Si le fameux livre sur la comédie d'Aristote n'est jamais parvenu jusqu'à nous (cf
"le nom de la Rose" d'Umberto Eco qui fantasme à ce sujet), le rire, par essence subversif, est partout dans la
littérature.
Il est difficile de déclencher le rire par l'écriture, excepté à ses dépens. Car le rire a partie liée avec l'art de jouer du rythme, des contrastes, du fracas des
images. Et c'est pourquoi le rire a trouvé ses meilleurs vecteurs dans le Cinéma ou la Bande Dessinée (je me souviens d'avoir ri tout seul comme une hyène en lisant Gaston Lagaffe,
particulièrement lorsqu'il s'agissait des malheurs du type venu signer les contrats et qui repartait fumasse avec une bosse ou ses habits déchiquetés).
Les belles oeuvres qui font rire sont donc des prouesses. Et comme un lac n'est que plus beau lorsqu'on souffre à l'atteindre, le rire est d'autant plus
appréciable que la lecture demande concentration.
Voici donc quelques livres à lire pour rire :
- Ubu Roi d'Alfred Jarry. La pièce potache, écrite il y a un siècle, recèle une portée comique
inentamée. Et des pères Ubus, on en voit partout. Vous en connaissez et êtes à portée de leurs crochets.
- Les romans "policiers" du prolifique Donald Westlake. En particulier ceux dont le héros est Dorthmunder, voyou sans ambition mais filou. Sorte de
petit fonctionnaire du banditisme, entouré de tire-laines encore plus dérisoires et drôles. Je vous conseille âprement "Mauvaises
nouvelles", farce policière loufoque, où des petits malins essaient de tricher pour capter l'héritage d'une tribu indienne dont la lignée s'éteint.
- "O dingos, o châteaux" de Jean-Patrick
Manchette, regretté admirateur de feu Westalke. Dans ce petit roman policier provincial, le père du nouveau roman noir français s'amuse à torturer de vieux Affranchis imbéciles en les
lançant dans une traque malchanceuse en pleine France profonde, à la recherche d'une femme.
- Les romans de David Lodge. Rire sage mais rire tout de même.
- Don Quichotte, de Cervantès. Véritablement drôle. Le premier roman moderne est un roman
comique.
Dans les romans russes, il y a de belles échappées comiques, acides et cruelles. Je pense aux "possédés" de Dostoïevski où l'on se gausse de ce baltringue de Fedor Fedorovitch, toujours à pleurnicher. Je pense à Gogol, à Tchekhov, ou encore à "Oblomov" de Gontcharov, qui narre le parcours d'un fainéant irrémédiable. Le "Maître et Marguerite" de Boulgakov, qui raconte les amusements de Satan dans la Moscou stalinienne, a ses vertus comiques. Mais ce rire russe est grinçant et s'inscrit dans une perspective sombre et dramatique. C'est le rire nerveux du dépressif, qui se défend comme il peut.
... Et si je n'en retenais qu'un, ce serait "La conjuration des imbéciles" de Kennedy Toole,
étoile filante de la littérature. Ce roman est hilarant de bout en bout, avec des passages irrésistibles. Il nous conte les agitations picaresques d'un érudit, inadapté social, goinfre,
outrecuidant et emphatique, qui se heurte sans cesse à ses contemporains. C'est sans doute le livre le plus drôle qu'il m'ait été donné de lire. On le voit souvent sur les piles de livres de
poche des librairies. Mais on devrait l'entourer de néons.
A vous de rire, d'en lire.