Je viens de lire un roman tiré d'une haute étagère de ma bibliothèque. Un petit livre de poche acheté il y a des années, jamais
ouvert, aux pages déjà comme teintées par l'argile. Un titre attirant et mystérieux : "Les petits chevaux de Tarquinia" de Marguerite
Duras.
Celle-ci avait le génie des titres accroche-coeurs: "Moderato cantabile", 'le ravissement de Lol V Stein", "Dix heures et demie du soir en été"., "Hiroshima mon amour"... Et je suis sûr qu'un jour je lirai... "Des journées entières dans les arbres". Rien que dans ce titre, on pressent le feulement apaisant de la brise dans les feuilles et la mélancolie de l'enfance.
"...Tarquinia" est une oeuvre de jeunesse de MD.(1953) Son style y est fluide, moins affecté sans doute que celui qu'on se plaît à caricaturer.
C'est un petit livre de rien du tout. Un livre qui se contente de quelques impressions fondamentales. Mais c'est un beau livre et c'est beaucoup.
Sans doute le lecteur de ce Blog connaît-il des gens qui n'aiment pas les vacances, qui les craignent, par peur du vide ou de se retrouver face à
soi-même. Ce sont des candidats parfaits au burn-out. Ils placent leurs congés sur un Compte Epargne Temps et se planquent derrière une montagne de travail, censée être subie.
Ils ont un peu honte, car le loisir est une injonction sociale et le lieu de vacance un signe extérieur de distinction.
Et bien ce roman est écrit pour eux. Il évoque les vacances d'été, au final douloureuses, d'un tout petit groupe d'amis. Dans un hameau au bord de
la côte italienne occidentale, coincé entre méditerranée, montagne et estuaire. A l'abri regrettable du vent et piégé par la torpeur. Des vacances languissantes et pénibles, durant lesquelles on
rêve sans cesse de partir.
Impossible d'échapper à la chaleur qui sèche la peau du lecteur. Mais la chaleur est la double métaphore de la vie et de l'amour.
On aimerait faire des pauses dans la vie, mais on ne peut pas. il faut bien se lever, manger plus ou moins la même chose, recommencer,
rechercher la même gamme de plaisirs. On se baigne sans cesse mais on sèche. On ne peut pas récupérer de ces nuits de canicule épuisantes. Et on ne peut pas échapper aux apories de
l'amour et du désir. On voudrait que l'amour ne puisse s'éroder, on souhaiterait programmer son exclusivité. Mais on est impuissant. Telle Sara, personnage central de ce livre qui ne
peut renoncer à l'homme de sa vie mais qui rêve d'autres hommes.
Heureusement, il y a "l'Enfant". L'Astre qui justifie tout cela.
Et puis il y a l'alcool. En l'occurence les petits verres de Campari qui jalonnent presque chaque page du livre. On sait l'importance de l'alcool dans la vie et l'oeuvre de Duras (lire à ce propos la biographie écrite par Laure Adler il y a une douzaine d'années).
"Moderato Cantabile" m'était apparue comme la vision d'un réel filtré par l'omniprésence du vin. "...Tarquinia" me semble un ressenti du monde qui conduit logiquement jusqu'aux terrasses du seul hôtel du village, où l'on boit exclusivement des Bitter Campari amers.
Il y a l'alcool, et d'autres vaisseaux similaires pour vous alléger et vous emmener ailleurs. Pour provoquer un peu de communion aussi, car que nous
disent les très nombreux dialogues un peu abscons de Duras, sinon l'ambivalente présence d'autrui ?
Là ou peut-être on prendra un peu de frais, on vivra mieux ensemble. Par exemple par un saut de deux trois jours à Rome, avec escale à Tarquinia pour y voir ces
fameuses petites peintures étrusques. Ailleurs toujours, "Dit-elle".