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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 09:39

 

CHAMBRETEMPS.jpg"La chambre à remonter le temps" est un roman d'époque de Benjamin Berton, qui dresse un portrait au Wasabii des "classes moyennes", ou si l'on préfère de la toute petite bourgeoisie : les couches sociales salariées qui ont tout juste sorti la tête de l'eau pour ne pas faire leurs comptes en permanence et obtenir le droit de s'endetter sur 25 ans afin d'acquérir un titre de propriété.

 

Benjamin et Céline sont des trentenaires et viennent d'avoir une petite fille, Ana. Ils vivent au Mans... Perdus dans l'immense division du travail social, ils effectuent des tâches sans aucun intérêt au sein de l'économie privée bureaucratisée. Benjamin travaille à Paris où il se rend en TGV chaque jour.

 

Le couple achète une maison au Mans. Un "coup de coeur"... même si une chambre condamnée par les anciens résidents suscite un certain malaise.

 

Benjamin, qui sert de narrateur, ne va pas tarder à découvrir les pouvoirs de cette chambre : elle permet de voyager dans le temps. Il va s'en servir pour surmonter les contradictions de sa vie décevante : et notamment pour se débarasser de tout ce qui est pénible en effectuant des elllipses ou des flash backs. Peu à peu il perd contact avec le réel qui se conjugue au présent. Les difficultés s'amoncellent dans le couple, Céline et Benjamin n'étant plus sur la même longueur d'onde. Benjamin recherche la quiétude, Céline se réfugie dans les exigences matérielles et voudrait contraindre son compagnon à entrer dans ce moule.

 

On ne saura pas si Benjamin sombre dans la schyzophrénie ou si cette chambre détient de réels pouvoirs. Moi j'ai ma réponse... mais je vous laisse à votre réflexion si vous comptez lire cet intéressant petit roman, qui n'est pas le chef d'oeuvre français du siècle naissant, mais se laisse parcourir avec un sourire caustique et amusé.

 

Ce qu'il a de meilleur est son regard critique sur la vie de ces couches moyennes éduquées (dont je suis, même si un peu plus confortable que ces deux trentenaires). Le passage sur l'acquisition de la maison est particulièrement réussi. Acquérir une propriété est, on le sait, le graal contemporain. La caricature de ces parasites d'agents immobiliers et de notaires fonctionne très bien. J'ai aussi beaucoup  souri à la description d'un  repas "convivial" de voisins auquel le couple participe ... Car moi aussi, comme eux, je n'aime pas ça...

 

Le roman est intéressant en tant que regard sur le destin de ces couches sociales : l'anomie, la désaffiliation qui les caractérisent. Et surtout il restitue bien leurs frayeurs actuelles : la proximité des pauvres juste en dessous d'eux dans l'échelle sociale, qu'ils veulent repousser à tout prix. Cette peur sociale se traduit dans l'espace, elle se concrétise dans l'agacement puis la colère face aux tags et par un sentiment d'insécurité irrationnel...

 

La vraie menace qui pèse sur ces couches sociales, celle d'un capitalisme débridé, est trop désincarnée, trop abstraite. Il  n'y a plus de cadre collectif dans lequel on peut la saisir, l'analyser et lutter contre elle. L'ennemi c'est donc le jeune à capuche, ou encore le punk à chien. La menace, c'est la proximité de la "cité", imaginée comme un enfer et comme une métastase appelée à envahir tout le corps social.

 

Benjamin est enrôlé, plus ou moins à son corps défendant, par ses voisins mâles, dans des tournées nocturnes de vigilance. Tournées où il ne se passe rien et où on joue aux miliciens. Un bon prétexte pour échapper un peu au foyer et retrouver la camaraderie de collège... Les frustrations de ces couches sociales se cristallisent en violence potentielle et en haine qui se tourne vers le "bougnoule" et "le clodo". Benjamin, jeune homme éduqué venant d'un milieu plutôt progressiste, se rallie à cette vision du monde plus ou moins implicitement, car il endosse un nouveau rôle social.

 

Le roman devient alors politique. Et il touche juste quand il décrit cette France où les solidarités primaires ont été arrasées, où les mobilités et la famille nucléaire, adaptées aux exigences de l'économie, ont disloqué les communautés et produit de la poussière humaine. De l'isolement dans la disparition de tout dessein collectif qui donnerait un sens à l'existence. Ce n'est pas un hasard si le FN a du mal à s'implanter dans les zones où le lien social est encore un peu solide, où l'identité culturelle rassemble : la Bretagne, le Pays Basque par exemple.

 

Il y a bien l'Enfant, pour imprimer un sens à tout cela. Mais pour Benjamin cela ne suffit pas.

 

Mais le problème de ce roman, qui mêle habilement réalisme social et utilisation du surnaturel, c'est justement qu' il est écrit par un petit bourgeois qui parle des petits bourgeois. Sa distance corrosive masque habilement une tendance à la lamentation typique de cette classe : la déploration de l'ennui... Je me suis ennuyé, enfant ou étudiant. Mais aujourd'hui il m'apparaît que l'ennui est un luxe. Et en réalité je ne m'ennuie plus jamais. Et je n'adhère pas non plus à ce dégoût du quotidien qui anime le narrateur (et sans doute l'auteur). Pour ma part je n'ai jamais rêvé d'être Indiana Jones et la perspective de manger un confit de canard illumine ma journée. Rester une matinée sous la couette, c'est un royaume... Et je diffère aussi avec l'auteur sur la place de l'enfant : il justifie tout, ou en tout cas beaucoup.

 

Au final, je suis donc gêné par la contradiction de ce livre. L'ironie y fonctionne comme un leurre. Une diversion permettant d'exprimer, par la contre allée du roman, les tourments banals d'un scribe petit bourgeois.

 

 

 

 

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Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


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D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

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