Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
13 juillet 2013 6 13 /07 /juillet /2013 21:36

ronald.JPG Bon, autant le dire de suite, "Le socialisme gourmand" de Paul Ariès, ce n'est pas un grand livre mais une intervention au passage, une contribution. Ca se lit vite, très vite, comme on boit un demi en terrasse, la pensée y est légère comme un crépuscule de juin sur Cordes sur Ciel alors qu'on boit un blanc liquoreux en compagnie de jeunes femmes en robes fleuries (c'est rien, j'avais juste envie de faire une comparaison homérique).


C'est assez verbeux et ça "délaye" méchamment. L'adjectif tient souvent lieu d'argument. Par exemple, vous rajoutez "buissonnier" à socialisme, ça fait "socialisme buissonnier" et tout de suite les hédonistes se pâment et tout le monde est content. Bon.

A d'autres moments, la foultitude de détails historiques tient lieu de preuve. Ainsi si on décline toute l'histoire des coopératives, c'est bien qu'elles sont fécondes. Eh oui. 


L'auteur s'envivre de sa facilité d'écriture. Il pourrait écrire des livres à la chaine, et d'ailleurs c'est ce qui semble l'occuper. Le sens de la formule est il ce qui manque à la gauche ? On en doute. Or Ariès est de ceux qui pensent que les mots résolvent beaucoup de problèmes. Ainsi il peut passer beaucoup de temps à se demander si l'oxymore "abondance frugale" est un mot d'ordre valable pour la gauche. Ecrivons des textes, multiplions les trouvailles sémantiques, et nous changerons le monde car au commencement était le verbe. J'ai envie de dire "bof". C'est après tout c'est ce que prétend la communication politique et rien de plus


Mais cependant, malgré ces défauts, dont un peu de "moi je" quand même (moi Paulo j'ai fait une revue avec des copains, c'est l'avenir etc, etc...), c'est un essai qui reste intéressant à lire si on pense que la gauche est quand même en état de coma idéologique (difficile à nier, sauf à être de mauvaise foi flagrante) et qu'on est de ceux qui espèrent tout de même un retour de flamme. Paul Ariès a de belles intuitions et sur le fond je ne trouve pas grand chose à contester en réalité. Je pense qu'il est dans le vrai, notamment à travers ses illusions perdues et ses deuils.

(Ariès n'aborde pas dans ce livre, ou si peu, son grand thème de la décroissance (j'ai d'ailleurs appris dans ce livre qu'il a existé un débat entre décroissants de gauche et de droite qui ont à un moment partagé des débats. J'avoue, je ne le savais pas). Et pour moi ça a facilité la lecture, car dans un autre de ses ouvrages j'aurais sans doute trouvé plus de motifs de colère. La décroissance me semble un thème en réalité sans aucun sens. Car sans création, il me semble qu'on ne peut ni transformer l'existant radicalement, ni donner de perspective aux êtres humains, ni créer les conditions d'une réparation de notre planète qui est mal engagée et réclamera des leviers herculéens. Ariès se réfère sans cesse, citant Orwell (il revient fort) à la sagesse du peuple, mais un des invariants de la culture populaire, c'est l'idée qu'on doive travailler et produire. Qu'on n'a rien sans rien. Il me semble que c'est difficile de retrouver ce peuple perdu si on oublie cela. Même si le droit à la paresse est une merveilleuse revendication. Mais la paresse est la récompense du travailleur, pas du Jean foutre. Que font les retraités ? Ils cultivent leur jardin.)

 

Ariès était un peu désespéré par la gauche. Et comment lui donner tort ? Pas besoin d'épiloguer. Et puis le souffle sud américain lui a redonné l'espoir, même s'il dit avec raison qu'il n'est pas question de se recréer des mythes. Les révolutions arabes ont encore attisé ce regain d'optimisme. Il est vrai que l'on pouvait penser, en orwellien justement, que la révolution était devenue impossible. Nous avons la réponse : elle est possible.

 

"Quelque chose se cherche" écrit Ariès avant le tumulte revigoré en Egypte, la tempête brésilienne, le tremblement sérieux en Turquie. Et il faudrait être bien étroit, idéologiquement provincial, pour ne pas saisir que cette chaîne d'évènements exprime un phénomène profond, de dimension mondiale. On cherche, on ne veut pas couler cette recherche dans les moules anciens et vermoulus, on sait d'instinct que les vieux outils sont défunts. On veut faire, on ne veut plus confier sa destinée aux porteurs du verbe. On ne veut plus s'en remettre aux autroproclamés. 

