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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 08:31

quai-d-orsay-grand-prix-rtl-bd-2010-image-l440-h235.jpg Le tome 2 de "Quai d'Orsay" (Christophe Blain/Abel Lanzac) est encore plus délicieux que son prédecesseur.

 

Dans le précédent, nous suivions les premiers pas d'Arthur, jeune débutant au Cabinet du Ministre des Affaires Etrangères, très inspiré de Dominique de Villepin. Dans ce monde instable, Arthur est appelé à exercer la fonction tout à fait vaseuse et intangible de Plume du Président ("responsable des Eléments de Langage" comme on dit dans la Novlangue ultra contemporaine).

 

Dans cette suite, intitulée "Chroniques diplomatiques", on suit le Cabinet du Ministre dans un moment particulièrement intense : la crise de la deuxième guerre du Golfe en sa période de préparation diplomatique. Le moment de gloire gaullien de De Villepin, et sans doute le seul épisode de  grandeur des quinquennats Chirac. La BD se clôt sur le fameux discours du Ministre à l'ONU refusant de se rallier à la position américaine, les Etats- Unis ne parvenant pas à donner à leur guerre scélérate un habillage légitime.

 

On y retrouve le même humour lucide mais compatissant que dans le premier opus. C'est avant tout une BD drôle, qui dresse d'habiles caricatures sans jamais sombrer dans l'inélégance.

 

Le personnage du Ministre est évidemment la grande réussite des auteurs. Une lame vivante, impulsive et absolument autocentrée, omniprésente et imprévisible, incontrôlable, injuste car égotique.

 

Quai d'Orsay est une épure de l'exercice du pouvoir, plus particulièrement de son effet sur les êtres qui l'exercent et leur entourage. Les points communs avec la vie de n'importe quel autre Cabinet, à tous niveaux de la vie politique, sont extrêmement frappants (croyez moi, je connais).

 

Le Ministre est avant tout une énergie et un ego. Une énergie qui consume son entourage, écume les lieux. Quoi de meilleur que les crises diplomatiques pour trouver combustible à consommer ? Ce ne sont pas les idées qui motivent ces hommes de pouvoir, c'est cette gestion vitale de leur énergie intérieure qui les pousse. C'est pourquoi la perte du pouvoir est inenvisageable. L'entourage est l'aliment d'un ego surdimensionné, qui crie sans cesse famine. L'homme de pouvoir dévore le temps, l'espace, les gens, et s'épanouit dans le chaos. Mais comme on le voit sur les dessins, c'est surtout de l'air qu'il déplace.

 

Le pouvoir lui a donné la chance inouïe du caprice enfantin, mais surtout de l'inconséquence. Il a la possibilité, rare, de ne pas être contredit, de ne pas être placé face à ses contradictions et exposé à ses fautes. L'homme de pouvoir est un enfant qui se venge et envoie ballader son surmoi. Il a acquis le droit de changer d'avis sans cesse, d'être malhonnête intellectuellement autant qu'il le veut, de ne jamais être rappelé au réel.

 

L'intelligence de "Quai d'Orsay" est aussi de pointer avec subtilité la vanité de la politique, sa part immense d'irrationnel, le peu d'influence que les hommes de pouvoir exercent, finalement, sur les grands courants qui agitent le monde.  Cette vanité prend tout son sens dans des scènes comiques où les conseillers s'agitent, à genoux dans des couloirs, pour brancher une imprimante. Le décalage humoristique entre le lyrisme à la limite du ridicule du Ministre et ces tracas prosaïques fonctionne à plein. Il apporte le sourire au lecteur mais dévoile en même temps une certaine vacuité du pouvoir d'Etat.

 

Quant aux conseillers, ils sont à la fois lucides sur ces vanités et folies et bien entendu à fond dans le jeu. Ils apportent le regard distancié sur les évènements, et sont absolument sous la coupe du chef, dont on recherche l'approbation, la proximité et la récompense symbolique. C'est l'ego qui les pousse, eux aussi. Et ils portent le poids immense de celui du chef, tache qu'ils remplissent avec plus ou moins d'anxiété ou de stoïcisme (le Directeur de Cabinet est un modèle de sérénité, à laquelle il semble s'être converti sous peine d'exploser littéralement).

 

Le dessin est magnifiquement au service de cet univers psychologique. Le Ministre est un couteau, destiné à fendre l'air. Et ses conseillers le sont aussi, mais passablement émoussés pour la plupart.

 

La grande qualité d'une bonne BD, c'est le rythme. Ici il est éffréné. Il rend compte de cette inconséquence du pouvoir, et de la soumission des diplomates aux sautes d'humeur et impulsions diverses du Ministre, tout à la canalisation de ses soubresauts psychiques.

 

Mais les auteurs ne sont jamais sarcastiques. Si leur humour n'épargne pas les personnages, en dépeint les petitesses, il se combine avec un regard compréhensif et attendri. Et la BD, tout en moquant la politique, en montre finalement la possible noblesse. Avec cette scène où la France est à sa place en refusant la guerre en Irak.

 

 

 

 

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Voir Blog(fermaton.over-blog.com)No.21- THÉORÈME des POUVOIRS. - Le pouvoir une folie ?
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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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