pages de rebondissement narrés sous acide, on se demande, mais pourquoi descendre aussi loin dans l'abîme ?
Ma conclusion est que cet humour détraqué fonctionne comme un vaccin à l'angoisse. La seule manière, pour des gens comme Jerry Stahl, abasourdis de
constater ce dont nous sommes capables, d'affronter ce réel dont ils ne peuvent détourner le regard. Le rire comme tentative de faire du judo avec l'horreur.
Ames délicates s'abstenir de cet humour sauvage mais désespéré d'un être sans doute écorché vif.
Pour les autres, ceux qui n'ont pas quitté la salle à la projection de "C'est arrivé près de chez vous" mais se sont gondolés, crachant leurs pop corns sur le type assis devant, tentez le coup...
P.S : j'ai appris dans ce livre que c'est la firme textile créée par Hugo Boss qui avait dessiné les uniformes SS... Ils n'ont même pas jugé nécessaire de changer de nom après la guerre. Ca en dit long sur la légèreté de la dénazification. Je n'ai pas de fringues Hugo Boss (avec deux S) mais je crois que je vais en être vacciné).