Le Ministre de la Culture - est-ce un hommage à Tartuffe ? - prétend avoir "relu" Céline avant de le retirer des
célébrations officielles de 2011.
Y avait-il besoin de "relire" pour savoir que Céline fut un des pamphlétaires antisémites les plus violents de l'avant guerre, mais aussi de la guerre et de
l'après-guerre ? Un pionnier du révisionnisme aussi. Capable d'écrire, après 1945, que les juifs n'ont pas été persécutés (moins que les collaborateurs selon lui) et que ce devait être un plaisir
de se balader avec une étoile jaune... Céline innocent ? Quelle blague ! Pourquoi un innocent aurait-il accepté de partir dans les valises des nazis à la Libération, errant d'un "château
l'autre" avec ses compères en traîtrise.
J'ai aimé "Voyage au bout de la nuit" et "Mort à crédit", que j'ai lus plutôt jeune. Plus tard, en y repensant, et avec plus de ressources culturelles à ma
disposition, j'ai compris ce qu'annonçaient ce pacifisme, cet individualisme, ce pessimisme absolus. Les germes de la dérive fasciste de Céline étaient déjà dans "le voyage", derrière la
façade anarchiste. Mais cela, on ne peut le comprendre qu'avec le recul historique. Car au moment où Céline écrit "le Voyage...", les courants qui agitent l'Europe sont tumultueux et n'ont pas
toujours pris une forme nette. Le pacifisme sera le nid du meilleur et du pire : des Résistants et de l'infâme Doriot. De René Char le maquisard et de Céline le
salaud.
Céline l'écrivain, c'est son oeuvre écrite, dans son intégralité. Et l'on ne saurait écarter, au nom du sacre du style, les monceaux d'ordure que cette
boule de haine vivante a crachés. Ce serait comme admirer Hitler et Mussolini pour leurs talents oratoires.
Il faut donc lire Céline. Le disséquer et le comprendre, sans aucune complaisance. Je suis pour ma part favorable à ce qu'on publie Mein Kampf ou
les pamphlets antisémites, mais munis d'un solide dispositif critique et historique accompagnant les pages, ne serait-ce que pour empêcher les fascistes de se victimiser ou de se mythifier. La
morale et l'interdit ne peuvent pas suffire à nous prémunir. Il faut lutter par les armes de l'argumentation. Il faut se confronter aux monstres. Il faut étaler aux yeux de tous
leur ignominie.
Mais défendre Céline, et encore plus le "célébrer" nationalement, c'est absoudre sa complicité fondamentale avec le crime. Car il n'y a pas de schisme entre l'homme
haïssable et l'écrivain Céline. C'est avec sa plume qu'il a préparé, attisé, légitimé, justifié, la folie génocidaire.
On ne juge pas une oeuvre à partir de critères moraux relatifs à la vie de l'auteur. Mais utiliser cet argument là pour Céline, qui s'est engagé tout
entier dans la fange, y nourissant sa plume, c'est être cynique et ignoble.
Je suis effaré de lire, dans les tribunes qui sortent ces derniers jours, tout un tas de snobs défendre Céline en pourfendant "la censure". Ils ne méritent
que mépris, ces intellectuels qui se pincent le nez pour pouvoir déguster le style célinien, afin de ne point humer les vapeurs insupportables de ses pages. J'y vois un signe du
nihilisme dans lequel s'enfonce notre temps. On nous enjoint sans cesse à être "sans tabous" pour être dans le vrai. Sale époque.
Il s'agissait donc d'inclure Céline dans la liste des "célébrations nationales".
A dire vrai, je n'ai jamais goûté "les Célébrations" de tous types. Ni le concept de Mémoire. Ni le traitement du passé par l'émotion, le
recueillement, la minute de silence, la repentance spectacle. Je préfère la nécessité d'Histoire, la noblesse du politique, l'acharnement à comprendre, à chercher, à expliquer.
Le nazisme par exemple n'a rien d'un phénomène surnaturel, c'est un fait politique et historique. Qu'il convient d'analyser, et dont on doit dévoiler les causes, les circonstances.
Les Célébrations ressemblent trop à des récitations expiatoires commandées au confessionnal, ou encore à l'achat d'Indulgences. Comme si on
célébrait pour éviter d'être réellement fidèle. Dans ma région, par exemple, on rend tout le temps hommage à Jean Jaurès, on le cite sans cesse, on l'imprime sur les cartes de voeux. J'y ai cédé
moi-même.
Mais qui le lit ?
Qui réfléchit à son parcours ?
Qui l'imite ?
Qui aurait quitté, comme lui, le confort du nid républicain, pour aller rejoindre un mouvement ouvrier balbutiant et divisé, alors que tous les honneurs lui étaient
promis ?
Qui se hisse à son niveau d'exigence intellectuelle ?
Qui a son souci de cohérence entre les mots, les actes, le comportement individuel ?
Sommes-nous un instant dignes de nous réclamer de Jean Jaurès ? Telle est la question qui devrait se poser.
La Célébration force le respect, le silence. Elle empêche l'expression du Dissensus. Elle est ainsi le territoire de la confusion, là où s'épanouissent les
hypocrites. L'épisode détestable de la manipulation de la lettre de Guy Môquet nous l'a bien montré.
Et comme l'ont osé une fois les jeunes surréalistes, quand un notable fâné rend un hommage à Arthur Rimbaud, il mériterait qu'on lui rappelle crûment que ce sont
des types comme lui qui l'ont convaincu de fuir en Abyssinie.
Célébrons un peu moins. Soyons inspirés. Et ne nous contentons pas de donner des noms d'écrivains à des places publiques. Lisons-les. Pour le pire et le
meilleur.