 

Une idée simple est en train de creuser son sillon : la crise multiforme est de nature politique. Elle est une crise d'organisation de la société, elle est le résultat de choix opérés ou non réalisés. Elle n'est pas fatale. Ce n'est pas une crise malthusienne, ou il n'y aurait pas assez pour tout le monde, mais une crise de répartition. Des ressources et du pouvoir. Le slogan "nous sommes les 99 %" est à ces égards très parlant.

 

Paul Ariès demande que l'on entende ce que disent ces mouvements de masse considérables. Ils disent que le pouvoir tel qu'on l'a entendu n'est pas le vrai pouvoir. Quand on s'en est saisi ça n'a d'ailleurs rien changé, et souvent la situation a empiré. Le pouvoir est disséminé. Il ne cite que peu Gramsci, mais je le ferai moi : la société est une lutte dans des tranchées. Les tranchées sont partout creusées dans le champ. Envahir le prétendu QG, qui ne contrôle pas grand chose, et qui est en réalité imprenable (mais ce dernier point il ne l'aborde pas, c'est dommage), ça ne sert pas à grand chose. Ca ne résout rien en tout cas. La première responsabilité d'un pouvoir de gauche, c'est de créer les conditions de contre pouvoirs. Ce que le premier gouvernement Mitterrand essaya d'ailleurs, avec les lois auroux, les radios libres... 

 

Donc, la solution selon Ariès, c'est sortir du jeu que le système impose. Citant Immanuel Wallerstein, il dit une chose intéressante (qu'il ne développe pas, c'est son défaut aussi, il assène, et puis hop... On passe à une autre considération) : le bloc de l'Est a péréclité parce qu'il est entré en concurrence avec l'adversaire sur son terrain. Il a accepté la course.

 

Il s'agit donc de ne plus jouer un jeu perdu d'avance, sur le terrain bâti par l'adversaire. La gauche doit faire "sécession". Et partout. Car en entrant dans le monde de l'adversaire, on finit par lui ressembler. En acceptant la société de consommation, on en a avalé le poison. On réfléchit dans les termes et on ressent dans les tripes de l'adversaire.  Là, Ariès est très convaincant. J'accepte de le suivre.

 

La gauche doit d'abord être joyeuse. Refuser les passions tristes (encore un qui adore Spinoza ! C'est le philosophe de l'époque pour ceux qui veulent changer les choses). La négativité, la haine, le ressentiment, l'envie. C'est ainsi qu'elle pourra offrir une autre issue. Mouais... Alors là on se dit "ce type nous refile encore l'idée des repas de quartier en guise de révolution"... Oui il y a de cela... Mais en même temps l'aspect intéressant de ce socialisme du "bien vivre", c'est qu'il prétend qu'on ne peut pas changer le monde avec des moyens, des comportements, des attitudes, qui construisent un monde gris et mortifère. Un curé rouge est aussi effrayant qu'un curé noir en somme. Et il est vrai que l'on a du mal à s'imaginer dans le monde merveilleux de Nathalie Arthaud.

 

La gauche doit donc sortir du jeu. Et d'abord du jeu consumériste. La consommation est la cible. Elle est le lit du malheur humain, créatrice de désirs sans fin, de frustration sans fin, de poursuite de chimères qui s'éloignent aussi vite qu'on les poursuit. Le capitalisme fonctionne sur le malheur de l'Homme. "On ne parvient au final qu'à racheter sa capacité à désirer à nouveau". La névrose est tellement avancée que nous finissons par trouver la générosité suspecte, nous ne pouvons plus imaginer la possibilité sincère du don.

 

Ainsi Paul Ariès désespère de ces comités d'entreprises qui au lieu de proposer d'autres désirs que ceux du capital, s'inscrivent totalement dans sa logique. La gauche est devenue à maints égards le "porte voix de la marchandise". Elle devrait ne plus parler de pouvoir d'achat mais de pouvoir de vivre, pour commencer à subvertir l'édifice.

 

Mais Ariès note que l'effritement des classes moyennes ("la démoyennisation") est en train de menacer ce système consumériste. Dans la jeunesse nombreux sont ceux qui ne veulent pas jouer le jeu, qui préfèrent ne pas gagner beaucoup mais vivre autrement. Ils ressemblent au personnage de Melville, Bartleby, qui dit toujours "je préfèrerais ne pas".( Le drame humain tout entier dans un incident de bureau)

D'un point de vue matérialiste qu'Ariès ne renie pas un instant, les conditions se préparent pour cette sécession souhaitée. Rupture qui doit substituer à la centralité de la marchandise celle des liens sociaux multipliés. 

