"La mort
difficile" de René Crevel est un court roman autobiographique sacrément triste, et plombant... Il eut pu être titré "prolégomènes à un suicide", celui de l'auteur neuf
ans plus tard.
C'est un roman imprégné d'un surréalisme hâbilement bridé (Crevel était considéré comme "le prince" du mouvement). Il est de facture classique, mais criblé d'images surréelles (les poings dans les poches sont "des fleurs qui se fânent"). La narration y est d'une forme complexe : on passe indifféremment d'un narrateur omniscient aux pensées intérieures d'un personnage sans crier gare. Une tonalité hyper moderne pour un écrit de 1926. Difficile aussi pour le lecteur.
"La mort difficile'" est le roman du désespoir radical d'un enfant de la bourgeoisie parisienne, enchaîné à son destin. Fils d'un colonel fou à lier (il a écrit des milliers de lettres à la Pompadour et mis des palmes à des chars pour les rebaptiser "poissons mitraille") et d'un mère, Mme Dumont-Dufour, qui l'asphyxie et le condamne par avance à suivre le même chemin que son père. Ce jeune homme absolument écorché -Crevel lui-même affublé du prénom Pierre- est acculé par l'angoisse de devenir fou. Il est aussi tiraillé entre ses pulsions homosexuelles et la vie rangée que lui suggère sa relation ambigue avec Diane, une autre jeune bourgeoise, dont le père s'est suicidé et qui est sujette au même acharnement maternel, sa mère étant persuadée que le suicide est une maladie héréditaire.
Crevel est d'un siècle où la jeunesse ne va plus supporter d'être assignée à quoi que ce soit, elle aspire à inventer son avenir. Chez Crevel, ce conflit avec la famille dévorante prend une tournure dramatique.
Comme beaucoup de jeunes de l'entre deux guerres, Pierre a une soif inextinguible d'absolu (elle s'exprimera de mille façons, et parfois dans l'adhésion au fascisme), qu'il tourne vers la vie amoureuse. Ce jeune américain, Bruggle, avec lequel il vivra des étreintes brûlantes mais qui ne répondra pas à son désir de passion exclusive, le conduira au désespoir puis au suicide. Le thème du sentiment de culpabilité homosexuel est là, en filigrane, même si les personnages ne l'évoquent pas... Mais l'homosexualité est qualifiée de "vice", y compris par les concernés.
Crevel a beaucoup insisté pour que les surréalistes s'engagent auprès du Parti Communiste et fut meutri par cet échec. On est éberlué à la pensée que l'auteur de ces lignes fusse un communiste, tellement les thématiques sont "bourgeoises" au sens où le Parti les définira (l'écriture "bourgeoise" s'apitoie, pendant que Stakhanov bat des records le visage radieux). Il faut croire que les communistes des années 20 étaient beaucoup moins sectaires et bornés sur le plan culturel qu'après la glaciation stalinienne.
La lecture de "La mort difficile", qui me paraît tout de même un peu daté, vaut surtout pour ses lignes intenses sur le désespoir et l'angoisse, et pour la richesse de son style magnifié par le surréalisme. Mais c'est avant tout un roman qui peut aujourd'hui s'apprécier dans la connaissance de la trajectoire de René Crevel. Il préparait en ses lignes, d'une manière ou d'une autre, le grand saut vers l'absolu, la libération de cette poisse où il agonisait. Peut-être aussi un appel au secours, mais dans son milieu le suicide était plutôt considéré comme une solution possible, une forme de liberté parmi d'autres et pas comme un acte coupable ou une pathologie. C'est une triste lecture, il faut le dire, à cet égard un peu étouffante... Elle suscite une forme de malaise, car ce n'est pas un hasard si l'on détourne les yeux de ceux qui souffrent. Au fond, on sait bien que ça nous pend au nez.