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le blog d'un lecteur toulousain assidu

Président, laissez Césaire tranquille !

 

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" des mots, ah oui des mots ! mais des mots de sang frais des mots qui sont des raz-de-marée et des érésipèles et des paludismes et des laves et des feux de brousse, et des flambées de chair, et des flambées de ville..."

 

Cahier d'un retour au pays natal

 

 

 

L'Aimé Césaire que j'ai lu, dans des textes comme "Cahier d'un retour au pays natal", "Discours sur le colonialisme", "Discours sur la Négritude", "les Armes miraculeuses"... Ce Césaire n'est pas honoré par une cérémonie au Panthéon présidée par Nicolas Sarkozy. Il y est mal à l'aise. Il y est saisi de nausées.

 

A Nicolas Sarkozy qui abime les principes de la République française, dans tous les secteurs de notre vie sociale depuis des années, Césaire répondrait : "une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde".

 

A Nicolas Sarkozy qui dit que le "multiculturalisme a échoué", feignant d'ignorer que la France n'a jamais versé dans le modèle multiculturel anglo-saxon, Césaire démontrerait que l'identité n'est pas une forteresse assiégée et autarcique. L'identité et l'universel sont les deux faces indissolubles de l'émancipation humaine.

 

A Nicolas Sarkozy qui nous explique que le plus riche a toujours raison, qu'il convient de le choyer, pour qu'un peu de son bonheur consente à "ruisseler" sur les autres, Césaire dirait, avec cette radicalité qui n'a rien de consensuelle : "La société capitaliste, à son stade actuel, est incapable de fonder un droit des gens, comme elle s'avère impuissante à fonder une morale individuelle".

 

Surtout, l'oeuvre de Césaire, c'est l'antithèse même de ce misérable discours de Dakar que proféra Nicolas Sarkozy. L'homme africain ne serait jamais entré dans l'histoire, il serait "dans la répétition". Voila ce que répond Césaire en 1955 : "Il reste, bien sûr, quelques menus faits qui résistent. Savoir l'invention de l'arithmétique et de la géométrie par les Egyptiens. Savoir la découverte de l'astronomie par les Assyriens. Savoir la naissance de la chimie chez les Arabes. Savoir l'apparition du rationalisme au sein de l'Islam à une époque où la pensée occidentale avait l'allure furieusement prélogique".

 

A ce même discours de Dakar qui explique que le colonisateur s'est certes "servi", mais qu'il a heureusement apporté la civilisation aux masses sauvages, Césaire rétorque : " Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que, de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine". Et encore : "partout où il y a colonisateurs et colonisés , la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et, en parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de fonctionnaires subalternes, de boys". Ou bien : "on me parle de progrès, de "réalisations", de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au dessus d'eux-mêmes. Moi je parle de sociétés vidées d'elles-mêmes, des cultures piétinées,d'institutions minées, de terres confisquées (...) d'extraordinaires possibilités supprimées". Et plus encore, cette phrase qui détonne si l'on songe aux amitiés entetenues avec Ben Ali ou Khadafi : "l'Europe a fait bon ménage avec tous les féodaux indigènes qui acceptaient de servir (...) rendu leur tyrannie plus effective (...) son action n'a tendu à rien de moins qu'à artificiellement prolonger la survie des passés locaux dans ce qu'ils avaient de plus pernicieux".

 

Dans sa vision universelle, Aimé Césaire est capable de renverser la perspective et de nous signifier : "la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral". Le vingtième siècle lui a pleinement donné raison.

 

A un Président qui agite la somme de toutes les peurs, qui fait pleuvoir les stigmates, qui abuse de toutes les passions centrifuges et malsaines, jusqu'à les fabriquer (les prières dans les rues ne concernent... qu'une rue à Paris... Et deviennent le sujet numéro un de l'agenda national), Césaire opposerait sa vision de la Negritude : "Notre engagement n'a de sens que s'il s'agit d'un ré-enracinement certes, mais aussi d'un épanouissement, d'un dépassement et de la conquête d'une nouvelle et plus large fraternité".

 

En réalité, quand on lit Césaire, on a l'impression étrange mais évidente, que cette oeuvre fut comme écrite en réponse anticipée de plusieurs décennies à ce  qui se déroule dans notre pays aujourd'hui. Et cela est bien le signe de la teneur régressive de la politique de notre gouvernement.

 

Pourquoi alors porter aux nues Césaire ? Pompidou n'aurait pas rendu hommage à la Commune... Simplement parce que notre Président est un cynique électoral sans bornes (il n'est pas le seul mais il est sacrément  compétitif). Il réfléchit en termes de marketing et de "triangulation". Les citoyens d'origine africaine ou antillaise, et les habitants de l'Outre-Mer, sont une "niche" comme une autre, qui mérite bien de consacrer une heure ou deux à un poète et pamphlétaire qui a oeuvré pour tout ce que la majorité présidentielle piétine au quotidien.

 

Aimé Césaire fut Député jusqu'en 1993. Les dignitaires en rangs d'oignon au Panthéon, les signataires distraits de communiqués d'hommages, l'ont souvent croisé, au regard de l'absence choquante de renouvellement politique dans notre pays. On ne l'honorait pas alors. On l'écoutait plus ou moins distraitement. Ce n'était pas "le grand homme". On ne le lisait pas beaucoup. Pas vraiment plus aujourd'hui.

 

S'il vous plaît, Président, laissez maintenant Aimé Césaire tranquille, dans sa postérité qui n'a nul besoin de vous.

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T
<br /> La contestation du musée du quai Branly porte plus sur le refus d'organiser ce musée d'une manière historique, pour ne garder qu'une organisation "esthétique" qui rend furieux historiens &<br /> africanistes...<br /> <br /> <br />
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T
<br /> En un peu plus de 400 pages, les historiens démontent une à une les âneries débitées par le président, en partant de l'Afrique n'est pas entrée dans l'Histoire, jusqu'au musée des arts premiers du<br /> quai Branly...<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> J'ai vu qu'il y avait une polémique féroce sur l'exposition sur les arts Dogon au quai Branly, et son traitement par Télérama. J'avoue que je suis plus que philistin en la matière. Par ailleurs,<br /> je n'ai pas eu l'occasion de visiter le musée, ayant habité fugacement Paris, et l'ayant quitté depuis fort longtemps sans un seul retour. Mais je pense que la question du pillage culturel se<br /> pose inéluctablement.<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> Votre lecture est très pertinente. Pour aller plus loin sur le discours de Dakar, une cinquantaine d'historiens spécialistes de l'Afrique ont répondu au président Sarkozy dans "petit précis de<br /> remise à niveau sur l'histoire africaine à l'usage du président Sarkozy", sous la direction de Adamé Ba Konaré<br /> http://thalasrum.over-blog.com<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br /> Merci du conseil, je ne connaissais pas ce "petit précis"<br /> <br /> <br /> <br />
W
<br /> Cette lecture de césaire en même temps que le décryptage de son instrumentalisation sont d'une très fine pertinence et sont, en même temps, une invitation à ce que ceux qui pourraient être des<br /> héritiers plus dignes reprennent le chamin du Cri...<br /> <br /> <br />
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J
<br /> <br />  <br /> <br /> <br /> C'est marrant, sur cette photo, il ressemble un peu à un jeune intellectuel que j'ai connu il y a 17 ans, débarquant de son bocage... Un peu intimidé par la grande ville étincelante...<br /> <br /> <br /> <br />