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1 juin 2012 5 01 /06 /juin /2012 08:35

548304_3364765872608_1072964610_3077520_201061852_n.jpg"La mort difficile" de René Crevel est un court roman autobiographique sacrément triste, et plombant... Il eut pu être titré "prolégomènes à un suicide", celui de l'auteur neuf ans plus tard.

 

C'est un roman imprégné d'un surréalisme hâbilement bridé (Crevel était considéré comme "le prince" du mouvement). Il est de facture classique, mais criblé d'images surréelles (les poings dans les poches sont "des fleurs qui se fânent"). La narration y est d'une forme complexe : on passe indifféremment d'un narrateur omniscient aux pensées intérieures d'un personnage sans crier gare. Une tonalité hyper moderne pour un écrit de 1926. Difficile aussi pour le lecteur.

 

"La mort difficile'" est le roman du désespoir radical d'un enfant de la bourgeoisie parisienne, enchaîné à son destin. Fils d'un colonel fou à lier (il a écrit des milliers de lettres à la Pompadour et mis des palmes à des chars pour les rebaptiser "poissons mitraille") et d'un mère, Mme Dumont-Dufour, qui l'asphyxie et le condamne par avance à suivre le même chemin que son père. Ce jeune homme absolument écorché -Crevel lui-même affublé du prénom Pierre- est acculé par l'angoisse de devenir fou. Il est aussi tiraillé entre ses pulsions homosexuelles et la vie rangée que lui suggère sa relation ambigue avec Diane, une autre jeune bourgeoise, dont le père s'est suicidé et qui est sujette au même acharnement maternel, sa mère étant persuadée que le suicide est une maladie héréditaire.  

Crevel est d'un siècle où la jeunesse ne va plus supporter d'être assignée à quoi que ce soit, elle aspire à inventer son avenir. Chez Crevel, ce conflit avec la famille dévorante prend une tournure dramatique.

 

Comme beaucoup de jeunes de l'entre deux guerres, Pierre a une soif inextinguible d'absolu (elle s'exprimera de mille façons, et parfois dans l'adhésion au fascisme), qu'il tourne vers la vie amoureuse. Ce jeune américain, Bruggle, avec lequel il vivra des étreintes brûlantes mais qui ne répondra pas à son désir de passion exclusive, le conduira au désespoir puis au suicide. Le thème du sentiment de culpabilité homosexuel est là, en filigrane, même si les personnages ne l'évoquent pas... Mais l'homosexualité est qualifiée de "vice", y compris par les concernés.

 

Crevel a beaucoup insisté pour que les surréalistes s'engagent auprès du Parti Communiste et fut meutri par cet échec. On est éberlué à la pensée que l'auteur de ces lignes fusse un communiste, tellement les thématiques sont "bourgeoises" au sens où le Parti les définira (l'écriture "bourgeoise" s'apitoie, pendant que Stakhanov bat des records le visage radieux). Il faut croire que les communistes des années 20 étaient beaucoup moins sectaires et bornés sur le plan culturel qu'après la glaciation stalinienne.

 

La lecture de "La mort difficile", qui me paraît tout de même un peu daté, vaut surtout pour ses lignes intenses sur le désespoir et l'angoisse, et pour la richesse de son style magnifié par le surréalisme. Mais c'est avant tout un roman qui peut aujourd'hui s'apprécier dans la connaissance de la trajectoire de René Crevel. Il préparait en ses lignes, d'une manière ou d'une autre, le grand saut vers l'absolu, la libération de cette poisse où il agonisait. Peut-être aussi un appel au secours, mais dans son milieu le suicide était plutôt considéré comme une solution possible, une forme de liberté parmi d'autres et pas comme un acte coupable ou une pathologie. C'est une triste lecture, il faut le dire, à cet égard un peu étouffante... Elle suscite une forme de malaise, car ce n'est pas un hasard si l'on détourne les yeux de ceux qui souffrent. Au fond, on sait bien que ça nous pend au nez.

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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