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20 juillet 2011 3 20 /07 /juillet /2011 08:56

 

chesil.jpg "Sur la plage de Chesil", court roman au style classique de Ian McEwan, est un peu le contrepoint indispensable de l'argumentaire de Pasolini que nous avons déroulé récemment dans ce Blog ( Pasolini, le Corsaire qui a tout compris) , sur la face obscure de la libération des moeurs et les fausses promesses de l'hédonisme, génératrices d'angoisse et de névroses.

 

Ce roman d'une maîtrise admirable, d'autant plus impressionnant que l'auteur n'est pas de la génération qu'il dissèque (il a dix ans de moins), nous décrit avec un subtil mélange d'empathie et de sarcasme léger (on sourit un peu) les affres d'un jeune couple anglais parti vivre sa  nuit de noces au bord de la mer dans un hôtel, en 1962. Soit juste avant la grande transformation anthropologique. Un temps où la répression sexuelle était encore prégnante mais déjà insupportable.

 

J'ai songé à un beau film de James Ivory avec Emma Thomson et Anthony Hopkins, où n'osant s'avouer leur passion réciproque par simple souci de convenance, deux employés de maison anglais vont passer à côté du bonheur  et le regretter douloureusement (le titre ne me revient pas).

 

A travers les souffrances absurdes de ces jeunes gens, que nous appréhendons grâce à une habile alternance des deux points de vue intimes, c'est toute la société corsetée de l'époque qui nous apparaît dans son absurdité, sous la plume de McEwan.

 

Et nous savons ainsi gré à nos ainés d'avoir brisé le modèle.

 

La nuit de noces va tourner au fiasco lamentable.

Elle ne sera que l'aboutissement prévisible d'une relation faussée par la pudibonderie : entre une femme effrayée par "la chose", élévée dans le déni voire  la haine du corps, jusqu'à être dégoûtée par avance de tout contact physique, et un homme rendu fébrile par la répression du désir.

 

Tout cela, certes, se passe en Angleterre, terre puritaine. Entre deux jeunes gens issus de deux couches différentes de la middle class, qui vont d'ailleurs essayer d'attribuer leurs soucis à des motifs culturels et sociaux, certes réels mais non décisifs. On s'échappe de la pièce du drame (la chambre de la nuit de noces, irrespirable) pour plonger dans leur passé, comprenant comment ils en sont arrivés là. Vivant une jeunesse où toute chaleur et toute sensualité était proscrite, et fondant leur couple sur des bases platoniques et pudiques préparant la déroute finale.

 

Le talent de Ian McEwan, qui rend à travers ce roman - me semble t-il - un hommage appuyé à Virginia Woolf, est de jouer avec la présence obsédante de la nature, de la mer en particulier, inévitablement sensuelle. Comme pour renforcer le malaise des jeunes mariés et la réalité de leur aliénation, soulignant le contraste entre leurs sentiments dévoyés et leur être profond, refoulé.

 

La peinture psychologique des deux personnages est de toute première grandeur.

 

C'est aussi un beau roman sur le poids des mots et la valeur du langage. Grâce à la scène d'explication, grandiose, entre les deux jeunes gens après l'échec de la consommation du mariage.  Certains mots, certains choix grammaticaux sont fatals. Comme l'usage de l'imparfait : "je t'aimais"... plutôt que le présent. Parler c'est agir.

 

Cette scène, très riche décidemment, nous montre aussi comment une dispute peut finalement s'autonomiser de ses causes, enfler de manière inconsidérée, enflammer les orgueils et ainsi acquérir des dimensions irréversibles.

 

Quelques secondes, quelques paroles, peuvent changer le cours d'une vie. Finalement, l'échec de cette nuit là n'avait rien de dramatique. Il aurait du être facilement surmonté. Mais non, la terreur stupide l'a emporté, s'alliant au souci de ne pas céder à l'autre, de ne pas baisser la garde. Et c'est d'un bonheur peut-être incommensurable dont ces deux personnes se sont privés.

 

La situation est d'autant plus frappante que cette génération va vivre à cheval sur les deux époques : celle de la prison morale et celle de la liberté sans limites. Elle va donc pouvoir regretter le passé et s'interroger sur son étrangeté. 

 

Quelle autre génération humaine aura vécu dans sa chair un telle modification des règles du jeu anthropologiques ? Il y a là une expérience unique.

 

Ian McEwan est un grand romancier, un brillant explorateur des moments de vérité entre les êtres, qui éclairent des lames de fond d'une extraordinaire ampleur.

 

 

 

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commentaires

C
<br /> J'aime bien McEwan, tu me donnes envie<br /> de lire celui-ci. Celui qui entraine un couple dans un délire pervers dans une ville italienne (le titre m'échappe) est fascinant! Le film, c'est pas Retour à Howard end ?<br /> <br /> <br />
Répondre
J
<br /> <br /> ayé je sais ! Le nom du film de James Ivory, c'est "les vestiges du jour"...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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