 

Autre idée intéressante : le capitalisme ne fabrique pas des crétins. Il a besoin d'intelligence. Il est cognitif. Mais il fabrique des angoissés, et il atrophie notre sensibilité, nos sens. S'il nous déshumanise c'est à travers notre perception appauvrie. Notre aliénation manuelle aussi. Les guerres sont devenues un spectacle banal, auquel on s'est habitué. L'homme capitaliste est froid. La gauche ne rompt pas avec ce modèle, et ne propose que de la "survie augmentée". Elle doit proposer une autre vie possible, rien de moins.

 

Ainsi ne pas penser dans les termes de l'adversaire, c'est par exemple cesser de penser l'exclusion comme un accident. Alors que c'est la variable nécessaire du capitalisme. Et donc cesser de réfléchir uniquement en termes de réinsertion qui n'arrivera jamais (je pense qu'il faut comprendre cela au sens général, macro social, pas individuel). Donc la question devient différente : doit-on continuer à pressurer les exclus pour les faire entrer dans un système qui veut de l'exclusion, ou doit on imaginer de nouvelles formes de vie préfigurant la société de demain ? Admettons qu'alors que les restos du coeur ont été créés dans les années 80 et le RMI aussi, la question mérite d'être posée.

 

La gauche ne doit plus être indifférente aux contre cultures, ne pas les regarder avec mépris (ou les rabaisser au statut d'adjuvant socio culturel). La contre culture est un outil déterminant d'indépendance de la classe, ou du groupe dominé. ( Le jazz, une lecture politique ("Free jazz, black power")). La grande victoire du capital c'est d'avoir collé au peuple la honte du populaire. J'ajouterais que la gauche est d'ailleurs tombée dans le piège, utilisant des termes péjoratifs pour parler du peuple.... Les défavorisés, les plus faibles.... Extériorité coupable et suicidaire. On est allé jusqu'à signifier au peuple que les grandes oeuvres ne le concernent pas (et on continue à mon avis, quand on explique qu'il faut arrêter la philo en terminale par exemple), que c'est une affaire de bourgeois. Les couches populaires ne vont plus au théâtre. Or, (et ici Ariès me rappelle Pasolini et ses lucioles), avant la consommation il n'y avait pas le vide, il y avait les cultures populaires. Il est faux de penser que la vie c'est la consommation ou rien.

 

Comme beaucoup d'autres auteurs, Ariès propose de remettre en avant la notion de "commun". Les biens communs. Le commun n'a pas vocation à rester sur le seul terrain du partage informatique. Il doit repartir à l'assaut de la société.

 

La gauche doit manier l'art de la guerre, pratiquer la fuite, l'esquive, elle doit être là ou on ne l'attend pas. Ainsi Ariès demande que l'on propose de nouveaux concepts juridiques, comme la justice du climat, pour subvertir le système.

 

Emporté par son élan, Ariès nous appelle à l'amour, à l'amitié, à la poésie, à l'amour libre même. Bon... John Lennon l'a dit en quelques minutes avec plus de talent.  Il suffirait de s'aimer et tout irait mieux. Vivre la fête, réhabiliter le plaisir des sens, d'être ensemble, admirer les belles choses, militer en rigolant et en prenant du plaisir plutôt qu'en se flagellant. Tout cela est bel et bon, j'y souscris et plus encore. On aura envie de répondre que celui qui est subordonné à la machine broyeuse qui l'avale tous les matins n'a pas tellement de possibilités de s'échapper. Mais il est vrai que les outils censés l'émanciper n'ont pas tenu leurs promesses non plus. Ils ont même participé à l'enchainer un peu plus à sa machine.

 

Donc Ariès a raison, aimons nous que diable ! Mais gardons quand même un oeil sur tout le reste, on ne sait jamais, ça peut servir.

 

Ariès a cependant le mérite de remettre le doigt sur des moments de l'histoire de la gauche qui montrent que procéder autrement est possible, a été tangible en tout cas. Il rappelle la belle expérience du socialisme municipal, dont le bilan a été tout de même très riche, et continue d'être ce que la gauche apporte sans doute de plus intéressant (ce qu'Ariès ne semble pas voir). Il regrette les promesses oubliées du syndicalisme à bases multiples, des comités d'entreprises, du mouvement coopératif, des expériences de démocratie directe. Il tire de leurs vieux cartons les plus beaux aspects du socialisme utopique français, qui malgré ses insuffisances et son immaturité osait penser la vie autrement, sans déchiqueter l'humain, mais en le considérant dans son ensemble, avec l'audace de sortir des conditions posées par l'adversaire qui constituent autant de pièges dissolvants.

