Une année de lecture s'achève. Avec une bibliothèque qui s'alourdit. En prenant de l'âge, on sait mieux se diriger dans les rayons des librairies, et on se connaît mieux. On trouve plus facilement les livres qu'on va aimer.
D'après ce que j'ai lu (et seulement cela), voici trois livres parus dans cette année défunte, et qui mériteraient d'être lus si on n'en avait choisi que trois ( un pour Pâques, un pour l'été, un pour Noël).
1- "Hammerstein ou l'intransigeance", de Hans Magnus Enzensbeger.
Un livre singulier, d'un
écrivain étrange, sur la Résistance allemande. Sur un homme, parvenu tout au sommet de l'armée allemande, et qui refuse sans ciller de coopérer avec l'hitlérisme dès le début,
alors que la quasi unanimité de ses pairs se transforment en bras armés des brutes nazies. Pourquoi ?
Qu'est ce qui cerne la vérité et l'unité d'un homme, plus largement ? Ce récit, qui emprunte à la biographie, à l'histoire, au récit littéraire, et qui s'essaie même au dialogue direct (et ardu) avec les morts pour mieux les comprendre, ouvre des questions immenses.
Comment comprendre que les enfants d'un hobereau conservateur, imperceptiblement décalé, donneront aussi dans la Résistance, pour certains dans l'espionnage soviétique, sans doute avec la complicité au moins silencieuse du père ? On sort de ce livre en pensant que l'histoire est tout sauf manichéenne (on en apprend beaucoup sur les liens profonds, et précoces, entre armées allemande et russe). Et on se dit que chaque être est un tissu de contradictions inextricable. Chacun est "dialectique" comme on aimait à écrire autrefois pour tout résoudre. Chacun est source dont peuvent surgir des réactions étonnantes, imprévues, au contact du drame de l'histoire.
Je ne sais si on va me comprendre, et ce n'est pas prendre la pose que de l'affirmer, mais il est pour moi très important de savoir que des allemands ont résisté, même passivement. Qui plus est depuis 1933. Qui plus est quand leur famille était menacée. Qui plus est quand ils ne pouvaient se cacher. Ces gens nous sauvent de toutes nos déceptions. A l'avance.
Les résistants sont souvent,
me semble t-il, des décalés. Par exemple Emmanuel d'Astier de la Vigerie, fondateur du grand réseau "Libération Sud". Un type qui avant guerre ne trouvait nulle part sa place. Préservons
les décalés. Ne les orientons pas "précocément" vers les RASED ou leurs successeurs. Aimons et cultivons les. A bas le règne de la moyenne !
2- "Anatomie d'un instant" de Javier Cercas (voir article publié précédemment sur ce blog Un mauvais titre pour un chef d'oeuvre espagnol )
3- "Le quai de Ouistreham" de Florence Aubenas.
Lire ce livre est comme recevoir une décharge électrique dans l'occiput. Si vous vous petit-embourgeoisez dans votre maison de faubourg (coucous les amis !) empruntée sur trente ans, lisez-le. Ca dégèle. Florence Aubenas a écrit une oeuvre de dénonciation simple, sans fards, seulement basée sur l'exposé des faits, de ce "précariat" qui s'installe inéluctablement au détriment du salariat. Ce livre devrait être offert à tous les décideurs, étudié au premier trimestre en fac d'éco avant le gavage en modèle ISLM, et imposé par la loi en école de commerce. En se fondant dans la masse des demandeurs d'emploi sans qualification, Florence Aubenas a poussé jusqu'au bout la méthode dite "ethno participative". Mais son livre est autrement plus percutant que ceux des meilleurs sociologues. Une sorte de "Misère du monde" (Bourdieu), mais en Live.
Mme Aubenas est une grande journaliste, une
femme admirable (souvenons-nous de sa dignité à son retour d'Irak, à comparer avec d'autres comportements sans doute compréhensibles mais navrants. Elle aurait pu vivre des ventes
d'un très probable best seller sur sa vie d'otage. Elle ne l'a pas écrit, justement. Ca situe le personnage) . Elle est de surcroît un bon écrivain. Son livre sur l'affaire Outreau : "la Méprise" est aussi à lire, comme une première plongée probante dans la France précaire, méprisée par des institutions ,
harcelée par la société de consommation et de crédit, instrumentalisée par les médias.
Je n'aime pas le concept de "Vérité" (pravda). Mais avouons que Florence Aubenas s'en approche.