 

 

 


 


 


 


 


 


 


 


 


 


 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de mesmilleetunenuitsalire.over-blog.com
  • : le blog d'un lecteur toulousain assidu
  • Contact

Lectures de Jérôme Bonnemaison

 

Un sociologue me classerait dans la catégorie quantitative des « grands lecteurs » (ce qui ne signifie pas que je lis bien…).


ete2010-035.jpg

 

 

D’abord, tout petit, j’ai contemplé les livres de mes parents qui se sont rencontrés en mai 68 à Toulouse. Pas mal de brûlots des éditions Maspero et autres du même acabit… Je les tripotais, saisissant sans doute qu’ils recelaient des choses considérables.

 

Plus tard, vint la folie des BD : de Gotlib à Marvel.


Et puis l’adolescence… pendant cette période, mes hormones me forcèrent à oublier la lecture, en dehors des magazines d’actualité, de l'Equipe et de Rock’n Folk. Mais la critique musicale est heureusement lieu de refuge de l’exigence littéraire. Et il arrive souvent aux commentateurs sportifs de se lâcher.


 

De temps en temps, je feuilletais encore les ouvrages de la  bibliothèque familiale A quatorze ans, je n’avais aucune culture littéraire classique, mais je savais expliquer les théories de Charles Fourier, de Proudhon, et je savais qui étaient les « Tupamaros ».


 

J’étais en Seconde quand le premier déclic survint : la lecture du Grand Meaulnes. Je garde  le sentiment d’avoir goûté à la puissance onirique de la littérature. Et le désir d’y retoucher ne m’a jamais quitté.


 

Puis je fus reçu dans une hypokhâgne de province. La principale tâche était de lire, à foison. Et depuis lors, je n’ai plus vécu sans avoir un livre ouvert. Quand je finis un livre le soir, je le range, et lis une page du suivant avant de me coucher. Pour ne pas interrompre le fil de cette "vie parallèle" qui s’offre à moi.

 

 

Lire, c’est la liberté. Pas seulement celle que procure l’esprit critique nourri par la lecture, qui à tout moment peut vous délivrer d’un préjugé. Mais aussi et peut-être surtout l’impression délicieuse de se libérer d’une gangue. J’imagine que l’Opium doit procurer un ressenti du même ordre. Lire permet de converser avec les morts, avec n’importe qui, de se glisser dans toutes les peaux et d’être la petite souris qu’on rêve…


 

Adolescent, j’ai souvent songé que je volais, par exemple pour aller rejoindre une copine laissée au port… Et la lecture permet, quelque peu, de s’affranchir du temps, de l’espace, des échecs , des renoncements et des oublis, des frontières matérielles ou sociales, et même de la Morale.

 

 

Je n’emprunte pas. J’achète et conserve les livres, même ceux que je ne lis pas jusqu’au bout ou qui me tombent des mains. Ma bibliothèque personnelle, c’est une autre mémoire que celle stockée dans mon cerveau. Comme la mémoire intime, elle vous manque parfois, et on ne saurait alors dire un mot sur un livre qu’on passa trois semaines à parcourir. Mais on peut à tout moment rouvrir un livre, comme on peut retrouver sans coup férir un souvenir enfoui dans la trappe de l’inconscient.


 

Lire est à l’individu ce que la Recherche Fondamentale est au capitalisme : une dépense inutile à court terme, sans portée mesurable, mais décisive pour aller de l’avant. Lire un livre, c’est long, et c’est du temps volé à l’agenda économique et social qui structure nos vies.  


 

Mais quand chacun de nous lit, c’est comme s’il ramenait du combustible de la mine, pour éclairer la ville. Toute la collectivité en profite, car ses citoyens en sont meilleurs, plus avisés, plus au fait de ce qui a été dit, expérimenté, par les générations humaines. Le combat pour l’émancipation a toujours eu partie liée avec les livres. Je parie qu’il en sera ainsi à l’avenir.


 

J’ai été saisi par l'envie de parler de ces vies parallèles. De partager quelques impressions de lecture, de suggérer des chemins parmi tant d’autres, dans les espaces inépuisables de l’écrit. Comme un simple lecteur. Mais toujours avide.


 

Je vous parlerai donc des livres que je lis. Parlez-moi des vôtres.

 

 

Jérôme Bonnemaison,

Toulouse.

Recherche

Catégories